Chose

de

Le signe de la chose pour Clémence Gandillot, est celui à l’envers de l’étourdissement dans la ligne claire. Oui, ce petit trait spiralé, ici en couverture affublé d’une paire de jambes, signale autrement disposé au-dessus d’une tête dans la bande dessinée franco-belge, la perte de raisonnement, l’égarement, l’ivresse ou un trouble de l’esprit.[1]  Il fallait retourner cette chose, la rendre autonome et l’isoler pour dire les choses, la chose et bien d’autres choses qui ne se montrent pas mais se dévoilent moins par les mots que l’image et ses lignes figurant, trouvant ici toute leur clarté dans un usage minimal.

L’image et la chose, car l’image n’est pas la chose. La chose s’est faite signe pour être mise en équation. Majuscule d’un E ? D’un «euh» ? D’un epsilon, «e ouvert» ? D’un exposant ? D’une puissance ? D’un sigma en majuscule tout en courbe ? D’un nouvel opérateur dans ce monde calculable ?
Ou bien une sorte de clé de sol, ou plutôt de soi débutant une partition intérieure, déterminant une hauteur de notes pour les lignes tracées de la dessinatrice ? Un peu de tout ça certainement, et surtout cette envie de dire un rapport au monde. De déterminer l’équation vitale dans une logique originale, celle du fait d’être vivant, de ne pas être une chose.

Pour l’auteure, la chose n’est pas naturelle, l’homme[2] en est la cause originelle. Il devient l’origine d’un monde plein de choses, de moins en moins naturel, de plus en plus chosifié. Comprendre les choses, c’est comprendre le monde et les hommes. C’est comprendre bien des choses et pourquoi on les fait. Chose est donc ce livre, ou Clémence Gandillot se livre à sa logique autant qu’elle se livre. Elle est à l’origine de ce Chose, lui-même témoignage de ce qui fût à l’origine De l’origine des mathématiques et de bien d’autres choses qui par la suite suivirent. Il y a une dizaine d’années, ce travail était un mémoire de fin d’étude aux Arts Décoratifs de Paris. Aujourd’hui c’est presque la même chose, mais revue pour passer du mémoire à Mémo, avec ce supplément de mémoire et de raisonnement dû au temps passé.

«Ce livre c’est à cause de la chaise, celle très loin, dans le fond».[3] Depuis, ce livre est comme une chaise. Une chose où se reposer pour comprendre le travail de son auteur, de cette science de soi, de cette logique interne ou l’erreur de calcul est heureusement possible (humaine), qui déterminent son appréhension particulièrement féconde de la neuvième chose. Même si celle-ci n’est pas l’activité principale de l’auteure, elle assoit par ce livre au moins une chose : cet objet en question est aussi cosa mentale.

Notes

  1. Voire «une perte de connaissance», dans le cas d’un évanouissement. Son apparition brève signifierait un trouble soudain et momentané (émotion, malaise), sa persistance un état d’ivresse ou de folie, sa multiplication l’intensité de l’atteinte.
  2. Et la femme bien entendu, même si l’auteure ne note qu’à la fin que l’on dit «la chose».
  3. Phrase qui me fait penser à Une et trois chaises (One and three Chairs), œuvre de Joseph Kosuth de 1965. Image, chose, langage, problématique proche de Clémence Gandillot finalement.
Site officiel de Clémence Gandillot
Site officiel de Editions MeMo
Chroniqué par en février 2013