Vues Ephémères – Octobre 2012

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Six semaines, six petites semaines. C’est le temps qu’il reste avant la conférence de presse du 40e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, et voici qu’un article dans la Charente Libre publié mardi dernier vient jouer les trouble-fêtes. La Fnac, principal sponsor de la manifestation avec la SNCF, ne sera pas de l’édition 2013, et devrait au contraire se consacrer à la promotion de son propre prix qui sera décerné avant l’été.
Hasard du calendrier et de la communication, la SNCF envoyait le lendemain un email annonçant les prochains «Trains du Polar» prévus pour le festival Quai des Bulles de Saint-Malo (26-28 octobre), et livrant la sélection des nominés pour le Prix SNCF du Polar / BD 2013 bientôt soumis au vote du public, le prix lui-même étant remis au printemps prochain.
En l’espace de vingt-quatre heures, la Grand-Messe de la bande dessinée voyait ses deux principaux soutiens affirmer leur indépendance et délaisser les festivités du dernier week-end de janvier.

Dans l’article de la Charente Libre, Franck Bondoux (directeur de la société organisatrice du Festival, Neuvième Art+) ne se montrait pourtant pas vraiment surpris devant ce qui était visiblement, à ses yeux, une évolution bien naturelle : «C’est fini le temps où les entreprises donnaient de l’argent comme ça : pour trouver des partenaires, il faut trouver des champs promotionnels adaptés à chaque entreprise.» Et de minimiser : «Ce n’est pas spécialement un coup dur, la situation de la Fnac est connue, elle est en pleine restructuration.»
Du côté de la Fnac, c’est un autre son de cloche, précisant que «la Fnac ne se retire pas d’Angoulême pour des raisons seulement économiques», et de poursuivre (dans l’article de Livres-Hebdo sur le sujet) en expliquant : «On est dans une action d’événements culturels plus visibles, qu’on maîtrise de A à Z.»
Pour le premier libraire de France[1], voilà donc le nœud du problème : le Festival d’Angoulême, pourtant revendiqué comme la «manifestation bédéphile la plus importante au monde»[2] manquerait de … visibilité.

Il faut bien reconnaître qu’il s’agit là de l’étrange paradoxe qu’entretient le Festival d’Angoulême — à la fois censément incontournable, mais dont on peine à véritablement cerner l’impact réel.
Importance populaire ? Alors que le Mondial de l’Automobile vient de fermer ses portes avec un nouveau record de fréquentation[3], le nombre de visiteurs présents sur le Festival d’Angoulême, discrètement absent du site de la manifestation, continue d’être entouré d’un certain mystère, et sa confrontation avec les revenus de la billetterie rapportés par la Charente Libre soulève beaucoup plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. En progression constante depuis ses débuts, Japan Expo talonne désormais le FIBD (affichant 208 000 visiteurs contre 215 000 sur quatre jours, respectivement) — s’il ne l’a pas déjà largement dépassé.
Importance médiatique ? Le constat que j’ai pu faire ici à plusieurs reprises reste inchangé — le Festival d’Angoulême, malgré une programmation cherchant à promouvoir un certain regard sur la bande dessinée, peine à changer les discours établis dans les médias. Les marronniers habituels (dédicaces et visite en famille) sont de sortie, et les éclats des prises de bec entre l’organisation du Festival et les diverses institutions (mairie, région ou CIBDI) trouvent plus d’écho dans la presse que l’annonce des Grands Prix — venant sérieusement ternir l’image d’une manifestation voulant pourtant se placer sous le signe du rassemblement et de la fédération autour de la grande cause de la bande dessinée.
Importance culturelle ? En quarante ans d’existence, le Festival d’Angoulême n’a pas réussi à faire de son palmarès une référence, ne cessant d’en modifier la composition afin de satisfaire des libraires qui ne s’en font qu’exceptionnellement les relais — un palmarès qui, au fil des ajustements successifs, aura ainsi connu pas moins de 25 formules différentes en 40 éditions. Pas de Palme d’Or à laquelle se raccrocher, pas de valeur sûre établie de longue date — Alfreds, Alph’Arts, Essentiels et Fauves se sont succédés pour encadrer des intitulés de catégories de plus en plus cryptiques.

Il ne s’agit pas ici de se livrer à une attaque en règle contre le Festival d’Angoulême : comme je viens de le souligner, les initiatives que la manifestation a mises en place au cours de ces dernières années se heurtent encore et toujours à cette inertie qui entoure la bande dessinée et cherche trop souvent à la cantonner à l’image de «simple divertissement populaire», considéré dans sa seule valeur commerciale. Mais en réalité, le désengagement de la Fnac pose une question plus profonde : lorsque le premier festival qui lui est consacré ne suffit plus, lorsque la Grand-Messe de la fin janvier n’est plus jugée comme assez rassembleuse, lorsque «la plus grande librairie de bande dessinée du monde» n’est plus assez rentable — qu’est-ce que cela nous dit sur la bande dessinée elle-même ?

Notes

  1. Dont le magasin le plus proche d’Angoulême se trouve à plus de 100km, à Poitiers ou Bordeaux.
  2. Selon le site officiel de la manifestation, qui affiche fièrement les chiffres de l’édition 2012 : 260 exposants, 7000 professionnels, 1600 auteurs, 900 journalistes français et internationaux, 250 supports, 12h de temps d’antenne, 36 nationalités présentes, 15 expositions, 300 rencontres, ateliers et conférences, 110 spectacles et projections…
  3. 16 jours d’ouverture au public à battre son plein, avec au compteur 1 231 416 visiteurs… soit près de 77 000 visiteurs quotidiens.
Humeur de en octobre 2012