Divine Colonie

de

Au siècle d’or, en Espagne, un jeune prince ne met pas des mots sur ce qui donne à ces rêves les formes du cauchemar, mais une série d’images sous la forme d’un triptyque, que l’on referme non pas comme un livre mais bien comme une fenêtre.

Il l’ouvre et s’y perd en contemplation, expliquant et donnant corps non verbal à un pulsionnel qui s’ignore entre Eros et Thanatos au pays d’une foi catholique omniprésente. Il y entend/voit, entre paradis et enfer, la foi visible du verbe qui s’était fait chair, dépouillé et crucifié, au carrefour de ses hésitations de jeune homme ne sachant dire désirs et peurs qui le taraudent. Il regarde ces/ses images et s’y perd comme, peut-être, Philippe II, roi du même pays et à la même époque, avait pu le faire avec les tableaux de Jérôme Bosch.

Ainsi posé, regardé, le triptyque est le théâtre symbolique matriciel qui, avec tout ses acteurs dépeints, rentrera en écho hasardeux ou providentiel avec l’expérience immédiate du jeune homme, d’autant que le cadre en trois parties — où même les volets cachant la vue principale (fovéal) donnent à voir (sur eux même) une fois ouverts — devient une structure panoramique à la fois immersive et protectrice.

Tout à une quête où sens et sensation, fonction sociale et pulsions personnelles se confondent, il voit dans l’arrivée d’un couple de «bons sauvages» ramené des Amériques par un explorateur, et présenté à son père dans leur tenue exotique qu’il rapproche de celle d’Eve et d’Adam, la piste d’un paradis où la confusion n’aurait plus lieu d’être.
Il part donc vers un autre rivage, quittant une mère agonisante,[1] vers ses nouvelles colonies au statut semblant divin, puisqu’on y vit comme au paradis.

La divine colonie sera celle du désenchantement, d’un enfer d’une autre nature, détruisant l’idéal chrétien du jeune prince par la fièvre équatoriale, la violence coloniale et la jalousie. Loin de l’Europe, ces terres pleines de prêtres et de marchands deviennent le théâtre d’une comédie qui rappelle et annonce d’autres drames.
C’est là que Virgile est convoqué, poète romain au pied de la crucifixion du triptyque,[2] accompagnant par ses lumières les délires fiévreux et oniriques du jeune prince dans l’enfer de l’histoire, comme un siècle et demi auparavant il avait accompagné Dante.
Grecs, romains, croisés, nazis, autant de violences, de massacres passés et à venir, qui écœurent le jeune homme avant qu’il ne les répète par jalousie, acceptant du même coup la pulsion de mort de sa propre fonction sociale : faire la guerre, conquérir et soumettre.
Il jette donc sa gourme ainsi, se «civilisant» comme il soumet ces nouvelles terres, au dépends des autres (rabaissés) et de ce lui-même devenu autre (surpassé ? dépassé ?).[3]

Le titre du livre ressemble à un mauvais jeu de mot, au prétexte[4] d’une histoire entre farce et pari. Il y a certes un peu de ça, mais l’auteur s’en sort avec finesse,[5] explorant la Renaissance[6] dans un mutisme limpide et efficace. Le fait d’avoir utilisé ce triptyque comme source des visions du jeune prince,[7] montre toute la cohérence d’une démarche maîtrisée, poussée dans ces détails.[8]
Presl pratique l’éloquence des images de bande dessinée non verbales pour montrer des non-dits dramatiques. Un paradoxe s’il s’agissait de montrer, de dévoiler ; un tour de force surtout, puisqu’il s’agit de raconter sans se contenter de la surface des choses.

Notes

  1. Donc trop présente.
  2. Mais aussi sur le volet droit du triptyque quand il est fermé. Le volet gauche représentant un ange tenant un livre. Entre religion et philosophie en quelque sorte.
  3. Le jeune prince ajoute/inaugure symboliquement une horreur de plus à l’histoire de l’occident : la violence coloniale et l’esclavage.
  4. Le titre est le seul élément textuel de l’histoire.
  5. S’en est peut-être servi de contrainte, qui sait.
  6. De l’Italie florentine à l’Espagne du siècle d’or.
  7. Et non un livre, ou plutôt Le livre (la bible) dont s’inspirent ces images peintes.
  8. L’image, intermédiaire entre ceux qui savent lire et ceux qui ne savent pas. Rôle attribué à la peinture par l’église catholique (surtout à la Renaissance) et à la bande dessinée avant qu’elle ne devienne adulte.
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Chroniqué par en février 2008