Période Glaciaire

de

Sur une terre retournée aux froidures glaciaires la rendant post-historique (situation froide et hautaine), un groupe d’hommes et de femmes recherchent les vestiges de « l’agglomération » aidés de leurs chiens mutants patatoïdes au flair historiologique, parlant aussi bien le langage des hommes que ceux décris par Simak.[1])
Aux nécessités d’une narration emmêlant les ficelles qui font les beaux paquets, surgira le musée dont le nom est accolé sur la couverture de l’album à celui de l’éditeur.
S’en suivra une visite du lieu et de cette Histoire en objets et en images qu’il contient, qui dans un sursaut final s’autonomisera en un immense chien, sorte de Léviathan d’œuvres et de mythes, véloce et chaud car pas patatoïde. Oui, il suffisait d’un chien mutant enrhumé pratiquant la rhétorique et les rêves érotiques[2] pour que l’ellipse soit bouclée.

Dit comme ça, cela peut paraître plaisant. Pourtant lu en album de bande dessinée, le tout est plutôt fourre-tout et un peu fastidieux.
De Crécy multiplie les incohérences scénaristiques,[3] faisant sombrer son histoire dans les clichés habituels et le citationnel convenu. L’album est boiteux, commence en science fiction et se termine dans une apothéose onirique, qui ressemble plus à une fuite. Bien sûr, les idées sont bonnes (sans être originales pour qui lit de la science-fiction), mais effleurées et racontées comme des brèves de comptoir dont on attend en souriant une chute qui ne vient jamais.

Le fait d’utiliser la science-fiction pour départ, plus ou moins pour justifier la nouvelle ère glaciaire, plus ou moins pour mettre de la fiction dans ces sciences dites humaines que sont l’histoire de l’art et l’anthropologie, semble, peut-être, être l’erreur qui fait sombrer le propos.
Si l’auteur s’était limité à approfondir l’univers onirique qui est le sien, si ces chiens savants mutants avaient été les uniques acteurs de cette histoire, peut-être aurait-on perdu moins de temps, vu moins de pages inutiles et les propos auraient alors gagné en humour ce qu’ici, ils perdent en finesse en s’imposant comme clichés.
Les meilleurs moments sont d’ailleurs ceux où le chien Hulk se retrouve seul dans le musée, où les objets lui parlent plutôt qu’ils ne servent le discours des humains,[4] que l’on rapproche trop (anthropocentrisme oblige) d’un point de vue sans finesse de l’auteur.

Mais peut être également, ce livre a-t-il manqué d’interlocuteurs dans sa conception, d’une direction éditoriale sachant relier l’étrange carrefour qu’est cet album, entre deux cultures, mais aussi entre un éditeur en recherche de ce supplément d’âme culturel qui lui manque tant, et une institution qui veut, qui doit, démocratiser la culture classique et voit soudain cette panacée dans un médium « jeune » et populaire par sa forme et sa mythologie.
Choisir ou être contacté[5] par un auteur reconnu comme tel depuis longtemps (et par la qualité de se œuvres qui plus est) ne pouvait qu’être le compromis idéal.
Malheureusement l’idéalité est rarement dans cette notion de compromis. Ici elle accentue certainement les travers de conception et, pour une bonne part, expliquerait le peu d’enthousiasme qui se dégage de et à la lecture de cet album.

Notes

  1. Demain les chiens, Clifford D. Simak (1952
  2. Se rêver le petit bichon de la dame, balayant en toute innocence animale d’un frétillement de joie purement canin l’entrecuisse de celle-ci de cet appendice non préhensile poursuivant la colonne vertébrale de quelques os et quelques poils (comme un pinceau tenu par Fragonard).
    Allusion à la Jeune fille faisant danser son chien sur son lit un tableau se trouvant à Munich, associé, ici, pour la circonstance d’une chronique, à celui montré à la page 3 case 8, intitulé Le Feu aux poudres non cité dans l’index des œuvres à la fin de l’album.
  3. Les scientifiques humains lisent le français mais discourent sur les tableaux comme si ceux-ci n’étaient pas légendés, le Louvre surgit sans que l’environnement glaciaire laborieusement décrit le justifie (en plus il surgit intact alors qu’Hubert Robert avait su le montrer en ruine…), etc.
    Toutes ces incohérences font que De Crécy semble avoir une idée (ou un impératif) et s’échine ensuite vaille que vaille et au petit bonheur la chance à la justifier par de vagues et rapides préliminaires narratifs. A procéder ainsi pour chaque idée (ou impératif), le tout s’entasse et s’emmêle plutôt que de tisser une véritable trame.
  4. Les pages 44 à 47, entièrement composées de détails de tableaux, sont un discours avec des images (comme la bande dessinée) et non un discours sur des images (comme peuvent l’être l’histoire de l’art et d’autres sciences humaines). Comment véritablement plagier un discours si l’on n’en adopte pas au moins le point de vue qui en fait l’originalité ?
  5. J’ignore au moment où j’écris ces lignes qui de l’auteur, de l’éditeur ou de l’institution muséale est principalement à l’origine de cette nouvelle Période glaciaire. Au vu de la page 2 (associé à l’index des œuvres citées et à certaines scènes trop didactiques et tombant comme un cheveu sur la soupe) j’en déduirai que le rôle institutionnel fût prépondérant, mais sans plus « ample information » comme on dit, cela reste de la déduction.
Chroniqué par en novembre 2005