Vues Ephémères – Juin 2007
Profitant de l’actualité trépidante d’un mois de Mai riche en congés divers et préfigurant des vacances estivales qui ne sont plus très loin, revenons sur un événement déjà mentionné dans cette rubrique le mois dernier, à savoir la sortie chez Dargaud du petit livre carré de Jordan Crane, The clouds above — petit livre carré qui, à l’occasion d’un voyage transatlantique, s’était retrouvé comme le fauteuil du même nom, à savoir très allongé. Je m’étais d’ailleurs interrogé sur les conditions qui avaient présidé à cette métamorphose, et par quel miracle éditorial les 216 cases en autant de pages publiées par Fantagraphics s’étaient retrouvées sagement rangées dans un «album-standard 48 pages cartonné couleurs», pour reprendre la formule désormais consacrée.
Il faut croire que je n’étais pas le seul à me poser de telles questions, puisque Tom Spurgeon s’est chargé d’aller les poser à Jordan Crane lui-même, dans un mini-entretien publié sur son site, le Comics Reporter. Et l’intéressé de répondre, sans ambage : «They gave me two options when we talked about doing the book. They said, « We can just republish the book exactly how it is. » Or, and they would prefer the second one, « We can reformat it into the European format. »»
Et d’expliquer que pour rentrer dans le moule et d’atteindre les 48 pages fatidiques, Jordan Crane s’est vu obligé de rallonger l’histoire et de dessiner un certain nombre de pages supplémentaires.[1] Pour être tout à fait honnête, l’auteur se montre satisfait de la version retravaillée — même si, au lieu des deux mois envisagés au départ, il lui a fallu six bons mois pour venir à bout de cette «adaptation».
Quelque part ailleurs sur la toile, les gens de Cornélius relevaient le triste sort réservé à L’inconnu de Magnus (dont ils republient par ailleurs les Nécron dans une superbe version) par Casterman. Pourtant présenté sur le site de l’éditeur comme «un classique majeur de la bande dessinée italienne d’aventure, devenu introuvable en Italie — car jamais réédité — et demeuré inédit en France, par un auteur considéré lui aussi comme une référence absolue en la matière», la version française fait foin du format carré de l’original pour donner dans l’album cartonné, pour 118 pages généreusement accordées.
Pas de chance par contre, Magnus n’étant plus de ce monde, c’est un illustre inconnu qui s’est chargé de recomposer tout cela afin d’occuper tout l’espace de la page, faisant peu de cas de la «narration irréprochable» et s’accordant des libertés avec le «graphisme d’une rare efficacité» que la notule mentionne pourtant.[2]
A ce sujet, dans son Système de la bande dessinée, Thierry Groensteen écrivait : «Quand une image est recadrée, que ce soit par amputation ou extension, il apparaît que les responsables éditoriaux ont moins d’égard pour sa composition interne (son équilibre, sa tension, son dynamisme) que pour la coalescence de la planche, l’objectif poursuivi étant le maintien d’une forme de solidarité géométrique entre le support et les vignettes qui s’en partagent la surface.»
Une manière polie de dire qu’entre des impératifs de format et le respect d’une œuvre, c’est le plus souvent ce dernier qui cède. Témoins ces derniers temps les Corto Maltese en petit format retaillés à la hache, ou le Julius Knipl entré au pied de biche dans la collection Ecritures — une mauvaise série sans doute, estampillée Casterman. Pour le moins fâcheux.
Mais de manière générale, cette légèreté de traitement que l’on retrouve également dans des opérations commémoratives aux qualités douteuses, associée aux réponses cavalières de quelques responsables sur les forums des sites officiels, tout cela concourt à instaurer le doute quant à la bonne foi de certains éditeurs de bande dessinée qui, obnubilés par le «produit», auraient perdu de vue son aspect «culturel». Et oublié, du même coup, le respect de l’œuvre et du lecteur.
ATAK & Gertrude Stein – Ada – Frémok, Collection Flore
Peter Bagge – En route pour le New Jersey – Rackham, Collection Morgan
Alex Baladi – Peine perdue – L’Association, Collection Mimolette
Pascal Blanchet – Bologne – La Pastèque
Joe Daly – Scrublands – L’Association, Collection Ciboulette
Jean-Claude Götting & Martin Matje – Rebecca – La Pastèque
Matti Hagelberg – Kekkonen – L’Association, Hors Collection
Tatiana Gill & Damon Hurd – Pictures of you – Éditions çà et là
Kaneko Atsushi – Bambi t4 – Éditions Imho
Mawil – The band – Six pieds sous terre, Hors-collection
Mizuki Shigeru – Kitaro le repoussant t2 – Cornélius, Collection Paul
Sylvain Paris – Snaked trip & co, vers la ligne rose – La 5e Couche, Hors Collection
Vincent Pianina – Les désaventures de Monsieur Patigon – Six pieds sous terre, Collection Lépidoptère
Pieter de Poortere – Dickie t3 – Les Requins Marteaux
Mathieu Sapin – Le journal de la jungle 3 – L’Association, Collection Mimolette
Pierre-André Sauvageot – L’œil de Willem – Les Productions de l’Œil Sauvage
Rémy Simard – Boris t1 – La Pastèque
Yann Taillefer – Rut – Les Requins Marteaux
Versions Originales
Eddie Campbell – The Black Diamond Detective Agency – :01 First Second
Andy Hartzell – Fox Bunny Funny – Top Shelf Productions
Paul Hornschemeier – Three Paradoxes – Fantagraphics Books
Andi Watson & Josh Howard – Clubbing – DC/Minx
Grady Klein – Lost Colony Vol 2 : The Red Menace – :01 First Second
Peter Kuper – Stop Forgetting To Remember : The Autobiography of Walter Kurtz – Ballantine Books
Cathy Malkasian – Percy Gloom – Fantagraphics Books
Joe Matt – Spent – Drawn & Quarterly
Xavier Robel & Helge Reumann – Elvis Road – Buenaventura Press
Josh Simmonds – House – Fantagraphics Books
Jamie Tanner – Aviary – AdHouse Books
James Turner – Rex Libris Vol 1 : I, Librarian – Slave Labor Graphics
David Yurkovich – Death By Chocolate : Redux – Top Shelf Productions
Collectifs
Flight Vol 4 – Ballantine Books
MOME Vol 8 – Fantagraphics Books
Stuck In The Middle : 17 Comics From An Unpleasant Age – Viking Studio
Revues
Jade 390U – Six pieds sous terre, Collection Lépidoptère
Requiescat in Pace
– Mario Cubbino (77 ans), dessinateur italien ayant travaillé entre autres pour Amalgamated Press, avec une carrière variée allant de la romance à l’érotique en passant par les récits d’actions.
– Tom Artis (51 ans), dessinateur ayant travaillé entre autres pour Marvel, DC Comics, Fleetway/Quality, ou encore Dark Horse.
De l’autre côté de l’Atlantique, le joli mois de Mai a été l’occasion d’une tempête dans la blogosphère, tempête causée par 1. la sortie d’une statuette représentant une Mary Jane Watson bien (trop) gironde découvrant (ou, selon les interprétations, s’apprétant à nettoyer) le costume de son Spider-Man de mari, et 2. la prochaine couverture de Heroes for Hire avec trois héroïnes en bien mauvaise posture, sur le point de subir les derniers outrages aux mains ( !) d’une paire de tentacules menaçants. S’en sont suivies de longues discussions sur les représentations (dégradantes) de la femme dans les comics de super-héros en particulier. Il paraîtrait même que ça aiderait les ventes …
Notes
- Et d’indiquer par ailleurs que ce qui l’avait encouragé à se lancer dans l’aventure en premier lieu, était la promesse de Dargaud de s’occuper du lettrage, opération qui lui avait laissé de mauvais souvenirs sur sa précédente traduction chez La Pastèque. Pas de chance, Dargaud aurait «salopé le boulot» (sic), obligeant Jordan Crane à s’occuper lui-même de ce qui avait été pourtant l’argument décisif.
- On notera de plus que le tout est délicatement voilé d’un soupçon de flou qui fait assez peu sérieux.

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