
Comixture Jointe
La relation entre un film et un album de bande dessinée semblerait généralement relever de deux catégories : l’adaptation et l’évocation. Dans la première, on s’inspirerait d’un film pour faire une bande dessinée ou inversement. Dans la seconde, on utiliserait avec la même réversibilité de rapport ce qui identifie l’un pour l’utiliser dans l’autre. Les deux catégories pourraient aussi apparaître poreuses dans des proportions variables, dans la mesure où la première toucherait au récit et la seconde au langage.
Jusqu’à maintenant, cette relation semble avoir eu pour résultat une bande dessinée qui s’imagine en cinéma de papier, et un septième art qui cherche à reproduire en nombre d’entrées les succès éditoriaux du neuvième.
Si cette relation n’implique évidement pas l’absence d’œuvres parfois de grande valeur, ou d’auteurs qui ont su se renouveler en regardant ailleurs, on peut aussi se demander s’il n’y aurait pas une autre forme d’échange où le lien se ferait sous forme de dialogues. Ce livre de Mattt Konture soutiendrait cette idée, un peu comme, par exemple, le Dossier B de Benoît Peeters (1995) ou Our Movie Year d’Harvey Pekar.
Faux documentaire où la fiction contamine le réel, livre auto-fictionnel venant après un film où la fiction et le documentaire se brouille d’une autre manière, ces deux exemples sont aux frontières de ces classifications qui déterminent un film comme une fiction ou un documentaire, et ont pour point commun l’auteur. Dans l’un il devient acteur (et réalisateur), dans l’autre il se sent acteur dans la vie et devient auteur pour la raconter, la mettre en fiction quitte à ce que celle-ci soit ensuite jouée par des acteurs.
Cette possibilité de dialogue avec la bande dessinée se cristalliserait autour de l’idée d’auto-fiction, où cette «fiction elle-même» ou «soi-même»[1], presque à sa source pourrait-on dire, serait comme une acceptation ou un constat, à la manière de ce que pensent certains philosophes, que la conscience serait un récit, que celui-ci est possiblement accessible et racontable par un langage[2].
Mattt Konture et ses «auto-psys» ne pouvait qu’approfondir un dialogue avec un film classé comme documentaire et qui s’intéresserait à sa vie, son œuvre. Conscient inconsciemment, conscient de ses bas-fonds depuis une neuvième chose aux bas-fonds des arts et par conséquent, depuis presque un demi-siècle d’underground, à l’avant-garde d’elle-même, son œuvre est devenue une philosophie, un art de vivre, un «connais-toi toi-même» exemplaire. Le film de Francis Vadillo se nomme avec justesse L’éthique du souterrain[3] .
Auto de soi, autour d’auteur, si bande dessinée et film se rejoignent ici en un dialogue fécond, c’est par une même attention au montage du vécu. Le réalisateur filme rencontres et témoignages, fait ensuite une sélection et un montage dans l’idée de cerner un auteur. Celui-ci mémorise rencontres, dialogues d’une journée et en retranscrit certains en dessins et textes dans le montage de planches qui feront une «comixture», un mélange de comix[4].
Auto-documentation de soi de l’auteur ? Peut-être, comme vraies-fausses preuves de ce récit quotidien que serait sa propre conscience.
Ajoutons que Mattt Konture se distingue par trois avatars de lui-même : Mysteur Vro, Ivan Morve et Galopu. Avant d’être complètement lui-même, il a été partiellement eux. S’il l’est encore parfois, ce comix est une jointure des trois par les faits qu’expose l’objectif d’une caméra. L’auteur se voit comme Mattt Konture puisqu’il se sait filmé, voire peut-être comment s’il en a vu les «rushs».
Mais c’est aussi de là que nait le dialogue. Praticien de la gouttière, c’est entre deux plans du film que se glissent les planches de Konture. Il y trouve son chemin, y dialogue, fait parole. Celle-ci y tire un aspect inhabituel chez l’auteur, moins lié à sa vie sentimentale ou à sa maladie par exemple, qu’à l’acte de création qui a déterminé et continue à déterminer son existence.
Notes
- Etymologie du préfixe auto- qui vient du grec autos.
- Dans les cas du Dossier B, il s’agirait d’une auto-fiction de lecteur, voire de cinéphile. En quelque sorte, une contamination du récit de la conscience par d’autres récits : romans, films, Histoire de l’Art, etc.
- Sur la couverture du coffret, Mattt Konture a des allures de yogi ou de sâdhu.
- Ou peut-être «comixe» ? Un mélange partagé ? Un dosage de différents morceaux ? Pour Mattt Konture, comix est aussi un verbe. Par exemple planche 3 : «Je ne peux comixer que suffisamment motivé.»

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