Minimum Wage

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Minimum Wage serait une autre façon d’évoquer ce que dans une autre ville monde centripète et à d’autres époques, on appelait la bohème. Les Humanos ont profité de la réédition intégrale publiée en 2013 par Image et ayant été profondément revue par l’auteur, pour en faire aujourd’hui la première traduction en français.

C’est en juillet 1995 que sort le premier numéro de ce comics[1]. Par sa forme semi-autbiographique, le parcours de son auteur, son style et son ton, il a pu apparaitre pour certains comme un lien entre divers courants de bande dessinées, témoignant peut-être d’une des premières formes d’acculturation des acquis «indés», en faisant le pont entre des formes plus crues et d’autres plus grand public. Jeune homme normal, sans excès, collocations, mariages, le synopsis ainsi formulé pourrait être celui d’un soap opéra ou d’une série télé du type Friends, si ce n’était la réalité de la grosse pomme, les particularités extrêmes de sa faune ou les affres intimes d’une vie de couple toujours soigneusement évités par les normes télégéniques[2].

Si quasiment 20 ans plus tard l’œuvre de Bob Fingerman se charge d’une forme de nostalgie pour les «nineties», cela ne tient pas seulement à la description d’une ville n’ayant pas encore connu la chute des deux tours ou d’une vie de tous les jours encore très loin des facilités d’un Internet ubiquitaire. Minimum Wage était dès sa sortie dans une forme de nostalgie sous-jacente. L’auteur s’y dessinait/transposait avec dix ans de moins[3], se posant la question alors actuelle pour lui de l’entrée définitive dans l’adultat par les responsabilités du mariage[4].
Minimum Wage aurait la nature profonde d’un compromis, d’un minimum redevable en toutes circonstances permettant une sur-vie qui serait rendu d’autant plus accessible et charmeur par une acuité de regard au diapason d’une précision graphique flattant la mémoire. Le livre apparait en cela comme une sorte de portrait détaillé, qui serait autant celui d’une génération dite X que celui d’une ville verticale vue à hauteur d’hommes et de femmes.

L’édition des Humanoïdes Associés ne reprend pas totalement celle d’Image. L’entreprise éditoriale aurait certainement été trop risquée pour l’éditeur parisien. Il y aura donc un autre volume, voire peut-être même un troisième puisque Bob Fingerman a récemment redonné vie à ces personnages, quinze ans après leur dernière apparition, dans une mini-série en six volumes.
Notons enfin que cette traduction apporte un plus pour le public francophone. Les «notes de la traductrice» (Marie Brazilier) éclairent et expliquent bien des allusions ou répliques que s’échangent les personnages. A l’heure où tous ceux s’intéressant aux comics semblent pouvoir a priori lire l’anglais dans le texte, l’intérêt d’une traduction et le travail du traducteur se rappellent ainsi par cet aspect, pouvant devenir d’autant plus nécessaires que se multiplient les œuvres jouant de la référence pour le meilleur ou pour le pire. Dans le cas de la neuvième chose, on peut trouver dommage que cela ne se porte pas encore sur les images. Dans certaines cases, Fingerman fait par exemple de nombreux clin d’œil en second plan[5], qui resteront lettres/images mortes faute d’explication, pour une majorité de lecteurs/lectrices de ce côté-ci de l’Atlantique.

Notes

  1. Le second volume fut chroniqué sur du9 dès 1999.
  2. L’avortement, le racisme et l’homophobie ordinaire sont abordés très directement, comme témoignage, par l’auteur.
  3. Bob Fingerman devenait Rob Hoffman.
  4. Dans l’édition en français, il précise même sa date de demande en mariage : en janvier 1995, à Paris. Notons aussi que Fingerman sait mettre plus directement son couple en scène, mais dans un univers cette fois moins réaliste, dans son livre From The Ashes publié en 2010.
  5.  Notamment dans le chapitre sur une convention de bande dessinée.
Site officiel de Bob Fingerman
Chroniqué par en mai 2014

→ Aussi chroniqué par Xavier Guilbert en mars 1999 lire sa chronique