Vues Éphémères – Été 2015

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Forcément, il devait y avoir une bande annonce. Après tout, ce n’était que la suite logique d’un projet un peu fou, initié en mars 2013 par James Harvey : inspiré par un premier mashup de Ryan Humphrey, qui réinterprétait de longues séquences du Akira d’Ôtomo Katsuhiro avec les personnages des Simpson, Bartkira se propose de reprendre chacune des 2200 planches de l’œuvre originale et de les transposer dans l’univers de Springfield. Armé d’un guide de correspondance des personnages et des quelques règles à respecter, n’importe qui peut prendre part à l’aventure qui devrait se terminer le 2 avril 2016, date-limite fixée pour l’envoi des planches du sixième et dernier volume de la saga. A ce jour, les trois premiers sont consultables sur le site officiel, le quatrième devant être disponible sous peu. Et ainsi, depuis le 5 juillet, il existe une bande annonce pour le dessin animé (à venir ?), reprenant plan par plan celle du film du même Ôtomo.

Il y a quelque chose de fascinant dans ce genre d’initiative, dans laquelle l’idée finit par avoir plus d’importance que le résultat. Ainsi, pour le projet, redessiner tout Akira en mode Simpson est essentiel, tant la tâche semble dantesque — et son accomplissement remarquable. Pour le lecteur, relire ce qui n’est finalement bien souvent qu’une transposition des plus fidèles[1] du début jusqu’à la fin ne présente qu’un intérêt très relatif[2].
Procédant d’une approche comparable, il y avait le KATZ d’Ilan Manouach — dont le geste consistant à remplacer tous les personnages du Maus d’Art Spiegelman par des chats venait surtout questionner la lecture critique de l’œuvre. L’objet produit était intéressant non pas en lui-même, mais par le rapport qu’il entretenait avec l’original. De même, Bartkira présente probablement moins d’intérêt en tant qu’œuvre produite, que dans la manière dont elle a été produite — cristallisation tant d’une culture de réappropriation et de remix, que des potentialités de création collective rendues possibles par les fameuses nouvelles technologies d’information et de communication[3].

Alors que KATZ s’était vu interdire et condamné au pilon, Bartkira n’a pour l’instant pas fait réagir les avocats. Cela étant, Harvey James reconnaît bien volontiers dans la FAQ du site la situation ambiguë du projet :
Q : Est-ce légal ?
R : Nous n’en sommes pas certains. Nous nous sommes simplement engouffrés dans le projet. Afin de rester prudents, nous avons choisi de faire de Bartkira un projet à but non-lucratif, et nous reversons à des œuvres de bienfaisances tous les gains réalisés sur les ventes de livres, de t-shirts, etc. Si jamais vous commercialisez des produits à partir de vos dessins pour Bartkira, nous vous encourageons à procéder de même. Nous avons le sentiment que le projet occupe une zone grise protégée par le droit à la parodie. Pour autant, à l’heure où sont écrites ces lignes, cela fait un an qu’il existe et nous n’avons toujours pas reçu de mise en demeure.
D’autres projets ont connu des sorts divers, illustrant la difficulté à situer ce genre de démarche, dans un contexte de raidissement autour de la question du droit d’auteur. On peut ainsi évoquer le Garfield minus Garfield de Dan Walsh, adoubé par Jim Davis et désormais disponible en livre… publié (of course) chez l’éditeur de la série originale. A l’inverse, l’expérience du Petit XXIe s’était vue obligée de fermer son compte tumblr suite à une intervention des avocats de Moulinsart, mais continue toujours sur Twitter d’apporter un commentaire à l’actualité au travers de vignettes tirées des albums de Tintin.

Il y a cependant quelque chose d’enthousiasmant dans toutes ces initiatives, qui chacune à sa façon, met en lumière certaines des potentialités que recèle ce nouvel espace de création, où se développent non seulement de nouvelles manières de découvrir et d’appréhender les œuvres, mais également de les concevoir[4].

Notes

  1. Dans sa section consacrée aux règles à respecter, Harvey James explique ainsi : « I’M COOL WITH YOU IMPROVISING IF YOU WANT TO » [« JE N’AI AUCUN PROBLEME A CE QUE VOUS IMPROVISIEZ SI VOUS LE SOUHAITEZ »], avant de remarquer : « N.B. not many people have taken me up on this. » [« Note: peu de gens ont profité de cette possibilité. »]
  2. Il me faut modérer cette affirmation : en effet, la diversité des styles et des talents réunis au fil de ces pages font du projet une sorte de catalogue que l’on se plait à feuilleter, découvrant ici ou là quelques revisites des plus lumineuses ou étonnantes.
  3. Déjà, en 2012, à l’occasion de l’annonce de l’adaptation en drama du manga Kingdom de Hara Yasuhisa, son éditeur Shûeisha avait lancé le projet « Social Kingdom » : entre mai et août, manga-ka célèbres (dont Araki Hirohiko, Kishimoto Masashi, Oda Eiichirô ou encore Inoue Takehiko) et amateurs anonymes avaient collaboré, chacun reprenant dans son style l’une des 1153 cases du 26e volume de la série. Trois ans plus tard, le site dédié à l’expérience est en friche, et il n’y est fait aucune mention sur la page officielle du Young Jump consacrée à Kingdom (alors même que l’on se félicite de la diffusion de la deuxième saison de l’adaptation).
  4. Le tumblr johnnytwentythree, très probablement tenu par Charles Burns, réalise ainsi une mise en réseau étonnante entre son travail et ses inspirations, prolongeant et cristallisant une approche qui traverse l’ensemble de son œuvre, comme a pu le mettre en lumière Benoît Crucifix.
Humeur de en juillet 2015