L’universel depuis quelque part, entretien avec Appollo
- (1) Une jeunesse d’aller-retours
- - (2) Le second début de carrière
- - (3) Collaborations et mécanique du scénario
Maël Rannou : Si ton travail est marqué par La Réunion, il y a aussi plein d’autres éléments géographiques et mystérieux. Donc commençons par le début, tu es né à Carthage, ce qui est plein de mystère.
Appollo : Je suis né à Carthage en Tunisie parce que mes parents étaient profs coopérants et qu’ils étaient partis travailler là-bas juste après la Guerre d’Algérie, vers 1964. Je suis né en 1969 et n’y ai vécu que deux ans. Si je suis né à Carthage, c’est d’abord parce que ma mère était prof de français et aimait beaucoup Flaubert. En 1969 c’était le centième anniversaire de la parution de L’Éducation sentimentale, mon deuxième prénom est donc Frédéric, en hommage à Frédéric Moreau le personnage principal du roman. Et à cause de Salammbô, elle tenait à accoucher à Carthage[1], et non à Tunis où nous habitions.
De deux à quatre ans mes parents habitaient à Dakar, au Sénégal, c’est de cette époque que j’ai mes toutes petites premières bribes de souvenirs, puis jusqu’à neuf ou dix ans nous avons vécu à Casablanca, au Maroc. C’est là que j’ai vraiment mes premiers souvenirs. Enfin, à la fin du CM1, je suis arrivé à La Réunion, où j’ai fait tout le reste de ma scolarité, puis de ma vie.
Maël Rannou : C’est intéressant d’avoir ce parcours biographique car ton œuvre est vraiment marquée par une certaine géographie Océan indien/Afrique.
Appollo : Oui, mais bizarrement, peut-être parce que mon enfance a été très découpée par les déménagements successifs, je dois vraiment faire des efforts pour retrouver mes souvenirs d’avant La Réunion. Peut-être aussi que je suis arrivé à La Réunion à l’âge où on commence à avoir une certaine autonomie, où on sort du cocon familial, ce qui fait que mes souvenirs d’enfance sont essentiellement marqués par l’île et que la petite enfance au Maroc ne surgit que rarement dans ma mémoire.
Maël Rannou : Et donc quand tu étais enfant, tu écrivais, tu lisais de la bande dessinée ou pas du tout ?
Delphine Ya-Chee-Chan : Et à quels livres avais-tu accès ?
Appollo : Au Maroc, quand j’étais petit, je lisais Spirou, je pouvais aller l’acheter chaque semaine. Les albums franco-belges classiques étaient aussi disponibles. À La Réunion j’ai continué à acheter le journal de Spirou chaque semaine en bas de chez moi, dans une boutik shinoi.
Je me rappelle très bien du premier numéro de Spirou que j’ai lu, on voyait sur la couverture Sophie, un personnage de Jidéhem, qui était dans sa voiture, poursuivie par un Tyranosaurus Rex[2]. Je suis un lecteur du Spirou de la fin des années 70, début 80, celui du Trombone illustré et de l’arrivée en fanfare de Yann & Conrad, qui nous ont tous beaucoup marqués. C’était aussi un Spirou plein de rééditions de bande dessinées publiées bien avant, les Félix de Tillieux mais surtout Jijé : Blanc-casque, Blondin et Cirage… Peut-être que le journal arrivait à La Réunion par bateau, c’est-à-dire avec plusieurs mois de retard sur l’Europe, mais ça ne m’a pas marqué.
Ce qui s’est passé ensuite, c’est qu’en sixième ou cinquième, alors que je continuais à acheter Spirou dans cette supérette chinoise, j’ai vu apparaître Métal Hurlant rangé à côté. J’achetais toujours mon Spirou, mais je n’arrêtais pas de loucher sur ce magazine, dont les couvertures m’ébouriffaient, je me disais « Mais qu’est-ce que c’est que ça ? ». J’ai commencé par lire Le Jeune Albert, de Chaland, qui était en dernière page, puis Margerin, qui ressemblait un peu à ce que je connaissais. Petit à petit, j’ai délaissé Spirou pour Métal hurlant, et pour moi ça a été la vraie révélation de la bande dessinée.
Maël Rannou : Tu es collège, c’est là que tu rencontres déjà tes futurs camarades du Cri du Margouillat ? Car on retrouve vraiment certaines choses dedans, notamment les hommages aux hauts de pages de Yann & Conrad, l’influence énorme de Moebius, on y retrouve même des bandes dessinées de Margerin.
Appollo : Totalement, mais ce n’est pas encore au collège qu’on se rencontre vraiment. Serge [Huo-Chao-Si] et Tehem fréquentaient le même établissement, mais une classe au-dessus de moi. On ne se fréquentait pas, je me souviens qu’ils faisaient de la bande dessinée avec leur prof de français et qu’avec des copains on se foutait de leur gueule en disant « ha ha ce sont des débiles, ils font de la bande dessinée au lieu de faire du français ». La rencontre avec eux, et avec la bande dessinée comme possibilité d’en faire, c’est à la rentrée de seconde.
J’étais fan de rock et de bande dessinée, ce qui est assez classique en France à l’époque, je crois. Des gens fans de rock au lycée, à La Réunion, il n’y en avait pas tellement, tout de même un petit groupe, c’était les mecs du lycée pro qui glandaient devant le lycée, mais des fans de bande dessinée vraiment très peu dans mon entourage. J’avais un T-shirt d’un groupe de hard-rock français horrible qui s’appelle Sortilège, mais le dessin était de Druillet, donc je l’avais pris. Et là un mec vient me voir et me dit « Putain mais c’est un dessin de Druillet ? ». C’était la première fois qu’on venait me parler de mon T-shirt non pas pour le groupe, mais pour le dessin, c’était Mad (Renaud Mader) et c’est devenu mon meilleur copain, on a eu une amitié fusionnelle, comme on peut en avoir à l’adolescence. C’était non seulement un fan et un érudit de la bande dessinée, mais il dessinait aussi extrêmement bien, et comme je ne savais rien faire il m’a dit « tu n’as qu’à m’écrire mes histoires ».
Delphine Ya-Chee-Chan : À cette époque il n’est pas encore question de publication, pas de presse lycéenne tout ça ?
Appollo : Non, mais Boby Antoir, qui était prof au lycée technique, et aussi un ami de ma mère, a eu l’idée de faire une revue de bande dessinée. Il y avait eu une expo Rock & BD dans un centre culturel, où s’étaient retrouvés la grosse dizaine de fans de bande dessinée de Saint-Denis, principalement des lycéens et des étudiants, et il nous a proposé de lancer une revue. Il y avait Mad, Serge (Huo-Chao-Si), qui était au lycée technique et avec qui j’étais devenu très copain, Li-An, qui était déjà à la fac, comme André Pangrani… Téhem était copain avec Serge depuis le collège, mais il venait de quitter La Réunion donc il a raté le lancement. On avait souvent été dans les mêmes établissements mais ce n’est pas vraiment une bande de copains qui lance un magazine de bande dessinée, plutôt le magazine de bande dessinée qui a fait qu’on est devenu une bande de copains.
Maël Rannou : Dans le premier numéro, qui sort en juillet 1986, tu n’as qu’une chronique de rock signée, pas de bande dessinée.
Appollo : Oui, je ne sais plus vraiment si j’ai fait d’autres choses dans ce numéro, je participais comme je pouvais, je n’étais pas dessinateur, j’écrivais, je donnais des idées. On avait fait des histoires très inspirées par Tardi et Moebius avec Mad mais elles n’ont pas été publiées. Ma première bande dessinée publiée est avec Serge, dans le n°2[3], c’était adapté librement, avec des changements cosmétiques pour que ça se passe à La Réunion, d’une nouvelle de Frederic Brown, un auteur de science-fiction, lu dans Le Trombone illustré, le supplément de Spirou. Ce qui est amusant c’est que j’étais très copain avec Mad, mais c’est plutôt avec Serge que je faisais des histoires.
Delphine Ya-Chee-Chan : Mais l’écriture, c’était facile quand tu as commencé ?
Appollo : Non pas vraiment mais ça n’était pas difficile non plus. J’ai été un élève littéraire, j’ai d’ailleurs fait des études de Lettres, ça m’est assez naturel d’écrire, mais ce n’était pas une pratique que j’avais avant de me lancer dans la bande dessinée. Je crois que beaucoup de gens racontent avoir écrit dans leur enfance, moi pas du tout. Même maintenant d’ailleurs, je n’écris jamais pour quelque chose qui ne va pas être publié, je n’écris pas pour moi en fait. La publication peut être à petite échelle, un blog, un fanzine ou un bouquin vendu à 20 000 exemplaires je ne fais pas forcément une différence, mais ça doit pouvoir être lu par quelqu’un.
Delphine Ya-Chee-Chan : Et tes sources d’inspiration ça a toujours été de la bande dessinée ?
Appollo : Il pouvait y avoir un peu de littérature, parce que j’en lisais beaucoup, je me souviens par exemple qu’avec Mad on avait fait une histoire courte inspirée de Boris Vian, mais l’inspiration première restait quand même la bande dessinée.
Dans le Cri il y avait vraiment deux clans : les fans de Chaland, Mad et moi, et les fans de Serge Clerc, Goho et André Pangrani. On se vannait et on défendait nos champions, c’était plus de la blague qu’autre chose, un peu comme les fans des Rolling Stones contre ceux des Beatles. Goho faisait beaucoup de bande dessinée dans les premiers numéros du Cri, il a ensuite fait carrière dans l’animation, surtout chez Disney sous son vrai nom (Gontran Hoarau). Au début du Margouillat, c’était vraiment lui la star, on pensait qu’il allait rapidement percer, et finalement il n’a pas fait de bande dessinée — même si je crois qu’il prépare un album chez Delcourt ces derniers temps. En tout cas, on lisait énormément de bande dessinée et on en discutait beaucoup avec énormément d’enthousiasme, et il y a un goût commun qui s’est construit pour une certaine bande dessinée d’auteur. D’ailleurs, on s’enthousiasmait sur tout, la musique, le cinéma, la littérature, la culture d’une manière générale.
Maël Rannou : Avec le recul, on peut dire que dans ce duel, le camp Chaland a gagné…
Appollo : Largement oui, Chaland est devenu une sorte de légende. Aujourd’hui j’ai plus de recul sur Chaland, mais à l’époque c’était un auteur qui m’emballait vraiment. Il y a toujours des choses qui me plaisent beaucoup mais ça reste marqué par un certain air du temps et un cynisme qui ne me font plus le même effet. La Comète de Carthage reste un album qui a été central dans ma construction de lecteur de bande dessinée.
Maël Rannou : Dans le même esprit d’influence, celle de Yann & Conrad est quand même très visible dans les premières bandes dessinées.
Appollo : On était très fans mais il faut dire que cette deuxième moitié des années 80, au-delà de Moebius, les vraies stars c’étaient Chaland, qui marquait beaucoup les esprits, et Yann qui était une sorte de scénariste vedette, il a d’ailleurs scénarisé La Comète de Carthage et F-52 pour Chaland, La Patrouille des Libellules pour Hardy, bien sûr Les Innommables avec Conrad, et je ne sais pas comment le dire, je ne considérerais peut-être pas aujourd’hui que c’était un auteur majeur mais il a tenté plein de trucs et c’était une espèce de figure pour nous. On aimait beaucoup Conrad aussi, qui avait tout pour être un très grand auteur de bande dessinée et finalement n’a pas eu la carrière qu’on espérait. Enfin c’est le meilleur vendeur de bande dessinée de France avec Astérix ! Mais quand il s’est séparé de Yann et qu’il faisait L’Avatar, Donito, on espérait beaucoup de lui et finalement je ne sais pas, il est parti aux États-Unis et voilà.
Dans les récits qui m’ont marqué, il y en a un arrivé de manière étonnante. Il y avait une librairie de bande dessinée tenue par le seul représentant du FN à La Réunion à l’époque, une espèce de gros facho insupportable. C’était l’époque des radios libres et il y avait une émission où on pouvait gagner des bandes dessinées, il refourguait celles qu’il n’arrivait pas à vendre. J’avais appelé et répondu à une question, et j’ai gagné Mystérieuses : matin, midi et soir de Jean-Claude Forest, dont il ne devait vraiment pas savoir quoi faire. Je me souviens avoir râlé quand je l’ai reçu, m’être demandé ce que c’était que ça, puis je l’ai lu et j’ai trouvé ça vraiment génial, Forest osait écrire de manière très littéraire dans une bande dessinée, avec son dessin magnifique. Ça a été un choc de lecture pour moi !
Maël Rannou : Le Margouillat marque ton lycée, puis tu deviens étudiant, que fais-tu ?
Appollo : Le premier Margouillat est sorti au début de ma première — on avait formé l’association en fin de seconde — et une fois que j’ai eu mon bac, je suis parti à Paris. Encore aujourd’hui, c’est un peu compliqué pour les étudiants réunionnais d’arriver dans l’Hexagone comme ça mais à l’époque c’était encore pire : je ne connaissais pas du tout la France en fait, je suis arrivé à Paris je n’avais pas de famille, pas d’amis. J’avais 18 ans, il n’y avait pas Internet et appeler à La Réunion coûtait une blinde, rétrospectivement je me rends compte que la première année a été particulièrement solitaire.
Heureusement Mad était aussi venu, il avait raté son bac et il était à Melun à refaire sa terminale, je ne connaissais que lui, et on se voyait deux fois par mois quand il prenait le train pour Paris. Après il est entré aux Gobelins. Il n’avait qu’une idée en tête depuis la seconde : faire de la bande dessinée. Je me souviens d’une discussion au lycée avec lui et il m’avait demandé ce que je voulais faire, je lui avais répondu un peu n’importe quoi — archéologue, vétérinaire, infirmière — et lui m’avait dit « moi je veux être auteur de bande dessinée », ce qui m’avait paru aussi extraordinaire et fantaisiste que s’il avait dit cosmonaute. Donc quand on s’est retrouvés à Paris, il m’a dit « Allez, on y va » et on a démarché les éditeurs, notre première histoire a été publiée dans Circus[4].
C’était la grande époque du grunge, on avait les cheveux longs — j’avais encore des cheveux à l’époque — des blousons en cuir et on glandait comme ça dans les bureaux des éditeurs, à faire le pied de grue. Les gens dans les maisons d’édition nous disaient « mais laissez-nous vos travaux et un message » et on disait « non, non, on va attendre que le directeur littéraire arrive ». On restait là, deux Ramones dans le hall, et au bout d’un moment ils n’en pouvaient plus et quelqu’un nous recevait. On montrait nos bandes dessinées, sans énorme succès.
Si on est arrivé chez Circus, c’est entre autres grâce à une rencontre déterminante, avant notre départ, avec Michel Faure, qui habitait à La Réunion et était le seul auteur de bande dessinée professionnel à habiter ici. Il devait avoir la quarantaine et il avait reçu un prix à Angoulême, faisait des bandes dessinées chez Glénat, il habitait à Saint-Gilles et recevait vraiment de manière ouverte les jeunes dessinateurs à qui il offrait des petits boulots, comme encrer des dessins de commande ou des trucs comme ça. On allait en stop chez lui, on avait 17 ans, il nous montrait ses planches, et défilaient chez lui des gens incroyables, des nanas super chouettes, des musiciens, des chercheurs de trésor. Mad faisait des petits trucs, comme une sorte d’assistant, et moi, comme je ne dessinais toujours pas, j’écoutais sa vie incroyable, Michel a été chercheur de trésors pirates à Maurice, chasseur de crocodiles à Madagascar, éleveur de chevaux à La Réunion… On l’appelait « Onc’ Mickey », et il a été vraiment notre parrain de bande dessinée ! Il s’avère qu’il a déménagé dans le Vaucluse à peu près quand nous sommes allés vivre à Paris, et un jour nous l’avons accompagné chez Glénat. Il a dû y vendre notre talent et Jean-Claude Camano, qui débutait sa carrière d’éditeur, nous a commandé une bande dessinée pour un hors-série de Circus sur la Révolution française (on était en 1989). Li-An y a aussi fait une histoire.
Quand le numéro est sorti, je me souviens qu’avec Mad on avait acheté un cigare, qu’on a fumé dans la rue en nous pavanant, on était les rois du monde, tout ça pour quatre pages dans Circus, qui était quand même une revue qu’on détestait par ailleurs. Mais bon, on ne faisait pas les bégueules ! C’est à cette période aussi qu’on a rencontré tous les membres du Studio Asylum, et notamment Cromwell, qui était un bon copain de Mad. C’étaient un peu les punks de la bande dessinée, rencontrés par affinités musicales.
Par Michel Faure, on a aussi rencontré Philippe Bercovici, qui, heureux hasard, était mon quasi-voisin à Paris et qui est quelqu’un que j’aime beaucoup. Petit à petit, on a donc intégré le milieu de la bande dessinée pro de l’époque.
Maël Rannou : Et le premier album alors ? Plus tard Vents d’Ouest est racheté par Glénat mais là les deux éditeurs ne sont pas liés a priori. Comment vous retrouvez-vous à y publier les aventures de Louis Ferdinand Quincampoix ?
Appollo : Vents d’Ouest était un petit éditeur installé à Issy-les-Moulineaux, pas du tout lié à Glénat à l’époque en effet. À l’origine, notre projet de bande dessinée devait être publié chez Dupuis, le mec de Paris nous avait dit oui, mais celui de Bruxelles a finalement dit non. Alors on s’est retrouvés bêtes avec notre projet sous le bras, donc on est allé voir Delcourt, qui venait d’ouvrir et qui était rue Quincampoix. J’avais trouvé que ce nom fonctionnait vachement bien pour un héros, mais ça n’a pas suffi à convaincre Delcourt ! Je me souviens qu’assez étrangement il nous a suggéré d’adapter Bilbo le hobbit en bande dessinée, alors qu’il n’en avait certainement pas les droits.
Et on est donc allé chez Vents d’Ouest, le directeur m’a convoqué dans son bureau, il venait de l’édition scolaire et m’a dit « il faudrait rajouter des gags de-ci, de-là pour votre bande dessinée » et j’ai dit « oui, monsieur » et je n’en ai rien fait. Tu parles, on avait vingt ans à peine pour le premier tome, on aurait dit oui à tout. L’album est sorti en 1991 et peu de temps après Mad a déménagé en Irlande, moi je suis retourné à La Réunion, et on a fait les deux autres tomes à distance. On travaillait par fax, de manière un peu foireuse d’ailleurs, je me souviens que je lui envoyais des textes sur des feuilles de classeurs écrites à la main, il me renvoyait les pages dessinées, en mauvaise qualité.
C’était très différent du premier tome, qu’on avait fait dans les bars, on se mettait face à face et on se racontait l’histoire, et lui dessinait, très vite, de manière très spontanée, on sortait le story-board terminé. Il avait fait une école d’animation mais ce n’est pas vraiment une discipline qui lui convenait.
Maël Rannou : Et puis pourquoi une série dans le bayou de Louisiane ? C’est intéressant de voir que vous creusez cette francophonie vu ton œuvre ultérieure…
Appollo : À l’époque nous avions découvert le renouveau cajun, avec Zachary Richard, ça nous emballait. J’avais acheté un accordéon diatonique et Renaud un banjo et on avait lancé un groupe qui s’appelait « L’orchestre Rochambeau ». Le problème c’est qu’on ne savait jouer ni l’un ni l’autre, donc c’était plus une idée de groupe qu’autre chose. On allait à la Bpi lire tout ce qu’on pouvait trouver sur les Cajuns, il n’y avait pas tant de choses d’ailleurs, mais ça nous fascinait, sans doute parce que c’était à la jonction du monde créole dont nous étions issus et du rêve américain venu du cinéma.
Maël Rannou : La série a même eu une adaptation animée, alors qu’elle n’a pas été un énorme succès, comme ça s’est passé ?
Appollo : Oui, ça a été un succès modeste pour l’époque, autour de sept-huit mille exemplaires vendus. L’éditeur a donc décidé d’arrêter au bout de trois albums, aujourd’hui ce serait un succès pour une première série ! Mais l’adaptation animée c’est surtout parce que deux copains des Gobelins de Mad, les frères Frank, voulaient se lancer dans la production et leur idée de génie a été de le faire avec Quincampoix. Évidemment ça n’a pas du tout marché.
C’est aussi à la même époque que j’ai rencontré Bertrand Mandico et Manu Brughera, qui étaient aussi aux Gobelins, et qui sont devenus de grands copains, les seuls que je me suis fait à Paris en fait. Ils ont publié dans le Cri du Margouillat après. Comme je n’allais pas trop à la fac, je ne connaissais pas grand monde à Paris, les gens que je fréquentais venaient soit du monde de la bande dessinée, soit des Gobelins.
Maël Rannou : Tu rentres donc à La Réunion et devient professeur ?
Appollo : Je suis rentré pour la maîtrise et passer le Capes, je suis devenu prof à La Réunion. L’année où j’ai passé le concours est celle où Mad s’est donné la mort, il venait de revenir à Paris, et je me suis retrouvé sans mon meilleur ami mais aussi sans perspectives de faire de bande dessinée. On avait fait ces trois albums, et aussi dirigé un collectif d’histoires de pirates, on avait plein de projets et tout s’écroulait. En bande dessinée il ne me restait plus que le Cri du Margouillat. Et là pendant dix ans j’ai publié des histoires avec Serge, sans perspective particulière de publication nationale, en parallèle du boulot de prof. Serge était devenu prof aussi d’ailleurs.
Delphine Ya-Chee-Chan : Et rien d’autre à Paris ?
Appollo : Non, je me suis vraiment recentré sur la bande dessinée à La Réunion, après tout on était en train de tout inventer à ce moment-là. Mais on gardait le lien avec la bande dessinée nationale, parce qu’on allait à Angoulême aussi souvent que nos finances le permettaient. Quand j’étais étudiant, j’empruntais la bagnole de ma frangine et on descendait de Paris, on tenait un stand pourri et on dormait plus ou moins dans la voiture. Ensuite, avec Le Margouillat, on louait une camionnette, on dormait dans un Formule 1, on se les pelait, et on s’amusait beaucoup. C’était très drôle et bordélique. On est aussi allé plusieurs fois à Saint-Malo dans les mêmes conditions. C’est comme ça qu’on a gardé un fort lien avec les auteurs hexagonaux, qu’on rencontrait des gens.
Maël Rannou : Au niveau de la fac du travailles sur la bande dessinée ou pas du tout ?
Appollo : Ma maîtrise de Lettres portait sur les récits de pirates dans le roman du XVIIIe, sans lien avec la bande dessinée donc, mais à l’IUFM, on devait aussi faire un mémoire et j’ai choisi de travailler sur l’enseignement de la bande dessinée au collège. Un mémoire très mauvais, à mon avis, même si j’ai validé mon année avec une note correcte. Il fallait que ça reprenne une pratique de classe donc j’avais dû tenter durant un mois de faire un atelier de bande dessinée avec des gamins de cinquième. Le seul truc bien de ce mémoire nul était que la couverture était dessinée par Li-An !
Notes
- Lieu d’action de Salammbô, de Flaubert, et non de L’Éducation sentimentale. Chose amusante, Salammbô a été adapté par Druillet, auteur qui sera important pour la suite de la vie d’Appollo.
- Il s’agit du n°1906, du 24 octobre 1974, Appollo était donc encore très jeune, et à peine arrivé au Maroc.
- Il s’agit de Goetz, le pauvre hère, un récit en quatre planches.
- « Le syndrome de Pan » est paru dans le Circus n°128bis de juin 1989.
- (1) Une jeunesse d’aller-retours
- - (2) Le second début de carrière
- - (3) Collaborations et mécanique du scénario
l’autre bande dessinée
Commando Colonial t.2 Le Loup Gris de la Désolation
Pauline (et les loups-garous)
Pauline (et les loups-garous)
Appollo

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