Tristes échos
Comme du9 l’a récemment rappelé, la rentrée littéraire fait partie des gros titres de ce mois de septembre, aux côtés des ouragans et des essais nucléaires nord-coréens. Sans surprise, l’automne est donc l’occasion rêvée pour les journalistes de s’improviser critique de bandes dessinées. Si l’exercice 2017 ne fait que commencer, le quotidien économique Les Echos a déjà une bonne avance avec un article paru le 1er septembre, et qui étale de lourds poncifs que j’imaginais (très naïvement) disparus depuis longtemps.
Les Echos ont déjà un certain passif dans le domaine : la bande dessinée représente pour eux un marché, ou plutôt deux marchés — de l’édition et de l’art. C’est de bonne guerre : quotidien économique, il est logique qu’ils abordent le 9e Art essentiellement par ce prisme. Et comme ce dernier envahit de plus en plus les salles d’enchères, Les Echos parlent logiquement de plus en plus de bande dessinée. Le problème reste qu’à force de parler de best-sellers, les journalistes se mettent à aussi vouloir chroniquer des « bulles », pour reprendre une triste synecdoque qui plaît au quotidien. Et ces mêmes journalistes de confondre qualité et quantité, leur intérêt se portant sur les auteurs dont les originaux se vendent (très) chers, et sur les albums ayant un nombre significatif d’exemplaires écoulés rapidement.
Dès lors, les articles ayant pour ambition de livrer une sélection de lectures pour la rentrée, comme celui qui m’intéresse ici, se révèlent très problématiques. Le papier en question est signé David Barroux, dont on apprend qu’il est rédacteur en chef aux Echos, et qui très visiblement se pique de bande dessinée, ou plutôt de « BD » ou donc de « bulles ».
David Barroux est tristement (et naturellement) très prévisible : il nous annonce attendre les « grosses » éditions de la rentrée : nouveaux albums d’Astérix, Corto Maltese, mais aussi Alix Senator et Largo Winch. Il ne me semble pas nécessaire de commenter ces choix, le marketing des séries à succès et la pro-façon ont déjà donné lieu à de nombreuses humeurs sur du9. Ces annonces sont complétées par des choix moins convenus, écrit-il : « des bulles plus discrètes, (mais) au moins aussi séduisantes »… mais qui comprennent quand même d’autres poids lourds du marketing (Lastman, Janitor ou Tramp…).
Le bât commence à vraiment blesser quand ce journaliste des Echos se met à évoquer l’adaptation de L’automne à Pékin de Boris Vian parue chez Futuropolis : « L’album fait certes une centaine de pages, mais les auteurs ont trouvé un équilibre entre le respect de la richesse du roman de Boris Vian et une écriture BD forcément plus directe ». Une centaine de pages en bande dessinée serait donc trop long ? Ou doit-on comprendre que le format, trop éloigné des 48CC, n’est pas approprié ? Peut-être faut-il rappeler que la prolifération des écrans et des informations aurait réduit nos capacités de concentration, et donc de consacrer trop de temps à une lecture… Autre question : qu’est-ce que « l’écriture BD » et en quoi doit-elle « forcément » être « plus directe » ? Et aussi, qu’est-ce au juste qu’une « écriture directe » ?
Mais le plus consternant reste la manière dont David Barroux parle des femmes — et ce en particulier alors que les polémiques sur les questions de parité dans la bande dessinée ne cessent (à très juste titre) de se multiplier. Certes, il cite parmi sa sélection quelques auteures (Nathalie Ferlut et Tamia Baudouin, Aude Mermilliod), ainsi qu’un ouvrage consacré à une peintre (Artemisia, sur Artemisia Gentileschi). Mais cela ne l’empêche pas d’utiliser l’expression de « sexe faible », que je pensais désormais proscrite et en voie de disparition accélérée… ou d’amalgamer femmes et voitures dans une triste énumération (« les filles et les voitures sont belles et les mecs ont des gueules et du caractère »).
Malgré des références à Kubrick et Rohmer, les clichés de cet article viennent rappeler l’image du lecteur de bande dessinée macho et ignare. Il y a encore quelques années, citer des bandes dessinées parmi les ouvrages les plus attendus de l’automne semblait improbable. La reconnaissance du médium a permis d’abattre beaucoup d’a priori, mais la route reste longue pour que le 9e Art obtienne les critiques qu’il mérite dans la presse. En attendant, Les Echos feraient mieux de se cantonner à leurs analyses de marché.
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