Silly-Cat

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La première fois que j’ai lu du Porcellino c’était dans le Simo n°8 de janvier 95. C’est Lolmède qui était à l’origine de sa présentation et de sa traduction dans ce fanzine rennais dont on regrette toujours l’impardonnable disparition.
Jusqu’au onzième et dernier numéro du Simo en février 1996, on a pu lire, en français, des bandes de ce génial américain. Le sommet de ces traductions fut l’histoire de sa chienne Sam (Simo n°10), chef-d’oeuvre de sensibilité et de retenue qui fait de Porcellino un proche de Chester Brown.

Ces histoires étaient toutes tirées de son comix intitulé King-Cat comics & stories qui a du dépasser les 52 numéros à l’heure où mon temps présent sera déplacé dans le passé par la lecture de ces lignes par toi, lecteur/lectrice.
John Porcellino dessine King-Cat depuis 89. Oscillant entre la banlieue de Chicago (Illinois) et Denver (Colorado), il y raconte sa vie, ses rêves, son passé, ses contemplations, ses fantasmes, ses virées, ses soirées entre amis, etc …

Il n’est pas rare, quand je montre le travail de Porcellino à des amis, qu’on me dise qu’il ne sait pas dessiner, voire qu’il dessine comme un enfant ! Rien de nouveau sous le soleil, depuis le début du siècle et ses avants-gardes artistiques, on a l’habitude de cette vieille rengaine. Je n’épiloguerais donc pas sur ce genre de remarque ; à force, on se lasse.

De toute façon, elle est justifiée, car Porcellino en joue. Certains paysages directement mis à plat, sa façon de dessiner les voitures, tout cela évoque assurément les dessins d’enfants. Mais une simple confrontation avec un dessin d’enfant prouverait, s’il en était besoin, le formidable travail d’épure du dessinateur. Cette analogie, par le style avec l’enfance, sert à Porcellino pour renforcer en finesse ce qui sous tends toute son oeuvre : la curiosité émerveillée.
Mais attention, cette curiosité émerveillée n’a rien avoir avec celle, entretenue, de ces grands enfants d’amerloques qui jusqu’à un âge avancé s’émerveillent encore devant un Mickey de disneyland muet serrant la main commercialement et en série.
Non ! Porcellino n’est pas un décérébré immature. Chez lui s’ajoute toute une dimension contemplative et philosophique. Porcellino est un non-sage sage, un regardeur insatiable. Ses allusions régulières au zen n’ont rien d’un effet de mode. C’est dans sa nature même, et l’aspect minimaliste de son dessin prend ici toute son ampleur et sa justification. Il y a le même lien analogique entre son dessin et le zen, qu’entrent certains land-artists et les jardins de pierre japonais.
Porcellino veut aller à l’essentiel. Il veut capter. Il est, en fin de compte, un abstrait. Un figuratif abstrait. Son dessin est une écriture, il est au bord de l’idéogramme. Un pas de plus et il écrirait, décrirait avec des kanji. C’est pour ça que le far-east l’intéresse aussi.

Porcellino pratique une sorte de non-dit et de non-montré pour mieux se dévoiler.
Ce qui est fascinant, c’est que tout s’exprime clairement sans être clairement exprimé. Vous savez qu’il raconte sa jeunesse sans qu’il vous le dise ou sans qu’il vous le dessine. Sans insistance, il ne détaille pas. Il suggère dans l’espace interstitiel mot et image. Et comme cet espace est chez lui minimal, on peut affirmer que Porcellino est proche du (et utilise le) fameux infra-mince si cher à Marcel Duchamp.

Plonger au fond des choses. Voir des distances infinies, comme le ciel dans la gestuelle quotidienne. Tel est le but de Porcellino.
Cela fait de lui un saint, mais un saint sans culte heureusement car le culte instaure les religions et tue le mysticisme (qui est une curiosité et une connaissance du monde).
Mais si vous vous risquez au culte, il vous montrera son côté philosophe et cynique. Il vous jettera son écuelle à la gueule comme Diogène, lapera à même le sol comme un chien et vous parlera de Madonna, vous exhibera sa bite, baisera avec Nancy Reagan ou boira pour boire.

Porcellino n’est pas tout seul dans sa région, et un peu comme le trio Chester Brown, Seth et Joe Matt de Toronto, il forme du côté de Chicago une aussi fine équipe avec Jason Heller et Joe Chiapetta (cf. King-Cat n°45).
Avec ce dernier, il s’est associé pour faire un comix intitulé Silly-Cat (contraction de Silly Daddy, comix de Chiapetta, et King-Cat comix). La présence simultanée des deux auteurs n’en est que plus enrichissante. Complémentarité par style et perception diamétralement opposés.

C’est dans ce comix que vous trouverez les travaux les plus récents de Porcellino. Il édite aussi des King-Cat Classix, qui regroupent à chaque fois et chronologiquement les meilleurs histoires de dix anciens numéros de King-Cat. Ajoutons, qu’en plus, un comix de Porcellino dépasse rarement les $2. Vous voyez donc où est le bonheur ?

Alors n’hésitez pas, Porcellino vous désaliénera l’oeil. Avec lui la ville se retrouve à la campagne. Une pâquerette, le froid, les ragondins tout devient fascinant.
Porcellino vous optimise.

Chroniqué par en juin 1998