à Kyôto

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Le titre est sans majuscule car il est la suite d’une phrase lacunaire au verbe inconnu dont le début était le titre d’un autre livre publié en 2001 : Kyôto-Béziers.
Un échange épistolaire entre deux hommes séparés par un demi hémisphère pour départ ; à l’arrivée cet autre livre, résultat d’une présence à l’autre bout du monde dans «l’altérité si radicale du Japon» (page 6). Entre les deux et jusqu’au ici nippon : des années, un voyage, des mots, des images, des projets, puis du silence, des sensations, soi-même dans ce multiple, et d’autres dialogues, pour une vie autre que l’on n’ose s’avouer de la longueur d’un voyage. On compense par l’intensif et chaque instant perçu acquiert ce gravitationnel infini qu’il avait pendant l’enfance. La durée fut courte mais l’on y a gagné de s’y s’être cru éternel, un instant, par saturation jusqu’à l’ivresse du sensible qui fait sens. Puis quand tout doit s’éloigner en temps et en géographique, on grimpe au ciel dans une machine pour redescendre dans un lieu de passage, pas loin, avec pour bagages essentiels les souvenirs, dont les images ne se distinguent plus guère du pensé ou du rêvé face au flux érosif de la quotidienneté.
A s’être su aérien ailleurs, voici les voyageurs lestés d’une mémoire les raccrochant au sol tout en leur donnant l’envie ou l’espoir de s’envoler à nouveau.

à Kyoto n’est pas la preuve de leur voyage. Il n’est surtout pas un «carnet de voyage» expliquant ou justifiant «soi au milieu des autres» en croyant justement (souvent faussement) montrer, dire, écrire les autres, leur vie, leur pays. Il n’est pas non plus le trophée ramené de terres conquises à coup de «j’y étais» ou «j’ai fait», «j’ai vu».
Duba définit son livre comme «une sorte de récit de voyage»,[1] avec cette manière, cette part d’indéfinition où l’imaginaire se mélange au présent, où les dimensions internes et externes n’ont plus de limites strictes. Il accepte autant le filtre de ses sens que celui des mots de Jeanneteau. Et que sa mémoire affleure d’un souvenir de lecture, il la prend, la dit, la dessine, lui donnant la même importance que les décors présents qui l’entourent.
En racontant un seul jour parmi une centaine, en s’attachant au quotidien, en montrant qu’il était plutôt que d’y avoir été, qu’il a appartenu à ce flux vital local, qu’il a été, lui, avec eux, et que leur altérité aussi radicale soit-elle, a une universalité accessible à qui se sent présent plutôt que voyageur en transit entre une arrivée et un départ, Duba montre que l’expérience est sans limite, de toute nature, dans l’infime d’un hiver comme dans le grandiose témoignant d’histoire, de religion et d’art.

C’était le Japon qui avait mit Barthes «en situation d’écriture»,[2] c’est Kyôto, dans un Japon prescripteur et un autre siècle semblant trahi par son futur, qui met Duba en situation de dessin.
Praticien hors pair du neuvième art, sensible au tracé, il a l’avantage de par ce médium d’être à la fois dans l’image et le mot, dans un pays où, justement, écrivains et dessinateurs occidentaux trop dédiés à leurs métiers respectifs n’ont cessé d’admirer ou mésinterpréter cette ambiguïté nipponne, cette indistinction stricte entre les mots et les images, entre écriture et peinture.
Ce livre respire magnifiquement de ce mélange, où l’une se confond à l’autre sur un support partagé, japonais, accepté dans sa texture et capacité d’absorption pigmentaire. Il a la profondeur de ne pas être «un Japon vu par» réifiant les clichés du moi devant un Japon monument,[3] mais d’être une lettre de là-bas (d’un moi passé), conçue ici avec finesse dans l’équivoque du souvenir (d’un moi passant).

Notes

  1. Thierry GROENSTEEN : «Conversations avec Pierre Duba», in Artistes de bande dessinée, L’An 2, août 2003, p.121.
  2. Roland Barthes : L’empire des signes, Skira, collection «Les sentiers de la création», 1970, p.11.
  3. Collectif : Japon, Casterman, collection «Ecritures», 2005.
Site officiel de Pierre Duba
Site officiel de 6 pieds sous terre
Chroniqué par en mai 2006