The Next Day

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Une maison d’enfance, élaborée en celle-ci, façade d’un cube avec son toit pentu, sa porte, ses fenêtres à croisillon et puis son arbre, le tout posé sur un sol assuré se confondant avec un horizon dégagé. Au dessus, un ciel limpide mais sans soleil rayonnant. Apparait un nuage, puis un deuxième, plus gros, puis un troisième, plus gris, puis d’autres encore, plus nombreux et sombres, s’accumulant à en plomber le ciel. L’orage fini par éclater, puissamment, décisif, mettant à l’épreuve et l’arbre, et la maison, questionnant par la pluie et le vent les racines, les fondations et la protection face à l’érosif du temps où se déploie toute vie singulière.

Cette lente évolution d’un paysage intime, reconnu pour avoir été tracé par tous dans l’enfance comme témoin du familier et d’un espoir, sert intelligemment de fil rouge[1] aux dix chapitres, répartis en trois parties[2] composant ce livre. C’est le lieu métaphorique qui témoigne, et c’est le lieu où les quatre témoins — Tina, Ryan, Chantel et Jenn — se réunissent symboliquement pour raconter se dénominateur commun où tout à commencé, qui les placent à la fois dans un autre jour d’après (une renaissance) et dans un jour suivant.

Ce dernier, qui fait titre, précède leur tentative de suicide, dont la lente genèse remonte peu d’années après la naissance, par un divorce pour l’un, par l’abus sexuel par des proches pour d’autres. Au-delà de ces épreuves dramatiques ou des troubles maniaco-dépressifs décelés par la suite (bipolarité, anorexie), l’absence des parents, qu’elle soit de présence ou d’attention plus ou moins consciente, sont parmi les autres éléments basaux, avec leurs corollaires d’incommunicabilité et d’asocialité. A l’adolescence, les comportements qualifiés d’extrêmes apparaissent quasi logiquement avec, pour les quatre témoignages, l’alcool comme échappatoire principale qui, par ses rapides contrecoups, n’accentue que leurs dérives et leurs souffrances.

Tout cela peut finalement sembler banal, et faire l’énième bande dessinée témoignant surtout de ses limites par des «bons sentiments» avec lesquels, c’est bien connu, on ne fait pas littérature et encore moins de neuvième chose.
Reste que, certainement plus motivés par une forme de pudeur et de respect qu’une volonté de témoignages démonstratifs, les auteurs qui ont écrit ce livre — Paul Peterson et Jason Gilmore — l’ont conçu dans une forme où paroles et temporalité s’entrecroisent pour faire émerger et comprendre cette volonté radicale d’en finir et de passer à l’acte. L’intelligence supplémentaire et d’avoir fait appel à John Porcellino pour illustrer et mettre en bande leur travail. C’est la première fois que l’auteur des King-Cat Comics intervient sur un projet où il n’est pas le seul maître à bord.
Ce choix se révèle plus que judicieux. La couverture à elle seule dit cette clairvoyance d’un auteur au dessin souvent qualifié d’enfantin («childlike»), qui dessine certes une maison d’une manière rappelant à première vue celle enfantine, mais qui pourtant y ajoute un étage, ne centre pas la porte, etc. donnant par de simples détails, presque infimes, une force, une maturité qui se distingue et sait se confirmer par la suite dans l’élaboration savante de la rythmicité des cases et des planches de ce récit. John Porcellino était d’autant plus idéal pour ce livre que son travail, il l’avoue lui-même, a à voir avec une forme de dépression contrôlée par sa démarche artistique. Son attention aux nuances les plus subtiles, à l’introspection, dont tout son œuvre et son langage actuel seraient l’aboutissement, mettent ici en relief la parole de ces quatre survivants d’une tentative de suicide.

Ajoutons que ce livre s’affirme avant tout comme une invitation à faire comprendre et à dire (dessiner) plutôt que de raconter l’histoire d’hommes et de femmes mises en gloire en ayant triomphé de leurs angoisses et dépressions pour toujours. Si, une dizaine d’années après, certains témoins vont bien mieux, d’autres doivent encore, malheureusement, régulièrement affronter leur volonté d’autodestruction. En cela, une justesse de l’expression de soi — et qu’incarne si bien le travail de John Porcellino — leur est fondamentale. La réussite de The Next Day n’est donc pas d’être une panacée, mais, bien mieux, d’être un dialogue fécond à plusieurs voix et autrement/possiblement salvateur.[3]

Notes

  1. Ici «fil gris», puisque ces scènes ne sont pas imprimées en noir mais en gris, suggérant un relief sous jacent, à la fois profondeur causale et assise.
  2. Intitulées : «The Day of», «The Day Before» et «The Next Day».
  3. Notons que The Next Day est aussi un documentaire interactif visible ici, œuvre en soi qui n’adapte ni ne prolonge le livre, même si les trois auteurs de celui-ci ont participé à l’élaboration de ce travail multimédia.
Site officiel de Jason Gilmore
Chroniqué par en octobre 2011