Jacques de Loustal

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Jacques de Loustal, dit Loustal, est illustrateur et auteur de bande dessinée. Au fil d’une carrière de plus de trente ans, Loustal a su rester un dessinateur contemporain et actuel, qui réussit à être présent tout en sillonnant le monde. Artiste fréquemment exposé pour la grande qualité graphique et la puissance sensible de ses images, Loustal a montré toute sa vie un constant désir de voyage et de rencontres, ce qui en a fait un partenaire idéal des institutions chargées de promouvoir la culture française à l’étranger.

Pilau Daures : Pouvez-vous me parler des expositions de l’AFAA[1] pour lesquelles vous étiez sollicité ?

Jacques de Loustal : Il y a eu une grosse exposition, en 1992, pour laquelle l’idée était d’exposer douze dessinateurs (un par mois) et de faire des expositions dans de nombreux instituts français en montrant une exposition plus précise d’un des douze, accompagnée d’une exposition collective des onze autres, avec cinq ou six pièces de chacun. On a pas mal voyagé comme ça, effectivement. C’était une opération d’assez grande envergure, parce que c’était des originaux, donc il y avait des transferts des œuvres. C’était vraiment la grande époque de l’AFAA où ils promouvaient beaucoup l’illustration ; c’était l’époque de Jean Digne, et c’est vrai que dans tous ces centres culturels, il y avait un assez bon accueil de l’illustration, de la bande dessinée, enfin du mode narratif, comme vecteur de la langue française. De nos jours c’est moins fréquent, ils font des installations d’art contemporain, je ne sais pas si ça a le même impact…

PLD : Vous avez souvent accompagné ces expositions ?

JdL : C’est-à-dire que moi j’adore voyager, donc déjà j’ai accepté de remplacer des gens au pied levé, parce qu’il y a pas mal de dessinateurs qui, finalement, n’aiment pas tellement voyager, curieusement… C’est comme ça que j’ai pu aller au Brésil, au Mexique, et puis je suis allé à Reykjavik. Je crois que j’ai fait trois déplacements en accompagnant cette expo.

PLD : Dans ce cadre, quel était votre rôle d’auteur-dessinateur ?

JdL : Il fallait faire une présentation de l’exposition, une petite conférence sur la bande dessinée, sur mon expérience, des échanges avec la presse… Ce sont des choses que j’ai beaucoup continué à faire, mais à titre individuel, dans les instituts français. Là, en novembre j’étais à Tôkyô et à Kyôto. Là aussi, je fais des expositions, mais j’ai depuis peu proposé autre chose : des résidences. Ce sont des séjours que je fais, d’une quinzaine de jours sur place, je dessine beaucoup, et j’expose les dessins que j’ai faits, la veille de mon départ. Mais c’est plus du dessin fait sur place, du dessin de voyage, que de la bande dessinée.

PLD : C’est une autre forme d’exposition qui s’apparente plus à la conclusion d’une séquence de création qu’à une rétrospective sur une œuvre passée.

JdL : Oui, mais évidemment, en accompagnement de ces résidences, il y a forcément une petite expo qui a lieu dans les médiathèques ou les instituts français ou des choses comme ça.

PLD : Sur ces résidences, qui est commanditaire, Cultures France ?

JdL : Non. Dans les années 90, 2000, il y avait des budgets du côté de l’AFAA, mais de nos jours, c’est plus décentralisé : ce sont les instituts qui me font venir ; ils se débrouillent avec des budgets locaux et des partenaires locaux. Par exemple au Japon, une partie de mon voyage était payé par les universités parce qu’ils faisaient des petites conférences ou des workshops, des choses comme ça. J’ai fait cela aussi à Essaouira il n’y a pas très longtemps, où c’était combiné avec des partenaires de l’Alliance française sur place. Quand je fais des déplacements, ce n’est plus du tout dans les mêmes conditions. L’AFAA n’intervient plus systématiquement, et du coup, il n’y a plus les mêmes moyens pour faire des expositions d’originaux, c’est-à-dire avec un transporteur, avec un budget d’assurance. La dernière très grosse exposition que j’ai fait comme ça avait tourné dans toute l’Amérique du sud, en 95-96 : j’avais fait beaucoup de peintures, des croquis, des choses comme ça, et ça a été exposé dans les alliances d’Argentine, Chili, Equateur… Pour faire cela, il fallait un transporteur spécial, des caisses spécialement réalisées à la taille de mes peintures, qui étaient exposées au Musée des Beaux Arts de Santiago. C’est une époque révolue : comme le système a changé, je propose des expositions de multiples, des lithos, des sérigraphies. Je viens avec, dans mes valises, avec un tube et il n’y a aucun problème d’assurance. Ça permet de faire une exposition, ça permet aussi de bien occuper un espace, parce que c’est en général assez grand et assez coloré. Maintenant, c’est un peu comme ça que ça se passe : ça, et les dessins que je fais sur place. Ça s’accompagne aussi d’une série de conférences. J’ai proposé ça parce que je n’aime pas tellement faire des interventions en milieu scolaire.

PLD : En dehors de ces résidences, vous avez fait l’objet de plusieurs expositions. Quels sont les enjeux d’une exposition de vos travaux ?

JdL : Les grosses expositions, ça permet de faire des sortes de rétrospectives, de montrer l’ensemble du travail, de montrer des originaux. Personnellement, j’aime bien aller voir des expos où il y a des documents originaux, comme celle d’Hugo Pratt en ce moment à la Pinacothèque[2] où il y a des pièces absolument magnifiques. Moi j’aime bien montrer ça. J’ai eu la biennale de Cherbourg,[3] il y a quelque temps, et là c’était un vrai travail avec les commissaires d’exposition. En plus j’y ai fait une résidence donc il y avait une création liée à cette expo : une dizaine de grands fusains dans les bunkers de Cherbourg. Là j’en ai une en préparation au Musée des Beaux Arts de Mulhouse… A chaque fois qu’on me propose ça, je ne vois vraiment pas de raisons de refuser : c’est une mise en valeur de mon travail, ce sont des choses qui ne sortent jamais de mon atelier et que je montre. Evidemment, il y a la promotion, il y a une vente de livres au moment de l’exposition, mais c’est toujours très négligeable.

PLD : Donc c’est avant tout un plaisir ?

JdL : Tout dépend de la mise en valeur du travail et du lieu. Evidemment quand ça me donne l’occasion d’aller voyager à l’autre bout du monde, c’est encore mieux. Mais quand c’est dans un joli musée, quand c’est une exposition qui dure plusieurs mois… Là, je vais avoir une exposition à Lucerne, au Fumetto,[4] où, tous les ans, un artiste est invité en résidence : je dois faire un dessin par jour en passant dix jours là-bas. Là il y a un commissaire d’expo qui regarde ce que je fais et c’est lui qui définit une identité à l’exposition en choisissant un certain nombre de pièces et pas d’autres.

PLD : Comment se passe ce travail avec un commissaire d’exposition ?

JdL : En général je le laisse dans mon atelier, il regarde tout, il regarde ce qui l’intéresse, il demande d’autres choses dans le même esprit.

PLD : vous vous impliquez dans la scénographie ?

JdL : Moi personnellement, je ne m’en occupe pas : ce n’est pas mon travail, je ne connais pas les trucs… J’ai toujours l’impression qu’il y a dix mille façons de les présenter alors j’ai tendance à faire confiance et à arriver la veille du vernissage.

PLD : Qu’est-ce qui vous paraît le plus propice à exposer, des planches originales, des carnets, des dessins isolés… ?

JdL : A mon avis, tout : les planches de bande dessinée, il y a des gens qui aiment bien, surtout quand c’est de la couleur directe ; il y a aussi tout un marché autour de l’illustration : moi j’en achète, j’en échange, j’aime bien avoir des illustrations bien encadrées… parfois je montre un peu du travail préparatoire, mais ça c’est un type d’exposition un peu plus didactique ; et il y a aussi les peintures, les grands formats. J’essaie que les expos aient une certaine cohérence : soit on montre uniquement le travail de bande dessinée, soit on montre quelque chose autour de la musique, soit on ne montre que les peintures, ou que les fusains. Ou alors, si c’est très grand il faut faire en sorte d’avoir des sections différentes pour chaque type de pièce exposée.

PLD : Quel est le rapport qu’entretient l’exposition de bande dessinée avec le livre ? Diriez-vous qu’il s’agit de deux facettes d’une même œuvre, de deux œuvres distinctes, d’une œuvre principale déclinée dans une forme secondaire ?

JdL : C’est une déclinaison. Pour moi, cela n’a pas le même intérêt qu’une exposition où je présente des choses inédites qui ont été faites pour un accrochage. C’est une sorte de lancement du livre. Quand j’expose des planches originales d’un livre qui vient de sortir, c’est dans l’idée de créer un petit évènement autour de la sortie du livre, qui permette au gens de voir le travail… Non, ce n’est pas une œuvre à part, c’est une déclinaison, un bonus.

[Entretien réalisé par téléphone le 21 mars 2011.]

Notes

  1. L’Association Française d’Action Artistique était une association, opérateur délégué du ministère des Affaires étrangères et du Ministère de la Culture, chargé de mettre en œuvre des échanges culturels internationaux. L’AFAA est devenu en 2006 Cultures France, remplacé en 2011 par l’Institut Français, qui est un EPIC. L’AFFA, puis Cultures France et désormais l’Institut Français travaille avec les 150 Instituts français et les 1000 Alliances Françaises qui constituent le réseau culturel français à l’étranger.
  2. Le Voyage imaginaire d’Hugo Pratt, Pinacothèque de Paris, Paris, 2011.
  3. Loustal, Clair obscur, Musée d’art Thomas-Henry, Centre culturel de Cherbourg, 2008.
  4. Fumetto, festival international de la bande dessinée de Lucerne, avril 2011.
Entretien par en mars 2012