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Killoffer en blouse blanche

de

Notes de (re)lecture

Ho… la belle et douce case

C’est la case finale d’une planche de Killoffer publiée dans Le Tigre ((Le Tigre n°19-20, juillet-août 2012.)) («Curieux journal curieux») et c’est une case très émouvante. La forte impression qu’elle produit n’est cependant pas due à ses propriétés graphiques : Le cadre ne contient qu’un carré de ciel nuageux avec, dans le coin supérieur gauche, la petite silhouette d’un avion qui semble s’éloigner. Bien sûr, elle n’est pas laide cette case ; bien au contraire : Les nuages, blancs dans un ciel blanc, simplement suggérés par des contours en volutes, l’orientation de la silhouette de l’avion, vers les bords haut et droit de la case, qui indique le décollage, l’envol et déjà le voyage qui commence… tout est juste dans la composition comme dans le graphisme, ainsi que Killoffer nous en a donné l’habitude, mais cette case ne présente pas en elle-même de qualité exceptionnelles.

La beauté dans son écosystème

Pour comprendre l’effet de cette belle case, il faut élargir notre champ de vision et la voir dans son écosystème : la planche qui la contient. Il s’agit d’un beau gaufrier régulier de quatre strips de deux cases carrées chacun. Ce sont des scènes d’intérieur, qu’on imagine se dérouler en soirée («la veille d’un voyage», précise la septième case). On y voit le personnage de Killoffer faire une piqûre médicale à sa compagne, en un cérémonial intime et répétitif, amoureux au moins, érotique peut-être. Les cases sont très contrastées, avec de larges aplats de noir sur lesquels les personnages et les éléments de décors se forment par des réserves ou des contours blancs (bien dans le style de l’auteur). Elles sont aussi très chargées en décor, en texte (des récitatifs) et en personnages : Killoffer et sa compagne sont présents dans presque chaque case, corps tronqués par l’exiguïté de la case, métaphore de l’espace confiné de la chambre.

Et soudain

Et le regard se pose enfin sur la huitième case, qu’il guettait depuis le début de la lecture. Difficile de ne pas la remarquer, tout en bas de la planche, dans sa clarté tellement étrangère aux autres cases. Elle est blanche quand les autres sont noires, elle est vide des personnages qui se serraient dans les précédentes ; elle propose une vue extérieure et nous pouvons prendre de la distance par rapport à l’objet regardé, quand le contexte de la chambre interdisait la prise de recul, nous imposant des plans rapprochés. On pressent que cette case proposera un dénouement, peut être une délivrance, en tous cas une expérience proche du soulagement. Mais cette attente est désamorcée au cours de la lecture. L’acte médical annoncé dès la deuxième case se présente peu à peu comme un geste de tendresse d’un amoureux à son amoureuse, et se conclut à la septième case dans laquelle s’endort le couple enlacé.

Et nous voilà maintenant dans cette huitième case, surpris de ne plus savoir ce qu’on en attendait, tout ahuri par l’impression d’avoir dépassé la fin du récit, d’avoir continué à danser après l’arrêt de la musique. Nous voilà dans cette huitième case déchargée par la case qui l’a précédée de sa responsabilité de conclure le récit et nous ne pouvons plus que regarder avec affection cet avion qui est déjà loin, parti sans nous, et contempler ce vaste ciel. Sans y chercher de sens.

Chroniqué par en mars 2013