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Encore un effort

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A la question «pourquoi la bande dessinée ?», les auteur(e)s de bandes dessinées répondent surtout quand on la leur pose. Normal, me direz-vous. Mais encore faut-il la poser, pour que nous puissions la lire, la voir ou l’entendre, car finalement qui la pose vraiment ?
Les journalistes spécialisés ? En général la question leur semble une vastitude métaphysique et elle dérive vers le «vous faisiez des petits dessins dans les marges de vos cahiers d’écoliers ?» ou «quels étaient les héros de votre enfance ?».
Les auteurs ? Que ce soit depuis longtemps ou un bref instant dans leur vie entière, ils doivent forcément se la poser. Face à sa planche, à son écran, la question ne peut que surgir pour qui analyse un-temps-soit-peu ce qu’il fait. Mais pour que cela ne reste pas des paroles entre professionnels/collègues, des pensées pour soi, il faut que ces auteurs trouvent le temps, l’opportunité de répondre, de publier ces réflexions, de les éditer, tout en évitant la dilution de ce pourquoi dans un making of cadeau bonus du dernier album, ou un journal de quotidien d’auteur en «ennéascope» dans un blogue à soi possiblement publiable en papier.

Baladi est l’homme de la situation. Il se posait/pose la question, ce n’est pas un journaliste qui lui la repose,[1] il peut publier ses réponses[2] et a été encouragé à en faire un livre.[3]
Alors pourquoi la bande dessinée ? Parce que le dessin d’abord, parce qu’il se confond avec écrire dès le début[4] ; parce que le plaisir/douleur de créer, d’expérimenter ; parce qu’il s’agit de montrer/cacher pour mieux raconter ; parce que l’édition, l’objet «livre» même sous forme de fanzine, voire parce que la liberté du fanzinat ; parce que d’autres bandes dessinées et ces vies des plus excellents auteurs ; parce qu’il faut donner un sens à son existence, alors autant que ce soit par cette «sémiologie» de traits et du plaisir qu’elle procure ; parce qu’elle initie des rencontres, des découvertes, ou parce qu’elle permet de voyager ; etc. Bien sûr, tout cela a son revers fait de frustrations, d’énervements : la médiocrité de la production, son aspect trop ouvertement commercial, la volonté peut-être illusoire de maintenir une exigence ou une éthique, l’image persistante de la bande dessinée comme simple divertissement et divertissement pour les simples, etc.

L’autre aspect extrêmement intéressant de ce livre est qu’il parle de bande dessinée en bande dessinée. L’auteur y montre son avatar dessiné, car toute création en dit long sur son créateur et la première personne du singulier se montre ainsi dans les cases de bande dessinée. Représentation somme toute classique peut-être, mais pour des propos rarissimes dans l’ennéa-monde, d’un dessinateur ne faisant pas théorie mais témoignage autour de la neuvième chose, parlant d’expériences personnelles, d’une passion, d’illusions, d’une quête dont les racines se perdent en début de conscience, mais aussi de petites victoires et d’espoirs.

Le titre est trompeur. Encore un effort n’est pas celui — quasi pamphlétaire[5] — qu’il faudrait faire pour atteindre un but meilleur, mais bien le résultat de celui qui fut fourni pour faire ce livre. Encore un, un de plus, matérialisé sous cette forme, ultime maillon d’une chaîne d’expériences, mais donnant un sens à l’existence comme le coutelas d’ivoire de Rahan donnait une direction pour la prochaine aventure, la prochaine étape d’une vie de et par la neuvième chose. Oui, Baladi peut se vanter d’être de ceux qui marchent debout, en ayant fait ce qui semble être la première bande dessinée qui soit à la bande dessinée ce que les écrits de peintres sont à la peinture.

Notes

  1. Jean-Christophe Menu pour L’Eprouvette.
  2. Une quinzaine de planches de ce livre on été publiées dans les numéros de L’Eprouvette.
  3. Par L’Association mais aussi grâce à une aide de C.N.L.
  4. Chapitre «Premiers souvenirs», très belles planches.
  5. Dès qu’il y a «encore un effort» dans un titre on pense forcément à Sade et son «Français, encore un effort si vous voulez être républicains».
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Chroniqué par en juillet 2009