Le Doute

de

Le doute s’insinue, tout l’album de Sylvain Victor semble bâti autour de cette expression qui empêche de dormir.

Ça se passe la nuit entre ombres et lumières de la rue, de l’immeuble en face. On n’est pas sûr, on hésite. Puis on s’interroge encore : entre sommeil et sans sommeil ? Entre rêve et réalité ? Entre solitude et vie à deux ? Entre deux âges ? Vivant ou mort ?

Le personnage fait une mise au point avec sa femme. Mais parle-t-il avec sa femme ou se parle-t-il à lui même ? « la vérité, c’est que celle que j’aimais en toi (…) » dit-il, ne parle-t-il pas finalement qu’avec cette femme dans la femme ? Laquelle des deux femmes est morte ?

Il y aussi cette peur de vieillir, ce corps dégoûtant d’instabilité qu’il faut lever pour aller le faire pisser. En face, un couple d’octogénaires font l’amour. Dégoûtant !« Alors ne regardes pas, ça ne te regarde pas ! !» dit-elle.
Le dé-goût ne parle pas !La perte gustative, la perte de la langue. Plus de baisers, et plus de mots. Comment communiquer avec « de la boue dans nos yeux, dans nos bouches ». Elle dit ça impassible dans le lit (est-elle morte ?), quand l’homme tourne autour de la couche (est-il vivant ?).

Il y a aussi un enfant dont on devine la présence par un dessin trouvé sur le sol (stable ?) de la chambre. Ah !cette temporalité diluée de l’enfance, bien cachée dans le noir de cette chambre à côté. Période bénite où tout n’était pas qu’échéance entre deux termes (homme femme, ombre lumière, adulte enfant, jeunesse vieillesse, réussite échec).
L’enfant dort, mais pas forcément d’un sommeil paisible et sans craintes, car dans son dessin on sent le malaise des adultes. La maison qu’il ou elle a dessiné(e) n’a pas de porte, et la fenêtre est de travers (ou tourne ?). Et dans l’herbe, pas loin de la fleur, il y a un serpent, glissant, s’insinuant. Cette autre pièce semble plus sombre tout à coup.
Vraiment seul ( ?) dans la nuit un homme (un couple) doute et se met à nu.

Ce travail de Sylvain Victor est magnifique. Distiller à ce point l’indécision, l’indicible des sentiments au coeur d’une nuit ou d’un homme sans sommeil, sans rêve, est du très grand art. Ici son style se redécouvre toujours, car c’est un auteur qui cherche et réfléchit sur son médium. Son talent est pour nous une certitude.

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Chroniqué par en avril 1999