Tyler Cross – Miami
Avec la sortie d’un troisième tome de la série Tyler Cross intitulé Miami, Fabien Nury, l’un des scénaristes à succès du moment, et Brüno, dessinateur de plus en plus en vue, assisté de Laurence Croix, sa coloriste habituelle, poursuivent une collaboration fructueuse dans le domaine de la bande dessinée policière. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel genre policier : la prétention est de transposer le roman noir dans le cadre du 9e art. Dans ce troisième opus, qui peut se lire indépendamment comme les deux précédents, les auteurs proposent à leur lectorat de retrouver le gangster-tueur au sang-froid et à l’efficacité redoutable. Bien entendu, les morts vont rythmer un récit haletant jusqu’à sa fin.
Comme dans Black Rock et Angola, Nury construit son récit autour d’un objectif à atteindre. Ici, il va s’agir pour Tyler Cross de récupérer 70 000 dollars que son avocat n’a pas « placés » de façon intelligente, et ce afin d’avoir les moyens de disparaître à nouveau : il a été retrouvé par la mafia qu’il avait soulagée de 17 kilos de drogue avant d’aller faire un tour dans une prison dont on ne revient pas. Et s’il y a moyen de se faire un petit supplément au passage… Comment refuser une telle opportunité ! Tyler Cross va donc devoir organiser un braquage qui ne se passera évidemment pas comme prévu. En effet, s’il avait réfléchi un peu plus sur les personnes avec qui il a monté son coup, il aurait compris plus vite dans quel guêpier il allait se fourrer.
Fabien Nury semble revenir aux fondamentaux du tome initial : braquage et belles pépées (à la durée de vie assez courte). Pourtant, à bien y regarder, il y a un changement fondamental : un personnage féminin au delà des archétypes abondamment exploités dans les deux premiers tomes. Culturellement[1], dans le roman noir, les femmes sont des victimes puisque les victimes doivent être faibles (ce qui est l’une des principales caractéristiques féminines, n’est-ce-pas ?). C’est le cas dans les trois tomes de Tyler Cross. Et si les femmes ne sont pas faibles, elles sont mauvaises[2]. Elles sont alors manipulatrices, intrigantes et agissent au détriment du héros (donc des hommes en général).
Dans Miami, il y a donc un véritable personnage féminin fort[3]. Avec Shirley Axelrod, les femmes ne sont plus seulement là pour se faire frapper et/ou tuer, pour chercher à doubler Tyler Cross, ou pour servir d’élément détonateur dans la narration… Il y a toujours de cela, certes. Toutefois, Miss Axelrod est quelqu’un qui sait réfléchir, qui sait ne pas dépendre d’un sauveur lorsqu’elle est en grande difficulté. Elle agit dans son propre intérêt, qui est de survivre dans une mer de requins. Elle sait rebondir grâce à une incontestable intelligence et un courage devant des situations imprévues, ce qui n’est pas sans rappeler un certain tueur au sang-froid. La misogynie des deux premiers tomes, typique du roman noir d’après Fabien Nury, est donc battue en brèche.
En fait, une séquence de quinze pages retient l’attention : elle met particulièrement en valeur Miss Axelrod, pourtant secrétaire de direction « normale ». Outre les agissements particulièrement efficaces de la dame, ce sont ses regards et ses silences qui sont autrement marquants et qui la mettent en valeur. N’oublions pas que le récit se passe dans les années 1950 et qu’à cette époque, les femmes ne devaient pas être trop actives dans la sphère publique et n’avaient pas grand droit à la parole… Ce n’est que dans les années 1970 que l’on verra apparaître des femmes dures-à-cuire[4] dans les romans et le cinéma policier. Fabien Nury, Brüno et Laurence Croix réussissent ici à illustrer l’évolution de la société américaine à venir (et donc de la culture populaire) tout en gardant à l’esprit la condition féminine de l’époque.
Notes
- Lire à ce sujet l’essai Idées reçues : le polar de Audrey Bonnemaison et Daniel Fondanèche, Éditions Le Cavalier Bleu, 2009.
- Stella Bidwell — en quelque sorte — dans Black Rock, Velma Kroeker et Iris Bowman dans Angola
- Notons qu’il y avait les prémices d’un tel personnage dans Angola avec le personnage de Delilah Frachette, la mère de Billy. Toutefois, il restait secondaire.
- CJ Harper était une femme d’action dans Black Rock, mais elle meure dès les premières pages et disparaît définitivement du récit.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!