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Les Innocents

de

Notes de (re)lecture

L’horizontale

Une voiture se déplace d’un bord à l’autre de la case, la route longe une mer étale. Des cases étendues sur toute la largeur de la page, des paysages qui s’étirent à l’horizon… Gipi utilise ici l’horizontale comme principe d’écriture, comme rime. Si le temps est le nombre du mouvement, ce qui permet de le mesurer, alors, ce que nous voyons ici, c’est le temps qui s’écoule, d’un coté à l’autre de la page.

La douceur, la confiance et le danger

La voiture paraît sûre et confortable. Son intérieur est un lieu apaisé où un neveu et son oncle qui se connaissent pourtant bien peu installent entre eux une relation calme, bienveillante et confiante ; L’oncle n’a apparemment aucune expérience de la relation d’adulte à enfant, mais il saura protéger son neveu, prendre la juste mesure des dangers auxquels il pourrait être exposé, tout en le considérant comme une personne, et non un être irresponsable ou incomplet. L’enfant, lui, est ouvert, curieux, et dépasse bien vite ses premières envies de manipulation de cet adulte inexpérimenté.

Pourtant, Gipi dessine ses personnages avec un trait griffant, des contours anguleux, des points rêches… curieusement, le lavis accentue les contrastes sans apporter de douceur au dessin. Ce graphisme est dénué de douceur parce que le monde de Gipi est dénué de douceur, et parce que les êtres qui le peuplent ne sont pas des saints. Et pourtant, il parvient à nous rassurer, à nous donner confiance dans la relation qui se construit entre ses deux personnages : c’est cette relation qui les protégera.

 L’horizontale, le lien et la durée

Si le temps est la mesure du  mouvement, alors Gipi met en scène le temps passé entre un oncle et son neveu ; cette parenthèse courte dans la vie de chacun acquiert une durée plus importante dans le temps psychique des deux protagonistes ; il acquiert aussi un surcroît de valeur dans l’esprit du lecteur : c’est un temps spécial par le simple fait qu’un livre raconte cette durée là, et pas les autres fragments de temps vécus par chacun.

C’est une expérience de vie aux frontières d’un risque diffus, mais elle est vécue à deux, dans l’espace rassurant d’une voiture confortable et d’une relation familiale a priori bienveillante. Gipi installe souvent l’oncle et le neveu dans la même case, les séparant rarement. C’est ici que naissent la douceur, l’apaisement, l’assurance : Dans ces horizontales, dans ces cases allongées où le neveu et l’oncle partagent un espace sûr et une durée qui les lient l’un à l’autre.

Voici ce que nous dit Gipi : face à la brutalité du monde et des êtres qui le peuplent, l’apaisement et la sécurité proviennent du temps partagé, du côtoiement dans une trajectoire commune, de la présence ensemble dans une même case de bande dessinée.

Site officiel de Gipi
Chroniqué par en avril 2013