Vues Éphémères – Février 2008
Et revoilà Février qui commence, avec son ciel gris et son temps morose — le mois que l’on a fait plus court pour qu’il s’achève plus vite. Sauf cette année, bien sûr. Mais pour le rédacteur en panne d’inspiration, l’éditorialiste en quête de sujet, Février a du bon : Angoulême vient tout juste de fermer ses portes, et il y a forcément matière à discuter.
Tenez, cette année, fort de sa volonté de suivre les nouvelles technologies, le site officiel du Festival s’est offert le luxe de l’audiovisuel, à raison d’une séquence vidéo et d’une galerie de photos quotidiens. Le Festival, comme si l’on y était — ou presque.
En effet, les cinq petits segments du «Tout en Images» du Festival font état d’un oubli assez surprenant : en presque vingt-cinq minutes de reportage mettant en avant expositions, spectacles, rencontres et autres dédicaces, il faudra le passage de madame la Ministre de la Culture pour apercevoir fugacement la bulle du Nouveau Monde — vous savez, celle qui abritait les éditeurs dits «indépendants».
Par contre, on ne verra pas du tout l’espace bande dessinée alternative, mais à en croire Jean-Pierre Dionnet, visiblement ravi et longuement interrogé, celui-ci se voyait enfin accordé place, légitimité et … grande tente blanche. Le signe certain de l’accession (méritée) à la respectabilité, sans aucun doute.
Du côté des photos officielles, la moisson ne sera pas beaucoup plus fructueuse, puisque l’on en relèvera tout juste cinq pour le Nouveau Monde (que l’on pourrait d’ailleurs attribuer, avec un rien de cynisme, à la venue de France Culture et Frédéric Mitterrand pour une émission en direct) — et deux pour l’espace bande dessinée alternative.
Pour un Festival qui se veut «le reflet de toutes les bandes dessinées», on pourrait trouver cela plutôt incongru, voire un peu fâcheux. On pourrait presque y penser à mal, imaginer que, par exemple, le Festival aurait une dent contre certains éditeurs, tiens.
Mais non, pas de complot visant ici les petits éditeurs, mais plutôt une question de coulisses politiques et de communication. Tout d’abord, les rencontres du Forum du Nouveau Monde, pourtant séduisantes avec ses brochettes d’auteurs, était organisées sous l’égide des Inrockuptibles, et n’ont sans doute pas semblé aussi prioritaires au service de communication du Festival.
Ensuite, on peut comprendre aussi que les caméras ne se soient pas trop tournées vers l’espace bande dessinée alternative. Loin de la situation idyllique décrite par Jean-Pierre Dionnet, la longue tente blanche s’étirait du côté du Monde des Bulles[1] et souffrait cruellement de surpopulation. L’équipe de Turkey Comix saisissait d’ailleurs l’occasion de leur prix pour protester contre les conditions d’accueil du FIBD[2] dans un message signé des occupants du fameux espace et soutenu par des éditeurs de la bulle du Nouveau Monde.
On l’aura compris, donc — pas d’ostracisme, juste un choix politique de faire valoir les réussites de sa propre organisation, et de ne pas trop ébruiter les quelques couacs. Question d’image, bien sûr.
Et ce palmarès, alors ?
Pour reprendre les mots de la dépêche de l’AFP, «ce palmarès 2008 a mis à l’honneur des romans graphiques», «laisse peu de place à la bande dessinée traditionnelle», «des choix susceptibles d’alimenter les accusations d’“élitisme” régulièrement portées à l’encontre du festival». Musique connue du pas accessible et du trop confidentiel — avec un bémol cependant, ce qui pourrait laisser espérer que les choses changent enfin.
Par contre, si l’édition 2007 qui avait laissé la part belle aux petits éditeurs (Cornélius, Atrabile et L’Association ayant fait le plein de récompenses), même l’AFP remarque que «les grandes maisons d’édition de BD (Dargaud, Casterman, Dupuis, Delcourt) se partagent la moitié des prix». Et après trois années de disette pour les grands, le prix du meilleur album revient à Dargaud pour Là où vont nos pères de Shaun Tan.
Sur un plan purement comptable, on pourrait même se montrer taquin, et souligner que ces grands éditeurs (à savoir Dargaud–Dupuis, Delcourt, Glénat, Casterman et Gallimard), au vu de leur contribution à la production annuelle,[3] ont été plutôt généreusement servis par Angoulême ces dernières années :
Année | Sorties | Prix Reçus |
---|---|---|
2003 | 56 % | 80 % – 4 sur 5 |
2004 | 44 % | 50 % – 3 sur 6 |
2005 | 40 % | 67 % – 4 sur 6 |
2006 | 33 % | 67 % – 4 sur 6 |
2007 | 34 % | 38 % – 3 sur 8 |
2008 | 32 % | 56 % – 5 sur 9 |
Avec, en prime, la moitié des prix du meilleur album décernés sur ces six éditions. Joli score, non ? Et encore, je n’ai pas compté les deux titres Futuropolis primés en 2007 et 2008 qui pourraient pourtant être ajoutés dans l’escarcelle de Gallimard…
Par ailleurs, ce qui est assez marquant, c’est qu’après la victoire des «indés» en 2007, on pourrait dire que 2008 consacre les «indés-like». En fait, il n’y a bien que le meilleur album et le Prudhomme-Rabaté qui soient effectivement des «albums» au sens habituel du terme (de grande taille certes, mais album quand même). Pour le reste — Bayou, Shampooing, Ecriture — la filiation ne fait pas de mystère, un peu de couleur en plus.
En ce qui me concerne, j’aurais aimé un peu plus de folie, un peu plus de risque peut-être aussi dans un palmarès finalement assez (trop ?) sage[4] — il faudra me contenter de l’essentiel «Révélation» décerné au superbe L’Eléphant d’Isabelle Pralong…
Les sorties de Février 2008
Nicoz Balboa – Les Larmes De Crocodile – Diantre ! éditions, Collection Bigre
Pierre Bourgeade & Rémy Cattelain – Le poulpe #19 – Tuez Diana ! – Six pieds sous terre, Collection Céphalopode
Pedro Brito & Joao Fazenda – Celle de ma vie, celle de mes rêves – Six pieds sous terre, Collection Plantigrade
Daniel Casanave & Robert Cara – L’Amérique t.3 – Six pieds sous terre, Collection Blanche
Tony Consiglio – 110 % – Editions çà et là
Robert Crumb – Waiting for food 4 – Oog & Blik
Dominique Van Den Bergh & Anne Depièreux – A ce corps – La 5ème Couche, Hors Collection
Perrine Dorin – Adorâbles putains – Diantre ! éditions, Collection Bigre
Pascal Doury – Diamant – Alain Beaulet Editeur
Kamosawa Yuji – Les nuits picabiennes de Xie – IMHO
Kaneko Atsushi – Bambi 4 – IMHO
Hugues Micol – Séquelles – Cornélius, Collection Pierre
Mizuki Shigeru – Kitaro le Repoussant tome 4 – Cornélius, Collection Paul
Placid – 2007 – L’Association, Collection Côtelette
Nancy Peña – Les nouvelles aventures du chat botté t.2 – Six pieds sous terre, Collection Lépidoptère
Riad Sattouf – Ma circoncision – L’Association, Collection Espôlette
Yann Taillefer – Rut – Les Requins Marteaux, Collection Carrément
Willem – Le Roman Noir des Elections – Les Requins Marteaux, Collection Carrément
Aleksandar Zograf – Vestiges du monde – L’Association, Collection Espôlette
Versions Originales
Thomas Behe & Phil Elliott – Contraband – Slave Labor Graphics
Michael Bracco – Birth – Alterna Comics Inc
Ray Fenwick – Hall Of Best Knowledge – Fantagraphics Books
Toc Fetch – Kids Of Lower Utopia Vol 1 – Abbane Ink
Harold Gray – The Complete Little Orphan Annie Vol 1 – IDW
Sam Henderson – Magic Whistle Vol 11 : Body Armour For Your Dignity – Alternative Comics
Jamie Hernandez – The Education Of Hopey Glass – Fantagraphics Books
Lise Myhre – Nemi Vol 1 – Titan Books
Brian Selznick – The Invention Of Hugo Cabret – Scholastic Inc
Jamie Smart – Ubu Bubu #1 – Slave Labor Graphics
Jeff Smith – Rasl #1 – Cartoon Books
Kean Soo – Jellaby Vol 1 – Hyperion Books
Andi Watson – Princess At Midnight – Image
Collectifs
Discovered : SCAD Sequential Art Anthology (edited by John Lowe) – Top Shelf Productions
Hotwire Comics Vol 2 – Fantagraphics Books
Jade 716U – Six pieds sous terre, Collection Lépidoptère
Revues
Comix club 7 : Tom Hart – Editions Groinge, Collection Comix Club
The Comics Journal #288 – Fantagraphics Books
Autres
David Hajdu – The Ten-Cent Plague – Farrar, Straus & Giroux
Rocco Versaci – This Book Contains Graphic Language : Comics As Literature – Continuum Books
Art Spiegelman : Conversations (edited by Joseph Witek) – University Press Of Mississippi
L’information, ça n’attend pas…
Dimanche dernier, Angoulême fermait ses portes, en sacrant la bête bicéphale Dupuy-Berberian, point d’orgue de la Grand Messe annuelle de la bande dessinée. Et la nouvelle, annoncée solennellement depuis le balcon de l’Hôtel de Ville à 13h, d’essaimer ensuite dans la presse enthousiaste. Ou pas.
Témoin la liste ci-dessous, qui permet de juger de l’empressement des différents supports — et ce, quasiment à la minute près, puisque chaque article s’accompagne désormais la plupart du temps d’une heure de mise en ligne.
27 Janvier, 12h21 : L’Express ; 12h26 : 20 minutes ; 13h00 : Annonce officielle (les deux articles précédents sont donc passibles de disqualification) ; 14h22 : Nouvel Obs ; 15h43 : France Info ; 16h24 : AFP[5] ; 16h29 : Europe 1 ; 16h32 : L’Echo (Belge) ; 17h51 : Le Soir (Belge) ; 23h26 : Metro
28 Janvier, 0h06 : 24 Heures (Suisse) ; 7h15 : 20 minutes ; 8h02 : Sud Ouest ; 9h01 : TF1/LCI ; 11h03 : France 2 et France 3 ; 14h43 : Le Figaro ; 18h09 : Le Monde ; (heure inconnue) Le Midi Libre
29 Janvier, 1h30 : Les Echos ; (heure inconnue) Libération[6]
Toujours aux abonnés absents, au 31 Janvier : Le Point
Comme quoi, on n’est pas à un jour près … Pas de doute, cette semaine, l’événement «bande dessinée», c’était bien la sortie d’Astérix aux Jeux Olympiques au cinéma…
Et puis quand même…
Avec le soleil, le retour au centre-ville et une jolie programmation riche en rencontres, cette édition du Festival d’Angoulême est plutôt à classer dans les réussites. Ne reste plus, pour moi, qu’à m’attaquer à la fastidieuse retranscription des entretiens …
Notes
- Espace réservé aux grands éditeurs, et bien loin du Nouveau Monde qui aurait été un compagnon logique aux Warum, Groinge et autres L’Oeuf, pour ne citer qu’eux.
- Plus précisément : nombre de stands passé de 50 à 30, surface sérieusement réduite, demandes de stand refusées sans explication claire.
- En prenant en compte leur part dans les nouveautés sorties durant l’année précédente, les chiffres provenant des statistiques établies par Gilles Ratier dans les rapports annuels de l’ACBD.
- J’aurais bien vu, par exemple, Faire semblant c’est mentir et La vie secrète des jeunes à la place d’un R.G. et d’un Trois Ombres jolis mais manquant de caractère… Affaire de goût, bien sûr.
- Dépêche reprise par La Dépêche, TV5.org, France 24, Livres Hebdo.
- Notons qu’une fois de plus, Libération, après s’être «mis en bulle» le Jeudi précédent histoire de clamer haut et fort son attachement (de façade) à la bande dessinée, s’empresse ensuite de passer à autre chose.

Super contenu ! Continuez votre bon travail!