H Day

de

Tout ça est à l’intérieur de la tête, dans l’hémisphère où loge le cerveau, dans son substrat organique et les réticulations neurologiques qui y naissent et s’y déploient.
Douleur physique au somment par un monde intérieur, elle ne doit rien aux noires pensées bilieuses, mais peut les susciter au point d’en faire l’étrange contre-poison créatif inscrit dans le moment d’une crise et de sa résolution toujours passagère.

Pour les personnes atteintes de céphalées, en tenir le journal peut être un moyen de les combattre, d’en cerner leurs conditions d’apparition pour mieux les prévenir à défaut de réellement les guérir.[1]
H Day tiendrait de cette démarche à la fois thérapeutique et analytique. Un carnet des jours, de celui des jours M comme migraine[2] mais dans le langage naturel de Renée French, celui du dessin, de la bande dessinée et de ce gris plombé, de ces images au noir et blanc fragile, d’un pigment à fleur de papier se jouant de la lumière par sa densité.
Attraction, gravité de l’élément saturnien sur un support blanc, où reposer (à défaut de le pouvoir) la question de cette douleur par le gris, cet intermédiaire entre le lumineux et le sombre pour retrouver le premier salvateur en montrant le second entravant, paralysant. Eviter cela par ce terne. Un neutre pour voir le neutralisant, retrouver l’aplomb par le graphite et les images qui en surgira, qui se dévoileront dans l’à-côté d’une conscience aveuglée par la surexposition d’une douleur sans raison autre que son diffus physique semblant irrationnel et mouvant. L’estompe, le trait, la séquence ne pouvaient donc qu’être une thérapie naturelle à l’auteure.

En six étapes comme six stades de la maladie, le livre commence par les premiers symptômes et se termine avec la disparition de la céphalée, en un éloignement ne promettant qu’un répit que l’on ne peut qu’espérer le plus long possible, comme des vacances ou un voyage mettant en parenthèse d’un monde belliqueux.
La structure de l’ouvrage à quelque chose des Yeux du chat de Moebius et Jodorowsky. Deux points de vue se faisant face à face, mis en parallèle sur deux pages reproduisant une case, reflétant respectivement à gauche et à droite, une vision extérieure et intérieure. Dans H Day, ces vues ne se rejoignent qu’indirectement (symboliquement) dans la fin de la crise céphalique, quand les terres migraineuses et l’opacité du vent mauvais qui les balaie ont été quittées en même temps que le lit où l’on attendait que cela passe.

Les pages de gauche sont d’un dessin au trait, celles de droite sont dans la quasi estompe ; comme pour montrer la clarté de la lumière sur le corps douloureux et «métamorphe» pour les unes, et dévoiler l’intériorité, le pariétal s’explorant par les luminosités du symbolique et de l’imaginaire pour les autres.[3]
Si ces deux pans du livre sont strictement parallèles, ils partagent une sorte d’irréalité de la maladie, qui fait du corps un monde et qui réduit le monde à un corps douloureux. Métaphore et métamorphoses ne font qu’un et si le monde réel intervient c’est par des biais comme : le lit, le chien, les nasses ou bien ces fourmis qui, si leur multiplicité suggère le fourmillement de la douleur, et aussi le résultat bien concret d’une invasion d’hyménoptères dit d’Argentine, dont fut victime l’auteure en même temps que ces migraines.

La grande force d’H Day n’est surtout pas de se résumer à une œuvre thérapeutique. Ce n’est pas un témoignage, mais une mise en séquence et parallèle de ce qui fit/fait des jours difficiles sans pour autant les résumer. La réussite du livre est là, tenant de l’interrogation sur le corps malade cherchant la liberté et une forme de solution dans un imaginaire introspectif. Une méditation graphique, une réflexion par une mise en profondeur de deux reflets que sont le corps enveloppe tel qui se montre/ s’appréhende, et celui enveloppant tel qu’il cache et peut dévoiler, alors que justement, par cette maladie, ces dimensions se confondent et s’annihilent.[4]

Notes

  1. Une attitude encouragée par certains médecins.
  2. H comme «Headache».
  3. Dans les ultimes pages, on a la même image (un lit clinique) sur chacune, mais juxtaposées et dans leur traitement graphique respectif. Un accord final entre deux mondes qui ne se confondent pas pour autant.
  4. Dimensions que l’expression populaire «la tête et les jambes» résumerait et que la migraine annihile par les paralysies qu’elle provoque, dont la douleur ne permet ni de véritablement bouger, ni de véritablement penser, alors que ses symptômes sont invisibles, sont de la tête et non des jambes.
Site officiel de Renée French
Chroniqué par en décembre 2010