Angoulême 2019

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Chaque année, la nouvelle session du festival d’Angoulême se démarque de celle de l’année précédente par une invention d’une assez admirable et constante idiotie sans le moindre rapport avec la bande dessinée (aaaah, le Magic Mirror !) ; cette année, sans doute sponsorisé souterrainement par les laboratoires Pasteur, le festival nous a imposé le port continu d’une éponge à germes au poignet qui, une fois refermée sur vous par un anneau étrangleur, ne pouvait plus vous quitter ; ce bout de tissu irritant devait signaler à chacun de vos passages la légitimité de vos allées et venues dans le festival, et les gardiens redoublaient d’insistance pour qu’on leur tende visiblement sous le nez la lanière bleue qui chaque jour s’incrustait un peu plus profondément dans l’eczéma qu’elle avait déclenché. Quiconque aura décidé de s’en débarrasser au bout de la deuxième nuit passée à se gratter ou pour quitter l’odeur des quatre sortes de pizzas absorbées les jours précédents, aura découvert tout le sens du mot zèle en tentant de s’en expliquer à la créature bornée de l’entrée toute heureuse de tenir là l’occasion de faire chier un maximum d’auteurs par jour, cette saloperie d’engeance de feignasses. Heureusement, à mesure que l’on s’avance dans les bulles vers les catégories d’auteurs à tendance clodo les gardiens gagnent en humanité, ce qui paraît cohérent à l’usage qu’on en fait généralement dans ce corps de métier : ceux-là, punis, à la porte du fond, nous ressemblent assez pour partager avec nous un usage pacifié de la parole et c’est un vrai plaisir de retrouver chaque année les mauvais élèves de toutes les catégories unis dans l’amour de Jésus et du café chaud.

Comme chaque année, je sais qu’un grand nombre de ceux qui tenaient un stand au festival n’ont pas trouvé le temps d’arpenter aussi librement qu’ils l’auraient désiré l’aile consacrée à la bande dessinée alternative de la bulle Nouveau Monde ni le petit salon off (troisième spin du nom cette année) pour y chercher quelques-unes de ces choses renversantes et toutes fraîches que l’on ne trouve pas ailleurs ; c’est pour eux, et évidemment pour tous ceux qui n’étaient pas à Angoulême cette année, que j’écris cette chronique d’une petite cinquantaine de bouquins à peu près tous commandables en ligne. Je sais bien que ça n’est pas la première chose qui vient à l’esprit quand on croise une statue de Titeuf de deux mètres ou un obélisque placardé de bulles criardes sur la place de la gare, mais, même si Angoulême n’est pas à proprement parler la plate-forme des avant-gardes, la conjonction de grands mouvements publics et l’attraction des petites structures internationales ouvre finalement cette grande foire tapageuse à plus de bariolage artistique et de surprises créatives que ne laisserait l’imaginer la bouillie publicitaire de la plus haute vulgarité qui en accompagne la promotion. Il est évident qu’un tri drastique est plus à faire ici que dans les salons concentrant toute leur attention sur la création comme Cultures Maison, Fumetti ou Indélébile (de profundis), mais on y trouvera des combinaisons plus inattendues, sans doute, de proximités territoriales (ce n’est pas une invitation non plus aller à perdre sa vie une demi-seconde place du Champ-de-Mars, il y a des limites à ce que l’hybridation peut faire pour votre imagination ; il n’y a aucune chance que la lecture de Stéphane Bern vous grandisse celle de Jean-Pierre Vernant et le tome 256 de Donjons et chaussons a peu de chances de renverser les 255 précédents).

La série de livres qui suit est composée pour la plus grande part d’une récolte de choses que je ne risque pas de trouver dans la librairie la plus proche de chez moi. D’autant plus que la librairie la plus proche de chez moi, elle est à Rennes, et que Rennes est une ville morte pour tout lecteur de bande dessinée post cambrien. Je ne sais pas si ça un rapport avec la densité de dessinateurs au mètre carré dans cette ville, mais celle des bons libraires lui est inversement proportionnelle ; il faudrait enquêter… L’autre partie de ces livres est le produit de dons et d’échanges avec mes propres éditeurs ou d’autres. Je suis émerveillé que malgré la régularité avec laquelle j’ai pu pourrir certains cadeaux, on m’en fasse encore. La première hypothèse qui vient à l’esprit est que j’ai enfin réussi, après de nombreuses années de travail, à n’être entouré que de gens bons, bienveillants, patients, et magnanimes. C’est en grande partie vrai, mais j’ai une autre hypothèse (qui ne la congédie pas) : l’usage veut qu’un don dans ce milieu comme dans tant d’autres vous enchaîne à vie par une série de contre-dons dont la valeur dégringole proportionnellement au nombre de promesses d’amour éternel qui les accompagnent et peu à peu s’y substituent ; il est bien probable que mon usage mesuré du contre-don leur apporte la garantie que si je dis le plus grand bien d’un livre, c’est sans doute parce que j’en pense plus grand bien.

Tenu plus assidûment cette année au stand de Pré Carré que d’habitude, j’ai pu passer un peu moins de temps à sillonner ma propre bulle et le spin off, et il manque à cette liste un certain nombre de livres que je n’ai pas eu le temps d’aller chercher à la dernière minute (le livre passionnant que les éditions Hécatombe ont consacré à leur résidence et à leur exposition à la Villa Bernasconi par exemple, le c’est comme ça de Ishikawa, chez Matière qui a l’air incroyable et que j’ai commandé aussi sec en rentrant, ou encore le dernier livre de Aurélie William Levaux, La Vie intelligente, chez Atrabile), ou qui m’ont été raflés sous le nez par mes propres amis (le Tegneserier du norvégien Tim Ng Tvedt). Et il y a ceux dont j’ai entendu parler un peu trop tard, n’ayant pas fait de halte à chaque stand de la bulle Nouveau Monde.

Comme chaque année, j’embarque le dernier numéro de Nicole, le copieux magazine des éditions Cornélius (19). Elle tient bon, la bougresse, elle ne lâche pas et ça fait plaisir à voir. Elle ressemble de plus en plus à un manifeste continu des éditions Cornélius et trace, numéro après numéro, l’inventaire du goût — pas très facile à embrasser d’un regard, aux cohérences aventureuses — de son éditeur increvable, distillant les attaques en règles qui en sont les contrepoints stratégiques nécessaires pour construire son modèle politique et éditorial. Nicole s’obstine à être Nicole, magazine bien difficile à réduire à une seule idée. Je regrette souvent que les textes soient un peu courts, notamment quand ils touchent des domaines moins documentés que la vénalité congénitale des éditeurs ou leur lourdeur de bœufs, comme dans ce trop court essai de Jérôme LeGlatin sur les encartonneurs du Groupe Raja ; quiconque aura fait un saut à la salle de presse cette année aura pu constater la croissance exponentielle de l’empire Raja sur le festival, marquée pour chacun d’entre nous par le numéro d’équilibriste dont il aura fallu faire preuve pour tenir nos gobelets debout sur leur table à la con et nos fesses assises sur leurs tabourets à la con. Gageons que l’année prochaine, les bulles seront en carton et les auteurs seront emballés. Je suis très content de retrouver dans Nicole des bandes dessinées de Nicole Claveloux qui ont enchanté mon adolescence par cette singularité et cette beauté bancroche que rien ne paraît entamer aujourd’hui, d’autres pages de Willem (pour les lecteurs qui ignorent encore son travail en bandes) et aussi de Koechlin dont la présence excite mon imagination : Nicole avancerait-elle pas à pas vers mon héros, mon Dieu, l’homme le plus drôle du monde avant Le Bon dieu et David Douillet, THE Gérald Poussin ? Oh ! Je prie fort ! Oui, reviens Gérald Poussin ! À côté de ces vieux machins, évidemment, quelques publications contemporaines significatives comme cette première adaptation d’une fable de La Fontaine par Sébastien Lumineau, que je suis heureux de retrouver ici dans un plus grand format et pour un plus large lectorat que dans ses trop discrets l’avancée des travaux (voir l’article consacré à Où. sur du9).

Je profite du passage des éditeurs de mon dernier truc, Barthelemy Schwarz et Eve Mairot de Ab Irato (il devrait être disponible en mars, ce sera Bandes dessinées : manuel de l’utilisateur (5b)) pour récupérer le dernier numéro de leur chouette revue poétique et politique, L’échaudée (5a). Ce huitième numéro est, comme toujours, copieux, disparate, joliment illustré. Pas encore lu celui-là, mais si les 7 précédents étaient épatant, pourquoi celui-là faiblirait-il, hein ! ?

(2b) Hieronymus & Bosch, de Paul Kirchner. Ce n’est pas forcément le livre qui me renverse le plus chez Tanibis, mais Paul Kirchner arrive au minimum à me surprendre régulièrement par son approche de la chute toujours légèrement à côté, jamais vraiment assignée aux gags, et par les écarts poétiques inattendus qu’il prend là où on attendait sans doute autre chose. Il y a une jolie planche dans laquelle la peine infernale sanctionne la représentation de l’enfer elle-même, et qui la ramène au White Cube sous des coups de rouleaux démoniaques ; la page porte en elle-même des jeux de tiroirs insolubles sur l’existence de cet album lui-même et celle de toute autre relation possible du monde, depuis quelque endroit qu’on en parle, enfer compris. L’enthousiasme et le soutien avec lequel Tanibis accompagne depuis quelques années le boulot de Paul lui donnent visiblement un coup de fouet et un appétit plutôt chouette à voir.

Sur le même stand, le dernier livre de Jesse Jacobs (2a), Sous la maison, qui monte encore d’un cran en puissance depuis Et tu connaîtras l’univers et les Dieux. Le sentiment diffus qui se dégageait du précédent volume (Safari lune de miel) de voir naître une théorie du dessin contiguë à des constructions narratives fantastiques lui ouvrant la porte et lui donnant son cadre de développement, se conforte ici. Dès les premières pages, les dialogues nous entraînent dans un double langage portant à la fois sur des explorations imaginaires de couloirs parallèles (on pense aux botaniques parallèles de Lionni et leur rationalisme détourné de ses objets habituels) et sur la façon dont le dessin, sur une planche de bande dessinée, en orchestre l’illusionnisme figuratif et les agencements temporels. Cette double écriture donne un sens plus profond et plus tragique à la fragilité expérimentée de ce monde souterrain de création et à sa destruction imminente.

Pas d’achat Super Structures cette année, mais un petit bouquin au dessin bordélique présent sur leur stand, pas loin de celui de Magnani. C’est le Tesst#1 de CSH, Du vent (18), dont j’ai oublié la genèse pourtant racontée en toutes largeurs par son auteur, mais avec l’âge, je fuis. Pardon. Né au cours d’une résidence, je crois. Je sais plus. On s’en fout. On y prend les courants d’air non serviles mais palpables du manga, du graph, des expérimentations de formalisme descriptif de Yokoyama, sans que ça vienne plomber les mouvements propres de ce foutoir ; c’est la disparité même de ces vecteurs plastiques et les effets de frottement nés de leur combinaison qui semble faire avancer ce cortège brinzedingue. C’est le genre de beauté improbable qui me redonne goût à tout et me fait dire qu’on est loin d’avoir tout essayé. Bon, faudrait quand même que t’aies un site ou un truc, garçon, pour qu’on t’en commande, des bouquins….

Convié à venir chercher sur le stand de Revival (maison dont j’ignorais l’existence avant le festival) quelques bouquins pour voir ce qu’ils font, je choisis les deux choses que je ne connaissais pas du tout et dont je n’avais jamais entendu parler. Et entre autre chose un manga, Sadbøy (31a), dont l’auteur est argentin. J’avais pas fait gaffe en prenant le bouquin. Je savais déjà qu’on fabriquait des faïences de Quimper à Taïwan et des enluminures du XIIIe siècle dans des clubs de loisirs créatifs, hé bien je découvre qu’on fait des mangas en Argentine. Sans doute à cause du manque d’histoire locale de la bande dessinée, j’imagine. L’Argentine, forcément. Sinon, je vois pas bien. Je veux dire : je vois pas bien le sens. Mais on s’en fout, du sens, Lolo. Ah oui, c’est vrai, on s’en fout, Lolo, du sens. Cette approche industrielle à la manière de rencontre un succès jusqu’à Angoulême (comprendre : jusqu’au business plan) où il existe une section pédagogique entière pour apprendre à de jeunes glands sans imagination à devenir les singes de ce qu’ils aiment, ce qui est de loin la pire façon d’aimer. Magie d’Angoulême… Le musée Carnavalet regorge de chinoiseries françaises assez ridicules du XVIIIe qui nous donnent une assez juste idée de la façon dont on regardera ces mangas hors-sol dans un siècle ou deux.
L’autre aspect étrange de ce livre, est qu’il m’a été présenté avec une précaution que j’ai eu la bêtise d’imaginer adressée à moi puisqu’elle était adressée à moi : un Queerzine venant de naître sur notre stand (Trou) dans lequel les questions trans ont une place importante, je n’ai pas tilté plus que ça quand la vendeuse du stand de Revival m’a dit que le bouquin avait bien failli ne pas voir le jour à cause de propos supposés (disait-elle) transphobes du gars qui l’avait écrit, et que j’en avais peut-être entendu parler pour ça. Mais il fallait pas les croire, ceux qui disaient ça. Ok. Je vois. Non, j’avais pas entendu causer. Voilà le topo.
Un livre rescapé donc. De ?
Rescapé de, je suppose, l’infamie politically correct (ou de celle des bien pensants, ou des droit-de-l’hommistes, des bobos ou de n’importe quel club de censeurs frigides de cette espèce qui, on sait bien, allez, tient le monde des médias), celle qui interdit de traiter les trans comme du caca, ce qui est la moindre des choses permises par la liberté d’expression. Pourquoi je dis ça ? Hé bien parce que d’une part je suis allé lire les post du type — Berliac, un glandu persuadé de son génie rhétorique qui, par des pirouettes argumentaires stupéfiantes, met sur un plan analogique l’appropriation culturelle et la transition, comme appropriation de genre… Oui : une colonie du genre, en quelque sorte. Que voulez-vous… C’est dangereux d’essayer de comprendre vraiment une connerie, lâchez ça, ça peut rendre très con soi-même, on sait pas. Essayez pas, c’est pas grave. Y’a rien à faire pour lui — et d’autre part parce qu’en arrivant ici, à la maison, avec mes paquets, j’ai découvert assez rapidement que l’anecdote du livre qu’a-failli-pas-voir-le-jour-à-cause-des-propos-supposés-transphobes-de-l’auteur, c’est écrit dans le communiqué de presse. C’est un argument de vente, en fait. Je ne sais pas quelle idée tordue de l’art et de la création a pu laisser imaginer cette lumineuse forme de pub…
Bon, à part ça, c’est assez bâclé, les raccords narratifs sont pâteux, le dessin, hé bien, hm, laissons tomber ça, et la naïve provocation faisant le fond de l’affaire — remplacer la sublimation artistique par celle de la violence elle-même — destine visiblement le bouquin à des ados pas bien débroussaillés. Et on parle d’un casse, hein, pas de Parrhasios torturant un homme pour peintre un Prométhée. C’était bien la peine. Qu’ils lisent plutôt de Quincey et Maruo, ça déréglera un peu plus leurs boussoles et ils verront l’infamie sous des jours vraiment, vénéneusement, hypnotiques.

L’autre bouquin pris sur le stand de Revival est le Colville de Steven Gilbert (31b), qui travaille sa plume avec un maillage aux croisillons rationnels dense et serré. Il est difficile de ne pas voir le long fil référentiel, notamment cinématographique, qui déplie ses classiques dans cette veine d’un sadisme très ancré territorialement ; c’est celui qui construit un aspect du cinéma américain depuis celui de Lustig (Maniac), de Kastle (Les tueurs de la lune de miel) , jusqu’aux Devil’s rejects en passant par la tactilité immédiate et crue qu’on a tant reproché au portrait de Henry, le serial killer (toutes références sans doute moins honorables que celles mises en avant par l’auteur — Clowes, de Palma — mais qui en constituent néanmoins la danse trame culturelle). L’investissement libidinal qu’impose le dessin, sur lequel la durée ne permet aucune transaction, notamment quand il s’agit d’un dessin comme celui-ci, chargé en hachures, jusqu’à l’étouffement, rend plus perplexe encore sur la nécessité de s’abandonner avec un excès de zèle si évident à la représentation du vice pour la toucher et l’explorer. C’est une question passionnante qui traverse aussi les rapports de violence sexuelle dans le beau livre de Nina Bunjevac, Bezimena (chez Ici-même), question sur laquelle je prendrai certainement le temps d’écrire un jour. Il n’est pas facile de poser un regard sur cette adéquation ou ces contradictions sans mettre en branle le réflexe de survie morale, malvenu et vain dans les rapports aux œuvres, mais peut-être salutaire devant leurs invitations. On ne questionne jamais ce rapport au dessin qui détermine la question de la distance ou de la proximité comme contrat éthique.
Il est étrange, au passage, de voir un si beau graphisme habiter un dessin aussi hésitant et bancal (c’est bizarrement formulé, mais je n’arrive pas à le dire autrement) ; c’est vraiment troublant. La beauté de ce traitement des masses et des filets n’est jamais révélée de façon aussi sensible que dans les paysages qui ponctuent le livre et atteignent d’intenses degrés de vibration ; il se grippe hélas vite en labeur dans les figures. La fonction hypnotique et dévorante de la nature fait tout au long un contrepoint aux actions humaines et elle prend un caractère lointainement fantastique. Ici, une narration plutôt solide malgré deux ou trois petits problèmes d’écriture (des personnages expliquant dans un dialogue la motivation même de ce dialogue, raccourci trop fréquemment utilisé au cinéma pour situer paresseusement une action, quelques raccords pas bien foutus sans doute dus à l’histoire accidentée du bouquin), de belles inventions de construction, de transitions, et surtout de refrains dessinés. Dans l’ensemble, il reste quelque chose de très tenace et inquiétant de cette lecture qui mérite qu’on s’y attarde un peu. Relecture bientôt.

J’ai pu in extremis faire un saut sur le stand de Marguerite Waknine, quelques mètres après le stand Magnani ; mon dernier billet en poche a tranché pour moi et décidé que je ne repartirais cette année qu’avec deux volumes de leur riche collection de carnets de dessins. Choisir était difficile (je raflerais bien l’intégralité de leur catalogue) et c’est presque arbitrairement que je me suis arrêté sur un volume patrimonial et sur un autre, contemporain. Les deux sont, comme d’habitude, d’une grande richesse plastique alliée à une douce étrangeté : ce sont pour l’un les duels juridiques dessinés par Talhoffer au XVe siècle (6a) pour illustrer une sorte d’inventaire combinatoire de règles ordaliques (Combats) et pour l’autre (6b), une série d’assemblages savant, richement colorés de fils cousus, d’images piquées et brodées, dépliant la corporéité du verbe dessiner, par Hagar Vardimon-Van Heummen (Coutures).

Un petit crochet chez Adverse, à côté du stand Magnani, où je découvre au passage la gueule qu’a prise mon dernier petit essai (Exposer la bande dessinée ?) (8b) publié dans la foulée de Bandes dessinées et grand public, et où je prends la petite flopée de nouveautés mises en avant par le stand ; je commence par Eros negro — jouer avec le feu (8e). Demoniak reprend du service. « Tiens que vois-je ? Quelqu’un jouit ». Il y a un moyen de le lire en bandant, un autre en riant, et peut-être même un autre d’y rejoindre la tragédie. Joli, petit, pas cher.

Versus numéro 6 (8a), collectif. Comment se fait-il que Adverse soit seul à publier certaines de ces belles choses, c’est toujours un mystère pour moi (Rosaire Appel, bon sang, ouvre les yeux, quoi, le Monde !). Heureusement que cette boîte existe, et pas seulement pour publier mes conneries. Un fanzine aussi luxueux que cheap, aussi indispensable que Amici.

En el dolor de la noche, de Fanny Larpin (8c). Roman-photos noir et blanc, rehaussé avec pondération de picotements de phosphènes graphiques, fissures d’encre et petites coulées, cinéma trop près trop loin, écrabouillement du couloir visuel et historique mettant à plat échelles et profondeur, récits et figures.

Avec L’Internationale modique (8d), troisième volume de L’Anthologie des narrations décrispées, les éditions Adverse poursuivent, avec les éditions Arbitraire, le travail de republication considérable qui doit rassembler en six volumes les travaux de fanzines (Kobé) de Bertoyas depuis ses premiers samples expérimentaux jusqu’aux grands feuilletons d’aventure politique. Cette anthologie est l’occasion inespérée pour de plus jeunes lecteurs de découvrir des récits depuis longtemps introuvables (les deux grands cahiers de l’Internationale Mutique et Merdique, par exemple) et de mieux comprendre sur quelle base se construit historiquement le long ministère du supermessie du comics.

(15) Vesadi, K7 produite par Hécatombe, stand voisin de Magnani, à l’occasion du dernier Monstre Festival (à Genève), sur laquelle l’Ensemble Batida et d’autres formations interprètent des partitions de Oriane Lassus, Bertoyas, Renaud Thomas, Gaëlle Loth, Rachel Deville, Caroline Tschumi, P.A. Schilling et votre serviteur. Partitions en partie reproduites dans la pochette du bidule.

(1) Léo Quiévreux, Immersion, aux éditions Matière. Je ne vous fais pas une deuxième fois l’article sur ce travail incroyable, j’annonce juste à ceux qui ne l’auraient pas remarqué (tous ceux qui ont des libraires vendant leurs livres à la tonne, c’est-à-dire la quasi totalité d’entre eux), la sortie du tome deux. Il a l’air encore plus beau que le premier ; je vais relire les deux d’un coup. Voilà.

(20a) C’est le cinquième des dialogues de dessins proposés par Central Vapeur (j’ai déjà causé dans ces chroniques du Lecointre / Icinori), joignant Tom de Pékin et Pierre Faedi, un bouquin dont la première version en impression sur Riso soignée donnait tout son sens à l’utilisation de cette technologie : un beau travail de couches tout en veloutés subtils, en fondus et en glacis, atteignant au maximum de la profondeur mate des couleurs que produit la superposition des passages. Un bien joli livre qu’hélas je n’avais pas pu m’offrir il y a quelques années à sa sortie, et que je suis tout de même content de retrouver ici dans sa version cheap. Même si l’impression numérique est bien incapable de rendre compte des chromies originales, les dessins sont beaux, et leur rencontre saugrenue laisse de la place pour rêvasser longtemps devant le duel qu’ils se jouent.

Puisque j’en suis à évoquer ce procédé technique si connoté par l’usage obsessionnel et contre-inventif qu’en font les sages élèves d’écoles graphiques et pourtant porteur de réelles possibilités, j’étais venu avec la quasi-certitude de retrouver à Angoulême la revue Rhizome, dont j’avais choppé trois numéros au festival Cultures Maison, à Bruxelles, cet automne. Leur usage de la machine Riso est particulièrement riche, ils en déroulent la gamme de possibilités pour construire une revue intégralement imprimée avec ce procédé, dans des approches plutôt académiques de la bande dessinée, sans aucun doute, mais justifiant systématiquement leur opiniâtre usage de ces machines par le souci dont ils font preuve d’en exploiter la richesse chromatique et les qualités techniques propres. Même si leur attachement au récit et à une certaine linéarité narrative m’éloigne souvent de leurs pratiques et de leurs références, c’est un des plus solides fanzines que j’aie vu depuis bien longtemps et j’aurais bien voulu m’en procurer encore quelques numéros. Le prix de vente de la revue est modeste — 6,50 € — ce qui est une façon comme une autre de faire un travail politique et critique de la valeur, travail assez nécessaire par les temps qui courent.

Au même stand, en face de Magnani, le troisième volume de Belvédères (20c), de Lucas Retraite et Fabio Viscogliosi chez Gargarismes. C’est toujours fascinant, étrangement percuté ici par d’obsédants retours de la visagéité, grotesque, fondante, confiseuse, entre le léger hors sujet et le retour du refoulé. Sur la même table, Marteau couteau pierre (20b) de Tom Lebron-Khérif et Antoine Orand. La confrontation de deux traitements du dessin aussi ostensiblement dualitaire, produit une tension qui les éloigne autant qu’elle les rapproche ; de cette tension naît une étrange invitation à renverser la lecture des objets, lisiblement traités de façon illusionniste, à les lire en paysage. L’effet immédiat est de parasiter la lecture des dessins linéaires par des effets de plan, créant une connexion de causalité matérielle illusoire entre les dessins, débordant légèrement, comme un effet de halo, la causalité poétique (le livret est lié à un joli film visible sur vimeo).

(16) Ah ! ça c’était LE truc que je voulais absolument rapatrier d’Angoulême, les deux volumes du Future de Tommi Musturi. C’est une composition ahurissante de pulp branques, one-man-show transformiste au dessin sans cesse embarqué dans des agencements différents, des traitements graphiques hétérogènes, jouant inlassablement de la question du même, du faux, du signe, pour donner le portrait arlequiné qui hante depuis des années son travail, celui de cette chose molle et glissante dite culture. Musturi, dans ces deux fascicules bien plus que dans n’importe quel autre de ses livres, met en branle sa petite musique théorique et sa force d’invention peu égalée pour traiter la question de la manière. C’est beau, c’est en anglais pour ceux que le finnois effraie (le monde entier, même les finlandais), et ça se trouve là. C’est exactement le genre de livre qu’il fallait brandir à Finkielkraut au lieu de Maus ou de Persepolis comme il fut connement fait, pour le conforter dans l’idée que la bande dessinée c’est pas pour sa gueule, qu’il aura jamais les moyens de la comprendre et qu’il peut retourner à ses vieux jouets littéraires avec ses amis vermoulus.

(11) Nous avions cette année pour voisins le stand de Magnani et celui de Chili com Carne, équipe lisboète qui publie, si j’ai bien compris, à la fois des travaux portugais et des travaux étrangers traduits ; on pouvait trouver sur leur stand un grand nombre de titres portugais dont je ne connaissais pas les auteurs, à forte coloration politique d’extrême-gauche, quelques livres familiers de Tommi Musturi, de Samplerman, et également le gros volume anthologique le Portugal en bulles, au titre sans aucun doute navrant et livre plus tout jeune, mais publication essentielle, aux reproductions nombreuses et soignées, à peu près unique en son genre, présentant l’incroyable diversité et la fécondité du travail en bandes au Portugal depuis la fin du XIXe siècle. J’étais ravi de trouver une source potentielle pour ce livre important de ma bibliothèque dont je parle régulièrement à mes proches qui ne savent pas où se le procurer. Je ramène, outre le plaisir d’une rencontre poilue et nicotineuse avec un camarade anarchiste portugais, quelques bizarreries dont la dernière surtout, mérite toute votre attention.

Je commence par O subtraído à vista, de Filipe Felizardo (11a), dont il me serait difficile avec toute l’indulgence du monde de dire grand-chose d’enthousiasmant puisque pas grand-chose d’enthousiasmé ; les arguments culturels dont on encombre parfois un récit sont censés lui apporter une solidité structurelle par un rivetage connotatif, par pallier l’impuissance visible à atteindre la forme. Hélas, ici, le tribut à payer à Moebius est si lourd qu’il excède très largement toutes les catégories de l’hommage et accable le bouquin, a fortiori parce qu’il a bien du mal à se relever de la comparaison (c’est très ouille pour les yeux). Ajoutons à ça que l’ancrage graphique et poétique dans les années 70 et la dernière vague du surréalisme n’aide pas à trouver de la patience pour ce travail qui, pourtant, tentent des formes assez radicales de composition hybride entre photographies, textes typographiés et bandes dessinées, expériences qui mériteraient un meilleur traitement et une meilleure destinée que ce. Je sais pas quoi.

Punk Comix (11b) : un deuxième cadeau de mon adorable voisin de stand, présentant un petit livret risographié accompagnant un CD audio de l’histoire du punk portugais. Il ne faisait aucun doute pour Marcos, co-auteur de cette histoire du punk, que notre partage d’un socle politique anarchiste impliquait également celui de la musique punk. Ma vie est une suite ininterrompue de malentendus. Je l’ai quand même écouté. Je l’offrirai à ma maman (je ne connais pas d’autre vieille dame).

Enfin, The care of birds (11c), de Francisco Sousa Lobo, publié chez Chili Com Carne. Il ne m’est pas simple d’en causer parce que j’ai bien conscience que la faiblesse de mon anglais m’aura fait passer à côté de pas mal de subtilités du récit, notamment parce que la plupart des dérapages métaphoriques qui le dérèglent sont en demi-teinte et en allusion. Même si quelques points d’appui, assez rares, quasi hors champ (à l’exception de la dispensable image de couverture) viennent peut-être inutilement-nous rappeler de quoi nous sommes en train de parler, c’est de loin le travail le plus subtil, le plus saisissant et le plus intelligent que j’ai vu traiter de la pédophilie depuis bien longtemps.
Cette position, évoquée ici par un prisme clinique dont je n’ai jamais entendu parler — le syndrome de sainteté — mais qui n’est peut-être qu’une métaphore de l’auteur lui-même, se superpose à celle du birdwatcher — l’observateur ornithologique. Chaque touche nous faisant lentement approcher la psyché de la figure centrale est amenée de manière à produire, très finement, plus de questionnement et de trouble que de réponses ; ce sont les mouvements de fond des représentations de l’enfance chez l’adulte qui sont décortiquées, exposés à la lumière de désirs informulables, conduits dans de beaux couloirs métaphoriques, plutôt que la lecture factuelle d’une criminalité sexuelle tangible (et rien, d’ailleurs, dans le récit, ne laisse imaginer que la pédophilie soit menée ici à son terme ; ce n’est pas l’objet).
Je me suis laissé faire assez rapidement par ce dessin au départ un peu rebutant, ces montages de plans exsangues, pour y voir pas à pas tout ce que cette claudication ouvrait comme inattendu de la marche, comme sortie de champ, comme invention. Il faut vraiment traduire urgemment ce truc, les gens. Il y a une intelligence warienne assez rare de la métaphore et des jeux de durée, mais également une solide culture littéraire qui affleure sous cette écriture subtilement polysémique. Bon, il faudrait sans doute revoir la chromie fadasse et la finition du livre, qui mérite mieux, mais je dois dire que c’est un très beau cadeau que m’aura fait mon voisin de stand. Merci Marcos ! Un article un peu copieux sur le chouette site de LerBD pour les lusophones.

(26b) Anton Kannemeyer, Pappa in Afrika. Ce très beau livre de la Cinquième Couche vient compléter assez idéalement le gros volume anthologique de l’Association publiée en 2009, Bitterkomix, (avec lequel il partage quelques pages). Une bonne partie de ce livre est consacrée à l’univers de Tintin, plus exactement à celui de Tintin au Congo, tirant le meilleur parti des mécanismes racistes et de leur défense aveugle, pour construire des planches critiques et politiques brutales et nécessaires ; on trouvera toujours un petit fond de saloperie blanche prête à minimiser l’intensité et les conséquences de nos productions racistes et de leur copieuse grammaire de formes offensantes, vulgaires, triomphantes, puériles, assassines et sempiternellement puritaines (telle va la morale à deux temps dans sa marche écrasante, poing rouge et sexe blanc). Joe Dog ne se sent pas obligé de donner des leçons d’analyse historique — malheur à qui aurait dû attendre jusque-là pour haïr la colonie — et propose plus volontiers une lecture composite et brute de la construction coloniale et de son imaginaire, aussi bien politique que lexicographique et érotique. La dalle de ciment culturelle qui achève le livre, constituée d’une dizaine de pages égrenant autoportraits et citations, est sans doute dispensable et bouche la sortie du livre plutôt qu’elle ne l’ouvre.

(26a) Journaux, de Judith Forest, gros pavé de papier mou dont je soupçonne que Xavier Löwenthal me l’a foutu entre les pattes dans le seul but pernicieux de m’alourdir pendant tout le festival jusqu’au retour chez moi ; mais ce livre, Xavier, c’était déjà si peu à sa sortie, comment ça pourrait devenir plus que peu en accumulant simplement les paperoles, les commentaires et les paratextes ? Il m’avait fallu sept secondes quand William me l’avait filé pour y reconnaître un livre de lui, au point qu’il ne s’en était même pas défendu. Et une fois tombée la mascarade, que restait-il du livre ? De ce livre ? Quelques bon dessins noyés dans les utilités, un goût de la farce assez autocentrée qui ne se dégagera pas miraculeusement du corporatisme simplement en jouant à être plus sale que lui. Ça ne suffit pas. Et puis surtout, c’est un livre de vieux. L’expérience de l’école d’art que cette jeune fille est censée avoir traversée, est une expérience d’école d’art des années 80. Tout ce qui s’y raconte sur l’exécration du joli, la demande de grands sujets tragiques, bordel, mais c’est tellement plus ça. Les gars, allez dans les galeries d’art contemporain plus souvent, franchement, vous avez oublié des étapes ; et surtout, faut regarder les trucs sur les murs, de temps en temps, dans les vernissages où vous allez picoler ! Levez le nez de la vilaine bière des buffets. Et puis il y a tout le reste, toutes les remarques à tiroirs pleines de sous-entendus bien épais sur les faux semblants et le théâtre social… Pitié… Vous faites tellement plus puissant pour détruire les discours de vérité avec tout votre catalogue, pourquoi ce truc là, inutile et si régulièrement faux dans ses analyses ? Ce livre est moins malin que vous, il est moins beau, et il sert à rien. J’ai eu un mal de chien à en venir à bout, mourant à petit feu. Qu’on enterre enfin J.F. sous la Cinquième Couche, elle me fatigue !

Le collectionneur de briques de Pedro Burgos, chez six pieds sous terre. Sans doute la métaphore générale du récit se perd-elle parfois un peu trop confusément, peut-être manque-t-elle de cohérence, sans doute ne suffit-elle pas à construire des rapports clairs entre les personnages et les articulations du récit, et sans doute y a-t-il un petit problème de rythme entre les différents actes ; mais la construction des pages toutes tissées de lignes, zébrées et organisée par elles, comme un jeu de taquin poétique qui accompagne l’édification narrative d’un Golem de briques, est une bien jolie chose qui m’a vite happé dans ce dessin hors d’âge, qui pourrait être de n’importe quelle époque et d’aucun lieu ; un charme rudimentaire mais tenace, soutenu par un joli soin éditorial. La phrase choisie, probablement par l’auteur, pour être mis en exergue et d’une certaine manière définir l’horizon du livre, en dit sans doute un peu trop de ses intentions et pas assez de sa capacité, réelle, à les dépasser. Mais ce « collectionneur de briques » qui noue des rapports complexes et ambigus avec la situation politique de Lisbonne, est une de ces chansons entêtantes qui ne vous quitte pas avant longtemps. Chouette bouquin, discret, qui mérite de ne pas passer inaperçu (un article de Pedro Moura)

(29) Zahhak, la légende du roi serpent, de Hamid Rahmanian et Simon Arizpe. Je suis plutôt démuni pour parler de ce livre incroyable publié par Les Rêveurs (qui avaient pas mal de très belles choses à leur stand cette année), parce que j’ai toutes les chances de radoter ce que vous savez sans doute déjà depuis sa sortie : le bouquin a été très commenté, et dès qu’on se promène un peu en ligne pour voir quel effet il a fait sur les critiques, on voit à quel point cet attelage de classicisme narratif et graphique et de démesure technique et plastique a coupé le souffle de tout le monde ; le soin maniaque ahurissant apporté à la conception et la réalisation des pop-up fera date dans l’histoire de cet artisanat éditorial toujours rare (entre 20 et 30 titres par an), et le conte persan vénéneux au service duquel ces pages ouvrent leurs machineries merveilleuses ne pouvait pas être plus follement, plus généreusement raconté.

Je savais que je trouverais cette année au stand des Belges — le long corridor bariolé de Wallonie Bruxelles accueille désormais les visiteurs à l’entrée de la bulle Nouveau Monde (qui s’achève sur celui de Magnani) — un fanzine que j’avais feuilleté à Bruxelles au dernier salon Cultures Maison : c’est le sixième numéro de la revue passionnante qui ne ressemble à aucune autre De Zeehond (10), consacrée cette fois-ci aux terrils. Si vous ne savez pas ce qu’est un terril, personne ne pourra mieux vous en faire découvrir le potentiel poétique ni l’histoire fascinante que les autrices de ce fanzine toujours déroutant, quel qu’en soit le sujet (et dont les sujets eux-mêmes sont toujours déroutants). Et si vous savez déjà ce qu’est un terril, vous en apprendrez encore beaucoup et vous ne vous sentirez plus jamais seuls au club des adorateurs de Luc Moullet. La méthode de construction de ce numéro, la recherche qui a présidé à sa réalisation, ses effets sur la vie de ses rédacteurs, en sont tout autant les objets que les terrils eux-mêmes. C’est intelligent, toujours beau, souvent drôle, jamais à cours de nouvelles pistes. La science de la digression et du paratexte sont des éléments essentiels de la revue De Zeehond.

(28b, deux volumes) Anti Reflux. Maël Rannou avait fait précéder ce travail autopublié de David Amram d’un tel bruit publicitaire qu’il était assez difficile de le lire simplement, de chasser les moustiques de la propagande et de trouver des yeux intacts. Ces fanzines étaient évidemment disponibles au stand de L’égouttoir, pas loin du stand Magnani. Si ces deux volumes de Anti Reflux ne pouvaient atteindre les hauteurs auxquelles ils avaient été bruyamment élevés par leur promoteur, ce travail mérite tout de même qu’on s’y attarde un instant. Le deuxième volume est meilleur que le premier, moins exaspérant dans cette insistance au tragique qui finit par faire refrain plutôt que tension, et le petit supplément que contient ce deuxième volume est meilleur encore. Dans l’ensemble, même si les ombres tutélaires planant au-dessus de ces dessins malingres qui surjouent mélancoliquement l’enfantillage ont du mal à les laisser tranquilles, rien de grave là-dedans parce que ce qui s’en dégage tient debout et construit un monde, et qu’avec lui quelque chose commence. Au moins assez pour qu’on en attende quelque chose d’autre dans d’autres volumes. Quelques détails techniques regrettables dans la conception des bouquins (une chromie de couverture assez dégueulasse et un pelliculage absurde) ne suffisent pas à saboter le travail.

(30) Une vie d’errance, de Silkidoodle, autoproduction. Un dessin vibrant très assuré qui permet à des cases muettes d’en dire beaucoup. Deux vignettes sur les règles d’une femme en dérive sociale portent plus que nombre de longues analyses sur l’enferrement de la clochardisation. Le contrepoint filé de la petite filles aux allumettes n’est pas mal, mais il entraîne assez fatalement un abus de pathétique sur un sujet pourtant bien approché par l’autrice et qui s’achève dans des explications dont je ne doute pas que sa science du montage muet aurait pu largement nous dispenser. Reste un vrai sens tragique, à peine amoindri par une dramaturgie de convention. Ma visiteuse coréenne — que je remercie pour son livret — n’a semble-t-il encore rien publié en France, mais je serais étonné que ça dure longtemps.

(7b) Un filet dans le noir de Loïc Largier, qui pousse jusqu’au bout sa logique de « toujours la même chose, complètement différemment ». Ce nouveau cahier existe en 20 versions uniques. Et puis Revue 1.25 n°32. (7a) Encore une très délicate saillie de l’inépuisable varia 1.25. Dans celui-ci, pas de couche, de sédimentation, pas d’archéologie sur le terrain. C’est comme le vent soufflé sur les ruines du musée, pour repartir complètement à zéro. Nouveaux alluvions, nouvelles fouilles etc. On retrouve des vieilles connaissances, des fragments qui ont traversé trois déluges sans disparaître. La trop grande discrétion du travail de Largier me navre. N’attendez pas qu’il clamse, les éditeurs. Des livres, pas un mausolée.

(13a) Cairns numéro 3 : une des rares publications existantes capables de nous rappeler que si Xavier Löwenthal passait moins de temps à picoler et se gratter les noix en Moldavie, il pourrait faire de grandes choses : c’est à ce modeste collectif toulousain qu’il donne régulièrement ses plus jolis dessins (je veux croire qu’il en fait d’autres, raison pour laquelle je n’écris pas « ses seuls dessins »). Sinon, les beaux escargots d’Aurélie Lacan et des non-maisons de Fräneck. Également publié par La Toile Collectif, petite maison dont je vous ai déjà causé et qui, au passage, rassemble cette année quelques-uns de mes dessins politiques dans un bouquin éditorialement soigné, Inactuels (13b).

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Spin Off, troisième : je suis grimpé avant tout dans l’espoir de ramener d’autres trucs de Everest, qui m’avait bien retourné la tête l’année dernière et j’y courais d’autant plus excité qu’il y faisait une expo. Hélas, hélas, hélas… Non seulement mon petit génie s’est déjà endormi en lui-même mais l’exposition était conçue avec l’investissement poétique et intellectuel de tante Monique au salon du crochet : série bête d’images enquillées au mur sans aucune pensée expositionnelle. L’atmosphère générale des expos respirait cet ennui atmosphérique d’un enguirlandage du mouroir gériatrique juste avant le dernier bal (l’autre bidule navrant étant un écho archi maigrichon et mal fagoté des expériences de Supports/Surfaces un jour de grand rhume. Faut vous réveiller, il s’est passé quelques trucs entre 1950 et 2010 qui méritent qu’on s’y attarde, et pas seulement pour en faire des motifs de cahiers à petits carreaux. Faut pas vous saboter aussi vite, vous allez me tuer de chagrin, les zozos). Le salon est, je crois, co-organisé par la librairie Disparate de Bordeaux ; hé bien j’aimerais vraiment retrouver ici son incroyable richesse hétéroclite et les surprises permanentes que réserve son stock. Ici, comme l’année dernière, il faut s’écarter du regard toute une bimbeloterie crépitante de conventions décos paresseusement éditées (est-il de préciser avec quel système de reproduction ?) pour y voir un peu clair. Bon, heureusement, quelques valeurs sûres et quelques zozos moins contaminés par l’académisation endémique qui dévore trente graphistes par jour m’ont redonné assez vite goût à la vie.

Tout d’abord, un groupe de très jeunes fanzineux, pas encore sabotés par la certitude que le plus petit poussif de leur brouillon est transformé en or par la magie de la micro édition, première rangée sur la gauche au fond : (22a) Unbreakable humanoid sexy ninja girl de Blaise Guillotin, qui néglige visiblement ses lectures philosophiques parce qu’il tripote trop souvent sa manette de jeux l’animal, mais qui nous soigne un agencement de 3D filaire old school simple et élégante et quelques grappes neuronales numériques glamour par des superpositions de supports ; c’est pas parfait, pas dépourvu de clichés, mais c’est copurchic, popouille, sobre, ça tient debout tout en jouant, c’est plein de promesses (faut les TE-NIR gars Blaise ! Au boulot) ; au même stand, parce qu’ils ont visiblement pas encore foutu grand-chose et doivent s’y mettre à douze pour occuper une table, la charmante promenade photographique de Paul Lemaître, Les amis (22b), par Rymte-editions. C’est tout con, c’est presque rien, mais il s’en dégage une sorte de joie triste et enfantine touchante ; et comme le fascicule de son pote, il y a une attention portée à la réalisation éditoriale du DIY (c’est pas une raison pour numéroter tes exemplaires, mon con, ne prends pas déjà des vilaines habitudes d’épicier !) Bref, je suis curieux de voir ce qu’ils auront à montrer l’année prochaine. On commande des petits bouts de tout ça . Y’a un tumblr tout pourri et vide que je vous épargne et un instagram pas tellement mieux.

(12a) Faith, torn apart, de Makiko Furuichi. Retrouvailles enthousiastes avec le boulot de Makiko qui tient un stand seule cette année, et qui présente un beau livre d’images dans lequel sont venues s’accumuler toutes les expériences plastiques et poétiques de l’année richement passée (notamment à construire une grande exposition monographique à Nantes cet été) ; l’hybridation culturelle dont elle avait finement fait sa très belle dérive autour de Bosch il y a quelques années a touché largement les autres plans de sa pratique, en entraînant ses aquarelles délicates dans des voisinages improbables de matières picturales et graphiques. Reconvoquant Bosch par petites touches pour un bal cacophonique, elle y entraîne figures maniéristes de la peinture occidentale, créatures de SF vintage, figures mythologiques, spectres urbains, silhouettes de mangas recrachées par la mer, au rythme de la musique eightiesante de Xiu Xiu. Ça ne cesse de s’améliorer et j’attends avec une impatience folle le jour — promis — où elle va plonger en bandes dessinées. Au passage, Makiko a la délicatesse de m’offrir une série de cartes postales de son grand-père, Minokichi Yasui.

Parmi les traits qui signent à coup sûr la puissance d’un grand talent, il y a la possibilité de tomber deux fois, sans le savoir, sous le coup de son charme. Ceci m’est arrivé par deux fois au cours de ce festival, en moins de 20 minutes. Alors que je regardais attentivement toutes les publications excitantes au stand que tenait Margaux Duseigneur, je craque sur un fascicule agrafé qui présente des images pleine page tirant de la picturalité malencontreuse et naïve, vainement mimétique, des plug-ins de logiciels graphiques, une autre picturalité, implicite, en opérant une déconnotation radicale pour construire une galerie monstrueuse, un peu dégueue, beaucoup branque, de présences. Cette chose, que je ne lui aurais jamais attribuée spontanément, était le Plastique rap, de Antoine Marchalot (24), très éloigné de ses travaux habituels (mais a-t-il vraiment des travaux habituels ?).

Alors que je m’éloigne ravi de m’être fait surprendre par un auteur que je croyais connaître jusque dans ses surprises mêmes, je m’arrête à un stand un peu plus loin et je feuillette quelques jolies choses. Je tombe sur un fascinant cahier de photographies qui construisent entre elles une puissante structure récitative, uniquement sur la base des jeux de grains, de nuances de gris, de valeurs, entre artificialité appuyée, graphique, de la retouche numérique et fausse candeur gonzo des prises de vues crues. C’est en décidant de m’en encombrer que je découvre qu’il s’agit du travail de Boris Detraz, de Chambre Charbon, dont j’achète depuis de nombreuses années des publications… il s’agit de salle d’attente (23), que je vous encourage à vous procurer.

(25) L’immeuble, de Cyrille Aron, aux éditions Bleuvelours. C’est sans aucun doute la surprise la plus enthousiasmante de ce troisième spin off. D’une part parce que c’est la dernière chose que je pensais trouver ici, où même les meilleures expérimentations draguent tout de même plus les préoccupations du graphzine pour lesquelles la bande dessinée a plus ou moins l’air d’être une maladie honteuse, mais également par la tenue, la rigueur, et l’ambition de ce récit en bandes. Je ne vois pas bien le sens d’avoir fait ce livre-là en Riso, mais comme l’éditeur n’en profite pas pour donner un illusoire cachet de luxe à tout ça, supposons que la machine était disponible dans la salle d’à côté, et voilà. La sobre brutalité des rapports urbains que viennent scander, paraphraser, comme un cœur grec, de légers dérèglements de l’action médiés par des écrans de contrôle et de projection, est tenue fermement dans des séries de cellules domestiques et de couloirs qui en zèbrent les agencements comme dans une métonymie du monde.
Si cette compréhension insulaire de l’immeuble comme optique sociale est loin d’être unique dans l’histoire des fictions urbaines (j’ai en tête le Shivers de Cronenberg ou, plus proche de nous, le Building Stories de Ware, mais les exemples sont légion), l’espèce de suspension inactuelle du dessin et du cadre du récit, la profondeur géométrique des espaces qui agit comme un opérateur d’angoisse supplémentaire et qui théâtralise le moindre déplacement, le montage polysémique des combinaisons pornographiques en font un bouquin assez unique et une jolie réussite éditoriale. Il faut passer outre le côté un peu laborieux d’un dessin encore mal établi sur ses bases, et céder sans retenue à ce premier livre des éditions Bleuvelours. Je souhaite le plus grand succès à l’immeuble de Cyrille Aron, et j’attends avec impatience l’année prochaine pour les suites de ce joli travail.

(28c) Pourquoi tu racontes ta vie ?, de Maël Rannou. Purement rhétorique, cette question. Si tu te l’étais vraiment posée au lieu d’en faire un titre, tu n’aurais pas fait ce zine, Maël. Laisse les arbres tranquilles ; le monde part en fumée, et que fais-tu de ta vie ici-bas, hmmm ?

(28a) Dingue, Gorgonzola a un maquettiste ! Et ça se voit ! C’est pas encore complètement la folie, mais bon sang, après avoir plissé le nez pendant des années devant 23 numéros non conçus non montés non empagés, je serais un sacré trou du cul de faire la fine bouche. Et évidemment, ça a un effet sur la lecture. Sinon, comme toujours, c’est le bordel, comme toujours, des trucs pas folichons voire navrant (le Ena Jurov, pitié…c’est MAL) cohabitent comme toujours avec des petites perles (le Jack Exily, qui devrait avoir tout pour m’agacer par ses connotations poétiques déroule un mode prosodique qui claudique, bizarre, hypnotique, à la fois artificiel et spontané) et un dossier dont le travail éditorial éclaire un bout d’histoire de bandes dessinées en Croatie (revoir surgir Dylan Dog — seule série pour laquelle réaliser un volume m’exciterait comme un fou — dans un dossier croate, pris dans la lecture historique guerrière de Dinko Kreho, était un moment de trouble assez inattendu). Tout ça est encore bien sage pour m’emporter vraiment, ce numéro est globalement un peu plus faible que les précédents, mais la revue tient sa ligne têtue et si un maquettiste a pu apparaître au bout de dix ans, le souffle de l’expérimentation peut bien se manifester d’ici quelques années en emportant toutes les pages sur son passage, non ?

(14), Totope la taupe par le très très mystérieux EMDT ; joli conte pour enfants alliant la richesse des belles histoires bibloques (ici la terrible guerre de Zad contre la Milice du Pognon) et des conseils bien nécessaires pour l’éducation des tout petits : l’auteur explique les quelques gestes de base pour se protéger des sept plaies d’Égypte (les nuées lacrymogènes, la pluie de balle de caoutchouc, etc. ?) et éviter de se faire dévorer par le Moloch sans pour autant fléchir devant lui. On espère que Totope ne perdra pas son goût de la lutte pendant son exil sabbatique chez Charlotte et qu’elle reviendra en pleine forme pour de nouveaux conseils santé. On peut tout voir ici et commander des trucs ici.

Après leur curieux petit Messenger qui gravitait autour du Major Fatal du même auteur (Lucien Gurbert) et dans la même jolie petite collection, Radio as Paper, voisin de table de Magnani, publie cette année ce A memorable fancy (21), traduction illustrée d’un petit bout du Mariage du ciel et de l’enfer de Blake (disponible intégralement ici, avec des fac-similés) . Même si l’étrangeté forcée des figures mythiques et syncrétiques de Blake gouvernées par les courants d’une exécration de la Raison peuvent donner envie d’y opposer des figures rationalisantes, linéaires, j’ai bien du mal à me réjouir de voir à son tour Radio as Paper, grands découvreurs de Tim Danko et, dans un tout autre plan de conscience cosmique, de Jean-François Biguet, se livrer au pastiche de Yokoyama, même par jeu. C’est usant. Il est en passe, après Blutch, Ware et BlexBolex de devenir l’homme le plus dévalisé du monde de ces dernières décennies. C’est pas bien, les gars. C’est beau, c’est intelligent, c’est unique, Yokoyama. Et ça vaut mieux qu’une certaine manière dynamique et chic de faire des ronds sur des carrés. Sinon, à part ça, Radio as Paper ne s’endort pas et fait plein de jolies choses.

(9) Fearless colors. Samplerman fait chier. Samplerman fait tout ce qu’on rêve tous de faire depuis toujours mais qu’on fait pas parce qu’on est trop paresseux pour mener une idée à son terme. Il en fait une machine boursouflée, tumorale, malade de mener une idée à son terme. Il en fait, à sa manière le tout de la bande dessinée. C’est beau mais ça n’a aucun intérêt de vous le dire, vous le savez déjà. Et pour le reste, ça demanderait de se poser devant chaque planche pour voir à quel point c’est à chaque fois beau autrement.
J’ai pas du tout pigé qui était l’éditeur de ce truc. C’est luso-hispano-letton, on dirait, y’a trois adresses. Je sais pas ce qu’il a foutu avec les contrats d’édition, il a dû tripoter les papiers, et voilà.

(27) Anders et le volcan, chez The Hoochie Coochie. Une fois évoqués les miracles rythmiques des récits de Gregory Mackay, la grâce fragile de son dessin qui joue si intelligemment aux frontières du motif, sa capacité à produire des récits enfantins jamais puérils, ni démonstratifs ni complaisants, persiste l’impression d’un autre chose, une chose d’une rareté inouïe qu’on met un certain temps à distinguer, à nommer : il se dégage de ses livres une incroyable bonté. À la limite du supportable, comme la beauté peut rendre triste devant l’opiniâtreté hégémonique de la laideur, une bonté renversante. Il est bien difficile d’être le lecteur d’un livre pour enfant sans jouer à l’enfant, sans s’illusionner sur la présence en soi d’une aptitude toujours vivace à jouer. Mais c’est faux, il ne reste rien, ces gestes-là ont perdu leur motivation, on peut revenir secouer sa boite de jeux, le théâtre est mort. Reste dans la lecture d’un livre pour enfant l’affinité avec celui qui l’a écrit, un adulte lui-aussi, et le partage de son regard sur l’enfance. Le regard bienveillant de Mackay est un contre-poison à tellement de cochonneries qu’on ne doute pas une seconde de la force que sa lecture apportera à chaque marmot de votre entourage. Faites-les grandir avec lui.

(3a) Tchouc Tchouc n°6. Un des plus jolis fanzines du moment sort le plus joli de ses numéros ; il faut pas rater ça, il faut se laisser happer par les planches centripètes de Méthée qui menacent à tout moment de s’atomiser, les dessins raffinés d’un classicisme aberrant de Marty, les notes fiévreuses de Henninger ; même Callioni, qui me taquine rarement un sourcil, a levé un peu le pied sur les clichés surréalistes et lâche ses quelques pages les mieux tenues (avant que ça se rebarre en quenouille vers la fin, certes, mais bon, je chipote). Tout ça me met en joie, ça devient le rendez-vous éditorial du festival que je raterais pour rien au monde, où je suis sûr de voir de belles choses en parlant à de grandes belles humanités.

Et puis il y a l’autre truc de l’équipe, le fanzine de dessin de Marty (3b) : Jean Lassale, on sait pas ce qu’on regarde, ça picote comme une maladie de peau, on se frotte les yeux mais c’est toujours là sur la page. Camille Lavaud ravaude l’histoire comme un patchwork avec tout ce qui lui tombe sous la main, mais c’est pas pour tenir chaud ou pour faire des guirlandes, c’est pour nous faire toucher la farce noire de la guerre. C’est moins fort en gueule et plus proche des tranchées que Tardi ne le sera jamais. Elle aime Vassiliu, aussi, comment ne pas aimer Camille Lavaud ? Et puis Lola Lorente, Pierre Marty, François Henninger, la belle anti-famille que voilà, le beau contre-poison aux bandes de potes sympas de la bédée. Un de mes fanzines de dégénérés préféré, ce Mloute Mlout de Pierre Marty. Que des créatures chétives si mal armées pour la conformité résistent à l’engourdissement délétère de la ville m’émerveille : ils ont des corps de crevettes avec la résistance de léviathans.

(4b) Les berlurettes II, Kobé 29, trouvable au stand Arbitraire, pas loin du stand Magnani. Ce n’est pas parce qu’il se fait anthologiser par une extrémité, que l’autre bout de Bertoyas ne s’agite pas pour grossir encore le monstre Kobé. C’est du Bertoyas king size, c’est toujours beau et tout ça, mais je radote, je radote, faut pas radoter et je ne peux pas répéter chaque année la même forme de mon enthousiasme pour des livres qui méritent toutes sortes de critiques joyeuses et désordonnées, comme leur objet. Pourquoi y a-t-il aussi peu d’écriture sur Bertoyas ? Les critiques sont des feignasses, on le sait, mais ça n’explique pas tout. Que craignent-ils exactement ? De faire l’aveu qu’ils sont foutus dès qu’ils n’ont plus d’histoire à paraphraser ? C’est bien possible…

(4a) Surnager au quotidien. C’est du noir en couleur. Il n’y a guère que Jean-Jean (des Taupes de l’Espace) qui ait conduit à ce point la danse à devenir le mode même de la narration et de la construction en bandes, comme guide du regard, happant dans sa marche celle du lecteur. Tara Booth adjoint à cette science rythmique et compositionnelle les pulsations colorées — miniatures persanes que fluidifient les membres agités de cette grande molle marionnette expiatoire, tragi-comique terrible et doux — dont l’onctuosité de pâte semble l’inviter à la malmener avec encore plus de férocité. C’est drôle, et puis pas, et puis re, et puis encore moins et souvent tout ça en même temps. C’est donc publié chez Arbitraire, qui fait décidément un sacré bon travail. Mais qui l’ignore ?

Dossier de en février 2019