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Le Fils de l’Ours Père

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Un chasseur en forêt s’enchante de croiser en chemin un ourson, mais est obligé de tuer sa mère surgissant furieuse en croyant son petit menacé.
Le jeune animal orphelin est recueilli par l’homme et sa femme, couple que l’on devine sans enfants, comme en marge du monde par conséquent.[1] L’ours grandit, devient savant et le chasseur se transforme en montreur de l’apprivoisé à des citadins loin de la nature. L’homme et l’animal font fortune un temps, jusqu’au jour où un enfant se demandant peut-être s’il s’agissait d’un vrai ours, pique d’un bâton l’ursidé qui, douloureusement surpris, lui répond d’un coup de patte l’amputant d’une oreille.
Le bel équilibre spectaculaire de l’animalité totalement maîtrisé s’effondre alors. Le châtiment tombe. On ampute l’ours de la patte coupable. On enferme un temps son montreur. Et sa femme, déboussolée et en peine, échappant de peu à la lapidation, trouve réconfort fautif dans les pattes de l’ursidé amputé qu’elle venait récupérer. A sa sortie de prison quelque mois plus tard, le chasseur découvre son épouse enceinte de cet acte d’amour passager à la fois adultère, incestueux et zoophilique. De fureur, il tue l’animal à nouveau coupable dans le monde des hommes. Mais naîtra l’enfant, homme de corps, ours de tête, dont le livre contra sans mots dire les douleurs d’une filiation non dite mais «bien vue»[2] de tous.

Le fils de l’ours père est antérieur à la «trilogie» de l’auteur parue chez Atrabile.[3] Une première œuvre donc, qui n’en est pas moins achevée que celles qui les suivirent. Nicolas Presl y témoigne déjà de cet incroyable talent pour explorer le symbolique, le mythique, un pouvoir des images par le mutisme de celles-ci en neuvième chose. Il plonge ici au profond de la filiation père/fils, poussée en son abstraction (juridique) par des sociétés humaine résolument patriarcales.
Qu’est-ce qu’être père ? Qu’est-ce qu’être fils ? Une question plus que jamais d’époque où le génétique révèle tout mais ne résout pas tout. L’intelligence du récit est d’utiliser cette image de l’ours aussi profonde que les sociétés humaine et leur inconscient,[4] et d’en faire ici une chimère,[5] un symbole hybride de la filiation.

Comme on dit d’un enfant qu’il possède à la fois les caractéristiques physiques («qu’il ressemble à») du père et de la mère, le personnage de Presl a indéniablement celles de son ours de père, mais pas celles de sa mère puisqu’il est du genre masculin. Un peu des trois en quelque sorte, dans la mesure où la ressemblance ne se lit principalement que sur le visage, et que son corps est moins comme celle qui la mis au monde que celui du genre masculin triomphant et faisant société,[6] où ce fils devra in fine évoluer.
Cela ne se fera pas sans douleur on le devine. Ses triomphes universitaires n’en feront pas l’égal des autres.[7] Cherchant à comprendre son image, à ne pas en avoir honte, il se cherchera dans l’image peinte, dans une part de création identitaire affichant celui qui y est reconnu à s’y reconnaître. C’est une femme qui le sauvera d’être un mauvais fils[8] et un mauvais peintre.
Les questions se poseront alors : Est-ce qu’être père ne serait pas d’abord trouver femme ?[9] Ou bien serait-ce de ne plus vouloir le tuer ?[10]

A tout cela l’auteur ajoute l’arbre. L’unique, celui au bord de l’orée forestière, où débute la multitude de ses semblables et le royaume de l’ours tel que lui-même. Le chasseur y enterre au pied son trésor, son héritage. Et ce pécuniaire qui s’y cache, que l’on indique sur une carte au trésor d’une croix, devient sur un tableau l’endroit où l’on se trouve, où l’on peut se situer et/ou se concevoir être, au pied d’un arbre généalogique qui ne dit rien des racines et n’arbore que la filiation en ramure. Avec une image, le fils découvre en même temps cette distinction et sa distinction, qui, pour en être cachée, n’en n’est pas moins un trésor.

Notes

  1. Leur maison est en dehors du village et à proximité de la forêt.
  2. Un «oui voir».
  3. Priape, Divine colonie, et Fabrica.
  4. L’ours devenant père évoque la sexualité de cet animal, fantasmée depuis l’antiquité ; l’amputation de la patte de l’ours renvoie à des pratiques ancestrales, voire initiatique, du rapport à l’ours dans bien des régions du monde ; la scène de l’ours savant rappelle quant à elle l’anthropomorphisme accordé à cet animal et du questionnement que cela suggérait : homme des bois poilu/sauvage ou homme déguisé en ours ?
  5. Une chimère dans le sens «d’assemblage monstrueux». Une tête d’ours sur un corps d’homme. Un «assemblage inédit» car si l’homme-ours existe depuis la nuit des temps, il est imaginé comme un visage d’homme sur un corps d’ours. Presl pousse loin cette inversion puisque sont personnage est très intelligent (ours savant littéral) alors que les hommes-ours traditionnels brillent par leur force surhumaine et non maîtrisée. Ajoutons que si le personnage de Presl n’a pas besoin de la génétique pour prouver sa filiation, il est aussi la crainte réalisée — ici paradoxalement naturelle tout en étant contre nature — des possibilités monstrueuses qu’offrirait pour certains cette science.
  6. «Le masculin l’emporte» comme on dit.
  7. Il est vrai que le système universitaire semble, dans ce livre, fonctionner sur la régurgitation du savoir acquis. Il fabrique des têtes bien pleines et prêtes à se dévider, mais qui s’apprécient entre elles et nouvellement diplômées que si elles se ressemblent.
  8. Notons qu’il a toujours été un bon fils, bon élève, etc. Par contraste l’enfant amputé d’une oreille par le père ours, est celui qui n’obéit pas, qui veut toucher quand on lui dit de ne pas le faire, qui n’écoute pas ses parents et qui, symboliquement, se fait (re)tirer l’oreille…
  9. L’œil rond du fils après sa première nuit avec celle qui deviendra sa femme. Le même œil que celui de son père adoptif. Un regard à la pupille dilatée et aussi ronde que le monde constaté et peut-être compris comme tel.
  10. Très belle scène finale.
Site officiel de The Hoochie Coochie
Chroniqué par en janvier 2011