Sainte Fabrique
Il n’y a pas de titre sur la couverture. Juste un dessin d’une vertigineuse précision, d’un lieu semblant professionnel par son architecture et les objets qu’elle contient.
En l’ouvrant le livre s’appelle Sainte Fabrique, mais à la lecture il désigne moins une portion déterminée de l’espace qu’une activité dont la joyeuse sanctification montre l’enjeu et la rigueur nécessaire. Car «fabrique» (ou «fab») signifie chez les associés s’occuper de la réalisation d’un livre, de «vérifier les films, aller aux calages, gérer les devis et les délais» à «refuser un tirage raté par un imprimeur ou négocier une remise pour une malfaçon».[1]
Au-delà du fait de vouloir préserver les qualités intrinsèques d’un dessin, c’est sûrement pour éviter toute confusion du lieu avec l’action que la couverture se trouve vierge de mots. Imaginez les mots «Sainte Fabrique» dessus et le lieu se trouve légendé, d’autant plus facilement que toute cette précision des traits semble indiquer justement une fabrique… L’absence de l’auteur et de l’éditeur coule aussi de source puisque la «fabrique» n’est pas l’activité identitaire d’une personne mais un emploi et une maison d’édition n’est pas un lieu mais d’abord une structure.
Au printemps 1998, L’Association cherche un «chef de fab» à mi-temps. Jean-Yves Duhoo, ami de longue date (période Globof) de certains associés est choisi pour ce poste qu’il va exercer jusqu’en 2000, avec pour apogée la responsabilité de la réalisation du monstrueux (par la taille) Comix 2000.
De cet intervalle professionnel de quasiment deux ans, Duhoo fait une bande dessinée muette d’une trentaine de pages en guise de bilan, magnant intelligemment le nostalgique en allant du pas grand-chose essentiel des différents rites sustentateurs aux aléas des imprimeurs et des tarifications postières.
Etre employé par L’Association, c’est se voir attribuer, suivant son genre, le titre de frère ou de sœur immédiatement suivi d’un qualificatif aimant l’hyperbole désignant la fonction de son contrat de travail. Les détracteurs se demanderont «quelle est cette étrange secte ?». Les sympathisants (adhérents) y reconnaîtront une forme d’utopie et de camaraderie promettant des lendemains chantants loin de ceux les limitant à des notions purement politiques et/ou économiques faisant les livres noirs.
Duhoo portraiture les protagonistes de cette petite entreprise où la passion pour la bande dessinée et l’édition de bandes dessinées est la première des motivations. On se laisse assez finement aller au rythme d’un quotidien s’accélérant par l’échéance du Comix 2000, pour ensuite revenir à ce calme après l’autre tempête concomitante qui marqua nos mémoires habituellement amnésiques aux météos des jours.
Uniquement distribué aux adhérents de L’Association, ce livre («cadeau-adhérent 2002» reçu début 2003) a aujourd’hui une double valeur documentaire. D’abord en tant précisément que documentaire sur le fonctionnement d’une Association «pré-satrapienne» dans ses dimensions éditoriales ; ensuite en tant que document dévoilant le talent d’un auteur que l’on retrouve partout actuellement, de Capsule Cosmique[2] aux éditions Lito/Onomatopée en passant par Hachette et son récent mais très décevant Ecoloville.
Comme le souligne Menu qui signe ici une préface très élogieuse, Duhoo est considéré comme «un des meilleurs dessinateurs de sa génération» mais la Sainte Fabrique est son premier album.[3] Pour l’instant, et en attendant (espérons) que ses planches pour Capsule Cosmique soient publiées en album, cela reste aussi le meilleur.[4]
Notes
- Jean-Christophe Menu dans sa préface, p.5.
- Duhoo y signe L’atelier, série très bien conçue, présente depuis le premier numéro de Capsule Cosmique, montrant comment faire de la bande dessinée.
- Toujours dans la préface, note 1.
- La Sainte Fabrique est toujours disponible à L’Association, 16 rue de la Pierre-Levée, 75011 Paris, Tél. : 01 43 55 85 87, Fax : 01 43 55 86 21, Mèl. : lhydre(at)lassociation.fr
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