Corny’s Fetish

de

Corny tient une boutique qui s’appelle « L’univers du chocolat », mais reste fondamentalement seul. Il est veuf et n’arrive plus à voir son fils depuis que celui-ci travaille. Son seul ami est son drôle de petit chien avec des taches comme un test de Rorschach sur la tête.

Par sa fenêtre — qui vaut sa télé — Corny s’aperçoit qu’il n’est pas le seul tout seul. Sa voisine regarde elle aussi par la fenêtre, mais elle ne voit pas Corny, car sa fenêtre est opacifiée par la mélancolie et l’échec de sa vie de couple. Corny le solitaire voit ainsi, tous les soirs, deux solitudes s’affronter. Pour Corny, le déclic sera la mort accidentelle du mari de cette voisine.

La voie est libre. Et sous la symbolique ambivalente d’un corbeau, l’intensité de l’amour de Corny va se libérer et se concrétiser.
Mais par trop de solitude, il ne se traduira que par l’intensité de sa pensée magique. Pour Corny le bon sauvage, tout devient symbole, du quotidien aux rêves. Alors, au lieu d’effeuiller une marguerite, il va se construire divers fétiches et un totem qui peu a peu vont l’enfermer encore plus. L’irruption de la réalité le surprendra fatalement.

Le style de Renée French m’évoque celui de Brian Biggs dans sa proxémie, mais avec une retenue féminine, autrement sensible, moins intéressée par le point de vue et le cadrage.
Renée French sait éviter tout pathos. L’hommage que signe Peter Bagge en quatrième de couverture est de ce point de vue révélateur. French sait cultiver avec tact et profondeur, la pudeur et la discrétion d’un Corny devenu amoureux.
Si 95 % de cette histoire est muette, ce n’est pas de manière formelle, pas plus que gratuite. C’est uniquement pour exprimer le personnage, le construire dans sa psychologie et son handicap. Ici, la bande dessinée muette est elle-même ellipse. Elle est matière plutôt que moyen et/ou performance. C’est ce qui fait en partie toute la valeur de ce comics.
La clef de cette histoire viendra du dialogue final entre la voisine et le fils. Le drame de Corny et les regards de son chien n’en seront alors que plus poignants.

Site officiel de Renée French
Chroniqué par en juin 1998