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L’ Immeuble en Face (t1)

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Tous les personnages de cette bande dessinée habitent le même immeuble. Au premier, une jeune femme célibataire, enceinte, vivant avec son fils de quatre ans. Au deuxième, un couple de quadragénaire en impasse sociale et sentimentale, dont les frustrations ont la taille du chien danois qu’ils élèvent. Enfin, au troisième, un jeune couple d’une vingtaine d’années, tendre, frivole et en bohème, qui sont, peut être, ce qu’ont pu être les voisins du second il y à vingt ans.
Dans ce petit immeuble dit de rapport, il n’y en avait pas, ou peu, accordé au pluriel de l’altérité. Comme souvent, au mieux on se croise, au pire on s’ignore [1] .
C’est une cacahuète avalée de travers qui va gripper la belle mécanique de l’indifférence. Aide, entraide, et petit à petit les liens se font, les habitudes des uns et des autres sont perçues, prennent de l’intérêt, et des histoires naissent. On ne vit plus à tel étage, mais au-dessus de… qui… , ou en dessous de… qui… .

Le titre de ce livre indique un point de vue extérieur, celui de la rue, de l’autre coté, en face de cet immeuble, lieu de vies en bande dessinée, qui nous intéresse.
L’auteur vivrait-elle en face ? A priori rien n’interdit cette supposition, mais nous ne sommes pas non plus dans Fenêtre sur cour et surtout bien loin de toutes idées voyeuristes.
Vanyda utilise autrement l’expression « en face », dans le sens de donner des visages (« des faces ») aux habitants de cet immeuble, d’aller au-delà de la façade, des architectures et des apparences, tout en confirmant en même temps le point de vue extérieur qu’implique le médium.
Mine de rien cet « en face » donne aussi une géographie urbaine à l’immeuble. Car cette architecture à vivre, par la circulation de ses locataires, se dote de véritables racines s’étendant à la rue, aux arrêts d’autobus ou au supermarché. Nous ne sommes donc pas uniquement dans les circulations collectives internes à l’immeuble. Son architecture est ouverte, avec structures et possibilités d’accueil. Il suffisait de leurs donner pignon sur rue. Ce que fait Vanyda.

Comme on peut le constater sur la couverture, le dessin de Vanyda semble notablement influencée par la bande dessinée nippone. Pourtant cette influence est bien moins graphique que narrative. L’attention particulière que porte l’auteur à nous décrire la vie et la quotidienneté de ses personnages, la dramatisation qu’elle sait apporter à des événements qui se révéleront dérisoires, montrent tout le savoir qu’elle a su tirer de l’influence de la manga (images dérisoires), en l’a soumettant à l’exact diapason de sa volonté narrative.
Son registre graphique est riche, insoumis et varié. Il ne se limite pas a de simples codes ou manières de dessiner.

C’est aussi dans la mise en page que l’on découvre à nouveau cette influence de la manga (dans la division et l’introduction aux chapitres par exemple).
Ce livre réunit des histoires parues dans le fanzine Porophore entre décembre 1999 et mai 2002. Celles-ci sont de tous formats (strips, planche, illustrations, histoires courtes) influencées par les thèmes et formats éditoriaux de la revue. Ce qui ressort de leur compilation est une grande et étonnante cohérence.
La différence de formats, comme les strips par exemples, permettent de montrer les vies en parallèles [2] , dans une vue panoptique et simultanée qui s’offrirait à nous quand on ouvre la façade d’une maison de poupée. Une vue qui s’étirerait dans le temps bien sûr. L’architecture de l’immeuble, ses espaces, ne sont pas la planche, ni l’espace narratif [3] . La construction architecturale se rappelle à nous surtout dans sa dimension symbolique, comme une hiérarchie (âges, étages) ou une impression (imprégnation) sociale [4] . Du coup la bande dessinée de Vanyda s’incarne littéralement dans les murs et les structures.

Ce livre brille aussi par les portraits finement nuancés de ces personnages, très vivant et attachant dans leurs habitudes et leurs modes de vie. L’auteur évite aussi de tomber dans la focalisation excessive, devenue actuellement cliché, sur la génération « trentenaire-bobo » « totémisant » Casimir. Les personnages ont soit plus de quarante ans, soit moins de trente, laissant là un espace-temps ignoré, et à mon avis libérateur, évitant toute comparaison avec des bandes dessinées comédie de mœurs allant de Dupuy et Berberian à Peyrault. Vanyda reflèterait peut être même, de ce point de vue, la prémisse de l’arrivée d’une autre nouvelle vague d’auteurs se racontant autrement. En attendant il s’offre déjà à nos têtes vagabondes un album remarquable et plein de promesse.

Notes

  1. Un problème qui a pu être accentué, ici, par l’architecture, c’est à dire un appartement par étage et donc pas de voisins de palier.
  2. A la manière de la célèbre séquence des Héros de l’équinoxe de Mézières et Christin.
  3. Comme, par exemple, dans la célèbre histoire de Mc Eown, parue dans Weasel n°1 en 1999 et intitulée Escape.
  4. Qui ne serait pas non plus dans l’idée (inversée) de ses coupes d’immeubles haussmanniens du XIXième siècle, où les plus bourgeois sont au rez-de-chaussée et les plus modestes sont au dernier étage, juste avant les combles réservés aux domestiques.
Site officiel de Vanyda
Chroniqué par en mars 2003