du9 in english

Un petit goût de noisette

de

Notes de (re)lecture

un cas de continuité graphique

La première occurrence m’avait échappée et c’est à la troisième planche que j’ai remarqué ces deux cases construites en continuité graphique : le même décor est dessiné dans deux cases juxtaposées avec un angle de vue unique qui donne l’impression d’une image unique si l’on fait abstraction des gouttières séparant les cases. Dans cette troisième planche, il s’agit de la vue des façades de deux maisons voisines typiques de la banlieue parisienne (jardinet, pierre meulière, etc). Une vue que l’on pourrait qualifier de coupe puisque le recul pris pour réunir les deux façades dans la même image paraît impossible, sauf à considérer que le coté de la rue où est posté l’observateur est inoccupé…
Ce décor est découpé en deux cases allongées sur toute la largeur de la page. La première contient les toitures des deux pavillons et celle du dessous leurs façades et les grilles de leurs jardinets.

un procédé antérieur à la bande dessinée

Cette technique du décor continu n’est évidemment pas neuve puisqu’elle est déjà présente dans le vitrail où les baguettes de plomb, les barlotières et les montants de pierre découpent l’image en en masquant une partie plutôt qu’en la décalant : Il ne s’agit pas d’une image découpée dont les éléments ont été espacés et décalés, mais d’une image sur laquelle un réseau a été superposé, masquant certaines parties, mais laissant apparaître une vision d’ensemble aux proportions respectées.
Dans le cas du vitrail, l’artiste a trouvé un moyen de s’accommoder d’une la contrainte de construction qui s’impose à son œuvre. Mais en bande dessinée, une telle contrainte n’existe pas et pourtant l’usage de la continuité graphique est aussi vieux qu’elle : On en trouve facilement des exemples chez Winsor Mac Cay, Frank King ou Alain Saint Ogan.

Un procédé au service de la narration

Dans ces exemples canoniques, la continuité graphique sert souvent un enjeu d’optimisation de l’espace de la page. L’ampleur d’un décor peut en effet imposer de le représenter sur une surface conséquente, une très grande case ou une page. Or, le récit peut aussi nécessiter de faire évoluer un ou des personnages en plusieurs lieux de ce décor, dans une succession de postures. Plutôt que de représenter plusieurs fois ce décor, ce qui n’est pas toujours possible au regard de l’espace alloué, ni souhaitable pour un dessinateur soucieux de sa productivité, la solution évidente consiste à dessiner le décor une fois pour toute, en grand, et de multiplier les apparitions du personnage dans ce décor.
Toutefois, en bande dessinée,  il existe une convention de lecture selon laquelle, si les représentations de deux personnages sont visibles dans la même vignette, cela signifie que les deux personnages sont en présence l’un de l’autre dans le récit. Plutôt que d’enfreindre cette convention (ce qui est évidemment envisageable), le dessinateur choisit de découper le décor en fragments, isolant ainsi chaque apparition du personnage dans une case rassurante où il ne risque pas de rencontrer son double…

Un procédé au service de la narration — une variante

Dans d’autres cas, le procédé du décor continu est utilisé à la manière d’un travelling panoramique au cinéma. Le découpage du décor en plusieurs cases introduit en effet la notion de séquence, de succession de moments. Tout en conservant de façon inévitable une vision d’ensemble du décor (l’œil appréhende l’ensemble de la planche simultanément), le lecteur accepte de suivre l’intention de l’auteur qui a simulé ce travelling et feint de découvrir le décor sous sa conduite, case après case (ou disons plutôt que telle est mon expérience personnelle). Dans ce cas encore, le procédé de continuité graphique remplit une fonction narrative.

Rien de tout cela chez Vanyda.

Dans cette planche de Vanyda, ces justifications n’existent pas : Il n’y a que deux personnages dans la deuxième case, et aucun dans la première, et il faut donc écarter la première hypothèse. Quant à la deuxième hypothèse, celle du travelling, elle aurait pu s’appliquer ici si le découpage des cases s’était fait verticalement : on aurait pu ainsi croire à la découverte de la succession des façades de la rue depuis la vitre d’une voiture, par exemple ; mais non, le découpage est horizontal…
Alors cette continuité de décor ne sert elle à rien ? Non, justement et c’est ce qui me touche dans cette planche : le procédé est gratuit, non fonctionnel et purement décoratif. J’aimerais dire que c’est pour faire joli, sans craindre les ricanements…

Le dessin de bande dessinée possède cette envoutante propriété d’être double : on a beau dire qu’il doit avant tout être lisible, se mettre tout entier au service du récit, il ne peut s’empêcher d’être aussi gracieux, gratuitement gracieux. Ou simplement joli. C’est aussi le cas de la mise en page, et cet effet de mise en page non fonctionnel et purement décoratif que nous offre Vanyda, je le reçois avec plaisir.

Site officiel de Vanyda
Site officiel de Dargaud
Chroniqué par en octobre 2014