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Tueur de Moustiques

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Il y aurait le dessin juste comme il y a les mots justes, allant à ou communiquant l’essentiel. Dans le cas de John Porcellino, ce dernier point n’est pas ce qui est à privilégier, le nécessaire à un instant « t », mais une ontologie, un questionnement de l’existence et d’un rapport au monde.
Cette nuance, cet éventail définitionnel, peut constituer l’idée d’un parcours, d’un éveil, dont Tueur de moustique serait en quelque sorte le journal dessiné[1].

Le livre se déroule sur dix ans. Au début, l’auteur est un jeune homme au moi centrifuge, véritable  héros de comics, dans un rapport de force avec le monde, où tout est à craindre, où tout est une menace potentielle. Faire face c’est s’affirmer, c’est vivre, c’est être un homme naturellement. Avec les années, les questions émergent. Le travail saisonnier devient répétitif, la lutte apparaît sans fin et ce qui semblait sauver devient un artifice nuisible indirectement, issu paradoxalement de la peur et de l’ignorance.
Pour John Porcellino, le travail de tueur de moustiques lui a offert l’opportunité d’être un homme, d’abord par une lutte contre la nature, ensuite par le fait de la comprendre au gré d’interminables recherches « de l’ennemi » et de parcours de pulvérisation en pick-up à 20km/h. Apprendre à voir, à ressentir puis à lire ces paysages vont changer radicalement la vision de l’auteur.

Le dessin en témoigne dans la nature de ses traits mêmes. Ceux-ci, d’abord tremblés, répondant au fil de l’émotion et de l’action, deviennent petit à petit d’une constance sereine et délicate, structurant une clarté où le monde apparaît comme dans son essence et la pureté de ses phénomènes.
En cela, Tueur de moustique s’affirme comme une œuvre charnière pour John Porcellino le diariste. Elle témoigne plus que d’autres d’un cheminement, d’un caractère certes ouvert mais d’abord en impasse, puis trouvant sa voie par un détour paradoxal. La bande dessinée y devient moins une manière de témoigner, qu’un véritable travail sur soi de révélation et de représentation.
Très bien édité, ce livre est une porte d’entrée idéale vers une œuvre et un auteur dont on ne cesse de mesurer l’ampleur et la valeur grandissante au fil des années.

Notes

  1. Le titre original du livre est : Diary of a Mosquito Abatement Man.
Site officiel de L'Employé du Moi
Chroniqué par en février 2015