Les Penseurs

de

Idées fixesAprès Les Parleurs, dans la même collection, François Ayroles publie Les Penseurs, qui poursuivent son étude maniaque des situations schématisées, saisies dans leur crudité, ramenées à l’essentiel. Ayroles inventorie les cas possibles d’une combinatoire fondée sur des principes très simples : les personnages peuvent être soit hommes, soit femmes (genre) ; soit enfants, soit adultes, soit vieux (âge) ; soit seuls, soit en petits groupes, soit en masse (nombre) ; éprouvent des désirs génériques (un bock de bière, une cigarette, ou l’amour) représentés par trois figures simples (le bock, la clope, un coeur) qui apparaissent dans leurs bulles parlées ou pensées, à l’exclusion de tout discours verbal. A partir de cette situation de base, Ayroles décline des combinaisons, des situations, des relations entre les êtres qui transpirent à travers la sécheresse formelle de l’illustration — un trait simple et clair, presque géométrique, définissant des silhouettes presque interchangeables.

La mécanique des passions que décrit Ayroles rappelle le travail de Delisle dans Aline et les autres ou dans Albert et les autres : bande dessinée muette, minimaliste, qui fait de la case la petite scène dramatique et dépouillée d’une pièce en un acte, au terme de laquelle une configuration humaine aura été disséquée. Mais le regard d’Ayroles est plus cruel et plus indifférent : les personnages inexpressifs, les corps rigides, les attitudes guindées font du regard de l’auteur un pur examen clinique. Ayroles dissèque et analyse, mais il ne crée pas d’empathie, et nulle tendresse ne vient rehausser la mécanique, dans laquelle les humains semblent se comporter comme de petits robots incapables d’échapper à leur déterminisme.

Cette froideur et ce dépouillement finissent par épuiser les planches elles-mêmes : le jeu est si maîtrisé qu’il ne parvient plus à être quoi que ce soit d’autre qu’un jeu. On suit la combinaison, sans passion, avec une admiration de technicien : la mécanique des passions qu’analyse Ayroles contamine son livre et son travail, lequel se trouve lui-même réduit à une mécanique des figures au fond un peu anecdotique. La virtuosité formelle se mange la queue.

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Chroniqué par en mai 2006