Mon frère nocturne
L’anniversaire de sa naissance peut être celui de sa mort. L’anniversaire de sa naissance, peut-être celui de sa mort. Phrases jumelles et pourtant différentes,[1] résumant parfaitement par le fond et la forme nuancée qui les distinguent, le postulat d’un livre tenant dans cette respiration (virgule), et dans cet espace et/ou ce trait d’union entre deux verbes : pouvoir et être.
Jakob va avoir dix ans, il vit cet anniversaire comme un compte à rebours. Né du deuil, conçu immédiatement après la mort de son frère aîné, il en porte le prénom et atteint l’âge exact où celui-ci trouva la mort. Avant il n’était que «tout le portrait» de son frère ; aujourd’hui, dans cette focalisation d’un anniversaire semblant à la fois double et fusionnel, il en devient le reflet, le jumeau spéculaire par destinée.
Dix ans dans un mois, dans un moi ne sachant plus totalement qui il est. Jakob (lequel ?) survivra-t-il ? Connaîtra-t-il ce destin que des adultes rendus impuissants par l’implacabilité de celui-ci sur un enfant, lui prédisent de leur mutisme et de leur regard appuyé brillant d’une peine insurmontable ? N’est-il que la réincarnation jusque dans la mort prématurée de ce frère qui hante ses rêves et déchante ses jours par les musiques qu’il a laissé ?
Le salut passera par celle confirmant son identité : Miranda, rencontrée à ce cours de piano où, par la présence intacte d’une musique, il se confronte plus qu’ailleurs à ce frère prodige l’ayant précédé.
Curieuse autrement, extérieure à ce deuil persistant, la jeune fille pose les questions qui dérangent : Où est enterré ce frère ? De quoi est-il mort ? Où est ce père jamais vu ? Qu’est-il devenu ? Pourquoi est-il parti ? Etc.
Petit à petit Jakob s’ouvre, voit les chemins de traverses, de l’autre côté de ce miroir fait d’affliction et d’un certain narcissisme. Il comprend qu’un mot peut signifier plusieurs choses, nommer plusieurs personnes. Et cette évidence devient limpide : Jakob ne peut être Jakob, car il a toujours été Jakob. La vision était double, la mise au point se fait, l’image devient nette.
Cette sensibilité à la dualité portant et sapant l’idée de double, Joanna Hellgren la distille dans toute l’œuvre : relations entre les textes et les images, l’ambiguïté des situations, enfants face aux adultes, une jeune fille vivante et une mère en deuil, statut de la voix intérieure, de la création et de son inspiration, etc. La bicyclette, à la fois cause et solution du drame matérialise ce double en soi dans des apparences semblant doubles. Deux roues, deux cycles reliés par une chaîne, dont un suit l’autre qui le guide. Littéralement, un Jakob prendra le guidon et passera ce fameux pont.
Sans sensiblerie inutile et avec finesse, Joanna Hellgren construit une histoire à la polyphonie savante, peut-être prévisible mais sachant surprendre par une rythmique singulière, allant du montage au rapport texte / image, à un dessin passant incessamment de la plume au pinceau, comme soulignant une nécessité de comprendre et une forme d’urgence à savoir.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!