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Jerry Spring – Intégrale t.5 (1966-1979)

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L’intégrale de Jerry Spring prend fin, et de fort belle manière. Ce cinquième tome, comme les précédents volumes, fait honneur à l’œuvre de Jijé, qui n’avait jamais été si bien éditée. La préface érudite de Philippe Capart et Erwin Dejasse recontextualise avec intelligence ces cinq derniers récits qui marquent une évolution nette du héros, et que des aléas éditoriaux auront rendu lente et chaotique. Sans dissimuler les mauvais choix que Dupuis avait faits à l’époque, n’hésitant pas à renvoyer sans autre forme de procès un auteur pourtant majeur de leur histoire, elle met en lumière des albums hybrides qui portent en eux les interrogations de leur dessinateur.

Les deux premiers récits, Jerry Spring contre KKK et Le Duel, sont des westerns classiques, mais s’inscrivent loin de la naïveté des débuts. Quand le Jerry Spring originel ne cessait de sauver la veuve et l’orphelin sous les hourras de la foule, il se retrouve ici confronté à une Amérique déchirée, sortant de la Guerre de Sécession et qui n’accepte pas la fin de l’esclavage. S’il se bat encore contre la justice, c’est contre les braves citoyens qui ne rêvent que d’exproprier les propriétaires noirs des environs. Le Duel le confronte à la problématique indienne, aux côté d’un chefaillon vaillant mais sanguinaire et aveuglé par sa haine des peaux-rouges. Une Amérique bien loin du Grand Ouest fantasmé, racontée par le trop oublié Jacques Lob[1], qui offre des scénarios parfaitement adaptés au trait de plus en plus libre de Jijé. L’ensemble possède bien quelques facilités (la fin du Duel se montrant particulièrement téléphonée), mais il est difficile de rester insensible aux qualités évidentes de ces albums charnières.

Malheureusement, la transition est plus difficile : Jijé est contraint d’abandonner Jerry Spring pour se consacrer au dessin de Tanguy et Laverdure, série qui l’enthousiasme beaucoup moins. Quand il revient à son cowboy, près de huit ans plus tard et sur des scénarios de Philip, son fils, il opère une dernière mutation. Si le premier récit de ce nouveau départ, L’Or de personne, s’inscrit encore dans la veine plus sombre entamée avec Lob, avec La Fille du canyon Jijé s’amuse à dynamiter le genre. A une période où tous les héros de bande dessinée commençaient à se voir affublés de fiancées, il accepte l’incursion d’un personnage féminin mais, de son apparition[2] à la conclusion[3], il ne sera jamais question de marivaudage. En tout cas pas, certainement pas du point de vue de Jerry Spring le (trop ?) pur, bien trop occupé à essayer d’innocenter son ami accusé de meurtre pour avoir trop abusé de la dive bouteille… Repartant sur leur voyage perpétuel, Pancho ne pense cependant qu’à acheter un ranch pour se fixer une bonne fois pour toute et cesser ces aventures.

Sans être humoristique, la série reste tout à fait lisible au premier degré. On découvre ici un auteur qui s’amuse avec ces personnages parfois trop proprets et cherche à les affranchir d’un code rigide. Cette veine burlesque se poursuit dans le dernier récit, Le Grand Calumet, qui ressemble de bout en bout à une vaste blague, une sorte de Panade à Champignac jijéen. Les deux compères y croisent un suisse excentrique et richissime, acceptent de tout quitter pour le suivre en Europe  avant de finalement partir à la recherche de la tante de leur nouvel ami, qui voyage avec en tête une Amérique de roman-feuilleton et n’hésite pas à mitrailler les indiens au risque de raviver des guerres ancestrales. Le tout se termine comme il se doit par une grande fête — de quoi laisser circonspect le lecteur de western classique.

Montrant bien cette orientation de Jijé, l’intégrale est complétée par ¡Que barbaridad !, une série de gags autour de Pancho publiées dans le Trombone illustré, et Le Baron Von Richönstein chez les Empa-pahutés, curieux récit court de 1979 dans lequel Jijé croque son cowboy pour la dernière fois, cette fois-ci dans une veine totalement humoristique. Reprenant le fantasque personnage de suisse du Grand Calumet, il achève ici une mutation curieuse mais néanmoins logique, qui rappelle ce que fera — plus subtilement — son élève Giraud quelques années plus tard avec Mister Blueberry.

Notes

  1. Qui reste à ce jour le seul scénariste à avoir reçu le Grand Prix d’Angoulême, en 1986.
  2. Elle surgit soudain du fond d’un canyon pour proposer un thé à Spring et Pancho, qui y errent depuis plusieurs heures.
  3. Ils s’en vont sous le regard triste de la demoiselle à qui sa gouvernante conseille d’aller trouver de vrais garçons corrects à la ville.
Site officiel de Dupuis
Chroniqué par en novembre 2012