Pauline (et les loups-garous)
Pauline est de ces prénoms de fille inusables, hors d’époques, qui les ancrent dans une aura de prime jeunesse, allant du bouton à la fleur. Un peu comme Juliette, mais avec cette fragilité que contient son étymologie[1] et aussi, peut-être, cette idée d’innocence naturelle se confrontant au civilisé, au monde adulte construit sur des arcanes de règles et de langage.[2] Dans ces pages, il s’agira là aussi d’y faire face, dans ce lieu des grands où l’homme est un loup pour l’homme. Le grand méchant étant en voie d’extinction, affirmer la lycanthropie de certains devient plus réaliste, voire naturel, pour ne pas dire proverbial sur ces terres excluant désormais l’animal. Anthropomorphe et si présent dans les contes, aujourd’hui le rapport se serait inversé, l’animalité aurait gagné l’humanité (animorphe).
«Les loups-garous » sont entre parenthèses. Pauline n’y est pas encore, n’y appartient pas, que ce soit de ce monde des loups et/ou de cette sauvagerie hiérarchisée d’une meute où le « mâlique » l’emporte. L’élément féminin du titre rejoindra-t-il ceux masculins entre parenthèses semblant comme encore en cage ? Ou alors les maîtrise-t-elle, comme une chanteuse en vedette fragile/forte de sa mélancolie devant son groupe de musicien à l’énergie rock’n roll ?
Non, la couverture nous dit bien l’inverse, Pauline est fragile et au second plan, l’autre question est donc d’actualité.
Mais que lui arrive-t-il ? Il était une fois… Non, il est forcément une fois, c’est là le drame nous le savons, faisons plus direct comme les auteurs. Elle va vers la grande mer, vers la plage, avec pour chaperon sur cette autoroute en hiver, les facultés de chauffeur d’Angus, aussi jeune qu’elle, rouge du sang du père de Pauline dont il a su la délivrer. Petit prince charmant, mais plutôt Poucet et sa sœur fuyant comme elle l’ogre, que ce soit ce père incestueux ou ce temps qui les vrille de peur en les forçant à vieillir, à quitter l’enfance et ses contes si rassurante vue d’ici. En route, se croyant en fuite comme dans un film, ils voient/croisent le mâle alpha de la meute littérale, qui sait, plus consciemment qu’eux, qu’ils se retrouveront face à face, dans cette forêt bordant la grande mer, où du noir surgira peut-être la lumière.
S’il s’agit d’un ou de contes connus, ils sont bien ici au filtre du XXIe siècle, c’est-à-dire décryptés par les psychanalystes,[3] acculturés aux autres formes actuelles de fictions ayant elles-mêmes le statut de contes par leur oralité,[4] la fixité de leurs formes et leur aspect communautaire.[5]
C’est là le grand intérêt de ce livre. Les Dogons affirmaient que les contes sont «les paroles de la nuit», Appollo et Oiry prennent cette affirmation au mot, la montrent en images, l’éclairant de néons de bars ou de stations services, de phares de motos et de la lumière réverbérée par cet écran de cinéma donnant le «la» de l’imaginaire collectif actuel.[6] Pauline (et les loups-garous) est un nouveau conte d’hiver[7] où les personnages dans la nuit ne savent plus si le printemps se fait attendre ou s’il est déjà passé, mais qui, comme les contes, sont imprégnés du temps et des lieux pour mieux montrer les persistances de la vie humaine et des aspects initiatiques qu’elle implique.
Notes
- Pauline vient de Paule, féminin de Paul qui lui-même vient du latin Paulus i.e. «petit, faible».
- Je pense au Pauline à la plage de Rohmer, mais aussi à Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, même si dans ce dernier cas Paul est bien évidement masculin. Je note aussi (ce qui explique peut-être cela) que l’essentiel de ce roman se passe sur l’île Maurice, « pas loin » de l’île du scénariste.
- Depuis le The uses of enchantement de Bruno Bettelheim par exemple. La peur de Pauline pour la sexualité, la transformation « monstrueuse » qu’elle induirait, etc.
- Le polar et le fantastique distillé par le cinéma, mais aussi la musique populaire qu’incarne ici l’omniprésence de chansons d’AC/DC.
- Un public, une musique, on s’habille comme la musique que l’on aime (Punk, Rap, Gothique, etc.), elle innerve une façon de vivre. Le tribus des Hell’s Angels incarne aussi ici cet aspect. Le fait que cela se passe en France, qu’il s’agisse d’un imaginaire (américain) transposé renforce encore tout cela. Un polar fantastique à la française et en France, comme il y a la variation d’un conte suivant une région, un pays, etc.
- Notons que la lumière d’un écran de salle obscure et réverbérée comme celle de la lune sous laquelle, si elle est pleine, certains hommes se transforment en loups.
- Pauline à la plage de Rohmer n’est pas un des «contes» du cinéaste, mais une des comédies inspirées de proverbes.
→ Aussi chroniqué par Xavier Guilbert en juin 2008 lire sa chronique
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