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Heureux qui comme

de

La couleur de l’Afrique se rapprocherait de celle de la mémoire. Cette dernière en érubescence à vif,  la première dans la vivacité du rouge mélangé à la vélocité du jaune solaire, donnant cet orangé assombri, complémentaire en décalage d’un bleu pâle au féminin, sombre au masculin. Orange et bleu font ici couple se multipliant dans les tonalités, jusqu’au noir de la confrontation brutale et matérielle, mais toujours dans la vie intarissable de l’une, l’abstraction de désirs inavouables pour tout ces autres venus en avion.

Elle, semble le prendre pour la première fois, va en Afrique berceau du monde comme on fait un retour aux sources, entre pèlerinage et voyage initiatique. Lui, déjà là pour son travail, y attend en retour de possibles ressources à exploiter. Naïveté et cupidité se confrontent ainsi à une même réalité irradiante et exubérante, à cette vie trop cachée ou policée dans les pays du bleu.[1]

Auront-ils fait un beau voyage ? Oui, si ces désirs sont passés, si la page est tournée, si une vérité a été dite en images. Non, si ce décor n’a pas fait d’eux une légende, les a fait vomir, les a fait fuir, les a fait se mentir et ne pas correspondre à l’image qu’ils se faisaient moins de l’Afrique que d’eux-mêmes.
Heureux comme qui ? Comme elle plutôt que lui, elle qui a parlé au singe, celui à l’âme originelle, totémique, qui vous rappelle votre condition de voyageur d’une vie en quittant l’aéroport.[2]

«Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux». Oui, car si Nicolas Presl cherche les racines du tragique comme à son habitude, il y ajoute une fin où une épreuve a été surmontée, a rendu plus fort, et a changé un rapport au monde. Le vrai voyage est une construction de soi et non une exploitation des autres ou de quelque chose. Certes, les grandes thématiques qui ont fait ou irriguent le langage non-verbal de Presl sont là,[3] mais la contemporanéité du récit fait qu’une dimension plus intime triomphe, loin des archétypes de drames proches (à divers degrés) de légendes ou d’archétypes historiques.
A cela s’ajoute l’usage nouveau des couleurs qui identifient personnages et décors dans leurs essences, en s’affirmant comme une logique langagière à la codification déductible.[4] L’Afrique et ses habitants sont orangé, l’occident et les occidentaux sont bleu, des objets d’occident symbolisant à la fois une peur (sécuritaire) et une violence sont noirs, les liquides alcoolisés et les visions éthyliques qu’ils peuvent provoquer sont verdâtres, les scènes de mémoire sont dans un décor rouge, les scènes d’intérieurs africains où une fraîcheur semble introuvable sont verts, etc.
Cette sorte de synesthésie des couleurs renouvelle profondément le savoir-faire de Presl, donnant à la fois lisibilité, nuances et profondeurs. Une compréhension qui se porte aussi bien à la neuvième chose comme fait plastique (cadre de la case par exemple, jeu sur la tonalité des personnages, sur le rapport dessin et aplats de couleurs dans certaines scènes, etc.) qu’à celui du récit et de ses psychologies. Un dernier aspect qui s’accorderait peut-être aussi à celui plus ou moins conscient et intime de l’auteur, qui exprimerait ici, comme son personnage principal, un Heureux qui comme lui a su découvrir d’autres possibles.

Notes

  1. La séquence du début où certains personnages n’ont pour tête qu’un cercle en pointillé avec écrit «photo» dedans, renvoie à ce double aspect : l’anonymat d’une photo interchangeable, le policé d’une photo d’identité.
  2. Un babouin qui possède le savoir car comme l’explique Nicolas Presl dans cet entretien, pour lui «les personnages à l’œil rond sont les détenteurs du savoir».
  3. Filiation, relations homme-femme, choc de civilisations, problème sociaux, etc.
  4. Un Langage que l’auteur explorait déjà de manière moins poussée dans la revue Bile Noire.
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Chroniqué par en novembre 2012