Marguerite Abouet & Clément Oubrerie

par

Visions d'Afrique

Juste avant la sortie de Aya de Yopougon, et donc avant le buzz médiatique qui a suivi leur prix à Angoulême, Marguerite Abouet et Clément Oubrerie avaient accepté de parler avec nous de leur premier album. Portrait d’une autre Afrique …

Xavier d’Almeida : Comment avez-vous eu l’idée de travailler ensemble sur un album de bande dessinée ?

Clément Oubrerie : C’est Thierry Laroche, qui est éditeur chez Gallimard, à qui on avait donné le projet de BD qui à l’époque s’appelait Akissi, la petite soeur d’Aya, qui l’avait gardé sous le coude. A l’époque, je ne savais pas qu’il y avait une collection de BD en préparation chez Gallimard.
Quelques mois plus tard, il m’a rappelé en me disant qu’il était intéressé pour une collection avec Sfar comme éditeur. Pour moi qui suis assez fan du Chat du Rabbin, mais aussi des Carnets, c’était plutôt une bonne nouvelle. Mais c’est vrai qu’ils ont été assez courageux parce qu’ils ont pris un peu de risques dans la mesure où Marguerite n’avait pas encore écrit de scénario connu et moi, malgré une quarantaine d’album jeunesse en illustration, je n’avais jamais fait de BD.
Ce sera donc une série parce qu’avec le synopsis, on s’est aperçu qu’on pouvait faire cinq ou six bouquins, donc là on prépare le second album…
Marguerite écrit des scénarios depuis très longtemps, moi je suis illustrateur, et il se trouve qu’on est mariés. On a donc eu cette idée un peu folle d’écrire cette histoire ensemble. Mais ce n’est pas qu’un hasard, c’est vraiment un sujet qui nous tient à cœur à tous les deux. J’ai été en Côte d’Ivoire moi aussi, et sans être un spécialiste, je pense être un peu qualifié pour en parler. C’est un sujet qui me passionne et même si on aurait aussi pu proposer son scénario à un autre dessinateur, c’est quelque chose que je tenais vraiment à faire.
En fait, il y a un vrai angle dans notre BD, c’est justement de montrer une Afrique différente de ce qu’on voit d’habitude : de la vie quotidienne, quelque chose qui soit assez heureux, insouciant…

Marguerite Abouet : … même si on parle aussi des problèmes, parce qu’il y a des sujets un peu durs comme Bintou qui tombe enceinte de Moussa, le fils du patron de la brasserie…

Clément Oubrerie : … oui, on en avait un peu assez de voir toujours la même chose sur l’Afrique.

Marguerite Abouet : Au début, je voulais faire une BD sur mon enfance, mais Sfar, qui avait adoré cette histoire, voulait que je fasse un peu grandir Aya. J’ai donc pris l’histoire de ma sœur (rires). Dans cette histoire, je voulais montrer qu’en Afrique, ce n’est pas que la guerre ou la famine, mais qu’il y a aussi des histoires de tous les jours : on s’aime, on se dispute… Cette Afrique que j’ai connu quand j’étais jeune. C’était une belle vie.
Aujourd’hui, ce n’est plus le même quartier. La population a triplé et les gens sont aujourd’hui beaucoup plus pauvres. Mais à l’époque tout le monde se connaissait, les enfants jouaient dans la rue… Là-bas, on le surnommait «joie-ville». Et puis dans les années 70, c’était la période du miracle ivoirien, tout le monde avait un travail : c’était la belle vie. Je me souviens que quand j’y suis retournée, après 15 ans d’absence, j’en ai pleuré : je ne reconnaissais pas mon quartier avec ces gosses qui traînent sans rien à manger… c’était un choc.

Xd’A : Clément, quelles ont été tes sources d’inspiration ?

Clément Oubrerie : Pour dessiner, je me suis d’abord inspiré de mes souvenirs, parce que nos photos étaient surtout des photos de famille. Mais comme on a plein d’amis là-bas, ils nous ont pris des photos qu’ils nous ont envoyé par internet. Le seul problème était de replacer tout ça dans les années 70. C’était la partie la plus amusante du boulot, parce qu’en faisant de petites recherches, j’ai trouvé un site sur les Toyota Corolla… (rires)

Marguerite Abouet : … mais oui ! Parce que je voulais absolument qu’il dessine ce que j’ai connu, et mon père avait justement une Toyota Corolla ! Il a vraiment su dessiner mon quartier.

Xd’A : Clément, passer de l’illustration jeunesse à la BD vous a-t-il demandé un travail d’adaptation particulier ?

Clément Oubrerie : Il y a une recherche graphique à faire quand même pour s’adapter. Même en essayant de remettre les choses à plat à chaque fois, on attrape certains tics selon les médiums et le but recherché. J’avais fait un premier projet qui n’est pas du tout passé, parce que j’avais complètement abandonné l’idée de perspective. En fait, je n’y avais pas du tout réfléchi, mais cet abandon est fortement connoté jeunesse. C’est très joli, mais ça ne vend pas au-dessus de 12 ans (rires). Bon, il se trouve que j’ai étudié la perspective, j’ai donc juste réactivé la fonction !
Il faut aussi toujours essayé de trouver le trait qui colle bien, qui soit pas trop fin, pas trop épais, pas trop détaillé… En dessin, on se fait plaisir très rapidement, et se faire plaisir, ça peut aussi signifier se lancer dans une foultitude de détails, faire des visages très fouillés… Et en fait ce n’est pas forcément intéressant. Ça peut même mal tourner dans certains cas, voire devenir monstrueux si on va trop loin. Il faut donc arriver à trouver un truc un peu synthétique et ce n’est pas si facile que ça. Les 10 premières pages sont très difficiles, mais après c’est lancé.

Xd’A : Et toi Marguerite, on imagine que tu as dû te replonger dans tes souvenirs…

Marguerite Abouet : En fait, au départ, j’écrivais des scénarios de films, des romans… j’en ai des pages entières à la maison. Puis j’ai commencé à écrire Akissi et quand je l’ai montré à Clément, il riait. Et quand Clément rit… Au départ, c’était vraiment un roman sur la vie d’une petite fille jusqu’à ce qu’elle vienne en France, sa vie en France etc. Et en fait ça s’est transformé en BD tout simplement !
Aya c’est totalement différent de ce que j’écrivais : c’est un autre milieu, d’autres coutumes : il fallait que je me rappelle toutes les expressions. Mais je ne voulais pas non plus en faire trop, ne mettre que des «pwésentement», etc. On parle normalement à Abidjan. C’est vrai qu’on met des «Dêh» et des «Kêh», mais c’est tout. Mais c’est vrai qu’il y a un argot assez riche.

Xd’A : Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la suite ?

Marguerite Abouet : Dans le deuxième album, Aya va partir pour la France. Et puis là-bas, dans le …25ème tome (rires), elle va rencontrer une jeune Français…

Clément Oubrerie : Le prochain, c’est miss Yopougon, une élection très importante !

Entretien réalisé à Paris en Novembre 2005.

Site officiel de Marguerite Abouet
Entretien par en avril 2006