Vues Éphémères – Novembre 2018

de

Chaque année ou presque depuis 2007[1], c’est pour moi une sorte de rendez-vous : le Festival d’Angoulême fait sa conférence de presse et révèle sa Sélection Officielle, et l’une ou l’autre me donne matière à réflexion. L’année dernière, par exemple, j’en avais profité pour m’intéresser à cet étonnant consensus critique, qui voyait quelques ouvrages faire l’unanimité ou presque au sein des différentes récompenses décernées à l’approche des fêtes.
Le 20 novembre dernier, donc, on pouvait découvrir les grandes orientations de la prochaine édition par le biais de l’allocution de Stéphane Beaujean, directeur artistique de la manifestation. Partant du constat d’une « guerre de chapelle » (« En jouant des coudes pour faire émerger de nouveaux genres dans un milieu conservateur, l’édition de bande dessinée francophone a réussi à se placer dans une situation paradoxale. Elle a démultiplié les livres et les lecteurs, mais a créé des profils monolithiques, bridés dans leur curiosité. »), voici l’ambition qu’il affichait : « Accroître l’éclectisme et la transversalité, construire un répertoire d’outil critique, devenir une place de célébration festive et de business, au service de l’un des médiums les plus fédérateurs du XXIe siècle naissant, voilà le programme du Festival à l’orée de ses 50 ans. »[2]

Quelques heures plus tard, cette observation se confirmait : les sites spécialisés en manga que sont Animeland, Manga-News ou encore Nautiljon ne donnaient à voir qu’un programme et une Sélection Officielle tronquée, réduite à sa seule part japonaise à l’exclusion de toute autre. Même approche mais tropisme différent du côté de Comicsblog, qui se focalisait uniquement sur la production américaine.
Pour le coup, on se croirait presque sur le site d’un éditeur ravi, on peut le comprendre, de pouvoir afficher haut et fort la réussite de ses poulains. Signalons au passage que le CNL n’est pas en reste, tenant également à souligner son rôle dans l’histoire.
Ailleurs, on ne peut pas dire que la Sélection Officielle fasse beaucoup couler d’encre — la plupart des médias se contentant de reproduire la liste… pour ceux qui s’en donnent la peine[3]. Citons pèle-mêle Télérama, Livres Hebdo, La Dépêche, Actualitté, BodoiToutenBD, CultureBD, PlanèteBD, Bandedessinée.info, Comixtrip, Superpouvoir ou encore Sanctuary qui assurent le service minimum, alors que pour leur part, Le Monde et Libération ne semblent pas juger l’événement suffisamment notable pour même le signaler.

Il faudra donc se rabattre sur les rares commentaires proposés en guise d’introduction à la Sélection pour se faire une idée de ce qu’elle vaut : pour Le Figaro, « les mastodontes […] côtoient des auteurs moins exposés, mais tout aussi intéressants », tandis que les Inrocks y trouvent « des albums qui étaient très attendus » mais que « l’on pourra noter quelques absences ». Enfin, ActuaBD constate « une sélection aussitôt qualifiée de « Bobo-Télérama » par certains, d’aucun considérant que la BD commerciale est déjà récompensée par ses succès. »
On ne peut pas plaire à tout le monde.

(bonus)

… et puisqu’on parle de prix, voici une rapide mise à jour de mon analyse des prix de l’année passée. La promotion 2018 des nominés au sextet prix Ouest-France Quai des Bulles / Grand Prix RTL de la Bande Dessinée / prix Landerneau BD / Grand Prix de la Critique ACBD / Prix de la BD Fnac (devenu depuis Prix de la BD Fnac-France Inter) / Prix des Libraires de Bande Dessinée s’inscrit dans la lignée des précédentes. Ainsi, on y constate à nouveau la domination des grands éditeurs (30 titres des 41 nominés), la constance de Zidrou (qui ajoute deux nouvelles nominations à son palmarès personnel), ou encore le consensus critique sur quelques titres : si, pour la première fois, un titre fait le Grand Chelem (Il faut flinguer Ramirez t1 de Nicolas Petrimaux, chez Glénat, nominé pour chacun des six prix et présent dans la Sélection Officielle du Festival d’Angoulême), deux autres signent un Petit Chelem, avec une étrange symétrie : Ailefroide Altitude 3954 de Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet chez Casterman (boudé par RTL, mais déjà récompensé par Quai des Bulles), et Malaterre de Pierre-Henry Gomont chez Dargaud (snobé par Quai des Bulles, mais finalement récompensé par RTL).

Notes

  1. Décompte fait, seules 2010, 2013 et 2014 m’ont vu faire l’impasse.
  2. Extraits du dossier de presse.
  3. Pour mettre les choses en perspective, rappelons que chacun des 18 films en compétition pour la Palme d’Or au Festival de Cannes 2018 avait eu droit à une présentation lors de l’annonce de la liste, par exemple sur le site du Monde.
Humeur de en novembre 2018