Vues Ephémères – Mai 2008
Il y a comme un petit goût de mercato au passage de Vincent Bernière chez Delcourt. «Nous cherchions un milieu international pour dynamiser notre jeu, et la candidature de Bernière s’est imposée — nous pensons d’ailleurs qu’il s’intègrera bien dans le système en place, et nous avons beaucoup d’ambitions pour la saison prochaine.» Ou presque. Vincent Bernière quitte donc le giron du Seuil BD (en cours de relégation) pour venir s’occuper de la collection Outsider chez Delcourt, dès la rentrée prochaine — avec la volonté de proposer un programme riche en bande dessinée indépendante américaine.
Pour l’instant, rien n’est vraiment officiel, puisqu’il n’y a bien que Wartmag qui ait relayé l’information jusqu’ici.[1] Mais l’on sentait de toute façon que cela démangeait Delcourt de se lancer sur le créneau.
D’une part, leur collection Contrebande s’était rapidement transformée en un fourre-tout informe dans lequel on retrouvait des «indés» plus ou moins bien publiés (Burns, Ware, Tomine, Abel), perdus au milieu d’une production beaucoup plus mainstream (Hellboy ou 30 days of night, mais aussi encore les sommets du label Top Cow), et qui allait, par un tour de passe-passe remarquable, jusqu’à intégrer quelques manga dans le lot (Mother Sarah, Chroniques de la Guerre de Lodoss, Silent Möbius) — un comble pour une série consacrée à «ce que la bande dessinée américaine offre de mieux».[2]
D’autre part, ce n’est en définitive que le pendant international de la collection Shampooing, lancée à la rentrée 2005 avec Lewis Trondheim aux commandes. Avec «cette danseuse»,[3] Guy Delcourt s’offrait là une expérience qui se réclamait d’une approche variée et de qualité plutôt que de la conquête d’un nouveau segment économiquement rentable.
Remise à zéro des compteurs donc sur le front américain, avec le transfert de Vincent Bernière, à qui l’on devait (entre autres) les traductions de Palomar et Locas de Los Bros Hernandez, le Wimbledon Green de Seth ou encore la (très) discrète collection Mangaself. Le programme des réjouissances made in Delcourt continue sur la même lancée, puisant joyeusement dans le catalogue de Fantagraphics, en saupoudrant le tout de quelques Drawn+Quarterly. On retrouvera donc du Adrian Tomine (avec Sleepwalk), du Joe Matt (The Poor Bastard), du Seth (It’s a good life if you don’t weaken), du Chester Brown (I never liked you et The playboy), ou encore Jason Lutes (avec son Jar of Fools).
Si tout cela vous semble étonnament familier, c’est normal : la collection prévoit de nombreuses rééditions, pour palier à des versions françaises «épuisées ou jugées décevantes». Oh, il y aura bien quelques «nouveautés», mais principalement d’auteurs déjà connus : Poison River de Gilbert Hernandez (fort d’un succès d’estime à défaut de commercial) ou du Dave Cooper (avec Suckle et Crumple) — du neuf avec du vieux, en quelque sorte, sur fond de recyclage massif.
Je ne voudrais pas faire un procès d’intention à Vincent Bernière, alors même qu’aucun communiqué officiel concernant la collection à venir n’est encore paru. Mais le fait est là que cette avant-liste ne se montre vraiment pas aventureuse, surtout lorsqu’on la compare au catalogue proposé par les autres éditeurs qui se sont lancés sur le créneau ces dernières années : Actes Sud BD (Paul Hornschemeier, Anders Nilsen, Rutu Modan), Rackham (Peter Bagge, Tony Millionaire, Alex Robinson) ou encore çà et là (Eddie Campbell, Linda Medley, Andi Watson) — chacun, à sa manière, s’est risqué à aller chercher des auteurs mal connus, à jouer dans une certaine mesure les défricheurs.
Mais qui dit défricheur, dit prise de risque. Et c’est là que l’on peut se demander jusqu’où un éditeur comme Delcourt est prêt à aller, et où s’arrête sa vision d’un projet suffisamment bankable — comme avait pu l’être un Lost Girls porté par le double-combo d’un contenu sulfureux et de l’aura d’Alan Moore. Mais rien de tel ici. Peut-être le meilleur a-t-il été gardé pour l’annonce officielle, une surprise incroyable pour s’assurer un lancement en fanfare. Peut-être.[4] Mais pour cela, il faudra attendre et voir…
Graham Annable – Epinoche – Atrabile, Collection Sang
JM Bertoyas – Ducon – L’Association, Collection Ciboulette
BlexBolex – 15 ans d’Illustrissimo – Michel Lagarde
Paul Bordeleau – Faüne 1. Culotte de poils – La Pastèque
Eddie Campbell – Alec 3 : Comment devenir artiste – Editions çà et là
Lili Carre – Les histoires de Woodsman Pete – La Pastèque
Geneviève Castrée – Roulathèque Roulathèque Nicolore – L’Oie de Cravan
Doublebob – Le chat n’a pas de bouche vous aime beaucoup – Frémok, Collection Flore
Charles Dutertre & Mathis – L’Indifférence des cailloux – Le Potager Moderne
Jean Giraud Moebius – Le chasseur déprime tome 1 – Stardom – Moebius Production
Tom Tirabosco & Pierre Yves Lador – Pampilles arborescentes – Castagniééé
Thierry Van Hasselt & Mylène Lauzon – Heureux, Alright ! – Frémok, Collection Flore
Loustal – Porquerolles – Nuages
Macchia – No futur is not dead – Hécatombe, Collection inaccessible étoile
Jean-Christophe Menu – Lock groove comix n°1 – L’Association, Collection Mimolette
Florent Ruppert & Jérôme Mulot – Le tricheur – L’Association, Hors Collection
Frédéric Poincelet – Poésie – La 5ème Couche
Rémi – Tord-boyaux – L’Association, Collection Mimolette
David Rubin – Hors d’atteinte – Rackham, Collection Morgan
Steve Sheinkin – Les aventures de Rabbi Harvey – Yodéa éditions
Toniduran – Trois tribulations de Jules Citron – La Pastèque, Collection Pamplemousse
Jessica Abel, Gabe Soria & Warren Pleece – Life Sucks – :01 First Second
Gerard Way & Gabriel Ba – The Umbrella Academy : Apocalypse Suite – Dark Horse
Hannah Berry – Britten & Brulightly – Jonathan Cape
Frank Cammuso & Jay Lynch – Otto’s Orange Day – Toon Books
Clark Westerman & Kody Chamberlain – Pretty Baby Machine #1 of 3 – Image Comics
David Chelsea – 24 x 2 – Top Shelf Productions
Joshua W. Cotter – Skyscrapers Of The Midwest – Adhouse Books
Ken Dahl – Welcome To The Dahl House : Alienation, Incarceration & Inebriation In The New American Rome – Microcosm Publishing
Oliver East – Trains Are… Mint – Blank Slate Books
Hayashi Seiichi – Red Coloured Elegy – Drawn & Quarterly
Rory Hayes – So That’s Where The Demented Went : Rory Hayes – Fantagraphics Books
Jason – Pocket Full Of Rain – Fantagraphics Books
Keith Knight – The Complete K Chronicles – Dark Horse
Hope Larson – Chiggers – Simon & Schuster
David Malki – Wondermark : Beards Of Our Forefathers – Dark Horse
Mawli – We Can Still Be Free – Blank Slate Books
Liz Prince – Delayed Replays – Top Shelf Productions
Tom Waltz & Nathan St. John – Finding Peace – IDW
Dash Shaw – The Bottomless Belly Button – Fantagraphics Books
Dave Sim – Judenhass – Aardvark Vanaheim Inc
Tatsumi Yoshihiro – Good-Bye – Drawn & Quarterly Books
Shannon Wheeler – Postage Stamp Funnies – Dark Horse
Kate T. Williamson – At A Crossroads : Between a Rock and My Parents’ Place – Princeton Architectural Press
Danijel Zezelj – Rex – Optimum Wound Comics
Collectifs
Ginkgo, Petites histoires pour la nature – Café-Creed
How to Love – Actus Tragicus
Ill Valley – Café Creed – Chroma édition
Out Of Picture 2 : Art From The Outside Looking In – Villard Books
Robots – Accent UK
Revues
Comix Club 8 – Comment dessinez-vous ? – Editions Groinge
Essais
Blake Bell – Strange & Stranger : The World Of Steve Ditko – Fantagraphics Books
Joel Meadows & Gary Marshall – Studio Space – Image Comics
Requiescat in Pace
– Rob Maisch (56 ans), auteur des Confessions of a Cereal Eater (NBM).
Quarante ans, ça se fête. Bien décidés à ne pas laisser passer telle aubaine, tous les médias sont bien préparés à nous en convaincre, et l’on peut parier que le «Joli Mois de Mai» 2008 sera tout entier tourné vers l’année 1968, dans un grand élan mémorialiste et célébratoire.
Tout en suivant le mouvement, le duo Enfin Libre (David Barou & Philippe Renaut) prend l’occasion comme prétexte pour se lancer dans une nouvelle expérience oubapienne, dans la ligne de leurs premiers travaux publiés chez Le Cycliste (pour Le Fluink) et La Boîte à Bulles (pour La Rumeur). Vingt-quatre heures pour quarante-huit planches et soixante-huit personnages (forcément) autour d’un lieu unique (la place Maubert), le projet s’intitule «Barricades – 10/11 Mai 1968» et se dévoile en ligne au rythme d’une planche par semaine.
L’idée d’une lecture croisée (par tranche chronologique ou par personnage) est intéressante, mais souffre un peu du mal chronique des systèmes de lecture en ligne, à avoir une navigation dans la planche assez malaisée. A suivre, tout au long de cette année 2008.
Notes
- Ceci étant, l’existence de la collection ne fait aucun doute, ne serait-ce qu’en consultant ce document de Drawn+Quarterly qui liste les disponibilités des droits étrangers des œuvres qu’ils publient. L’indication «Delcourt / Outsider» s’y retrouve à plusieurs reprises.
- Selon le site de l’éditeur : «La collection Contrebande propose une sélection de ce que la bande dessinée américaine offre de mieux. Servie par les plus grands auteurs américains, cette collection s’ouvre à tous les genres (Fantastique, Science-Fiction, Super-Héros, Horreur, Polar…) des grands classiques aux chroniques intimistes en passant par les meilleures adaptations d’œuvres cinématographiques et télévisuelles.»
- Comme la qualifiait Lewis Trondheim dans un entretien à La Libre Belgique en Octobre 2006.
- Mais probablement pas venant du catalogue D+Q, où l’on notera que les droits internationaux pour certains livres de Gabrielle Bell, Ron Regé Jr., Maurice Vellekoop, ou encore Gary Panter sont encore disponibles.

Super contenu ! Continuez votre bon travail!