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Rocco et la toison

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On le sait, Vanoli aime les chemins, les trajets. Il en lit les bordures, les alentours, en décrypte les histoires, en fait des histoires et les raconte en mots et images. Ces parcours sont aussi des filiations, origines et conséquences, tant raconter se fait au rythme du temps pouvant se confondre avec celui de la marche, ou du moindre des déplacements prenant au jeu l’immobilité impossible. Le corps de l’auteur devient réalisation, il va à la rencontre, il perçoit, il conçoit et exprime plus ou moins bien, le tout entre un début et une fin.

Une histoire, c’est donc tout une vie et inversement. Rocco et ses frères humains qui avant nous vécurent, sont le sujet du livre. Le jeune homme est conteur, débute dans la profession. Les voyages formant la jeunesse, il part sur les routes, dans des paysages évoquant l’Italie de Giotto. Si comme dans le Décaméron de Boccace, il y a la peste et des histoires, Rocco lui est solitaire et ne fuit pas les villes empestées, mais va bien au contraire volontiers à leurs portes.

Conteur débutant, il s’en fait plutôt conter au fil des rencontres. Les échanges et leurs histoires vont aux sources de leur nature, aux sources des préoccupations qui les forgent : consolation, fantasme, postérité, mensonge et l’envie de guérir, de contrebalancer l’équilibre perdu ou instable de nos histoires personnelles par celles d’autres, d’ailleurs, de pires ou de bien meilleurs.

Insouciant, Rocco le sera jusqu’à la rencontre d’une légende incarnée (La femme portant la toison talisman) et la prise en compte indirecte de la force des histoires sur les foules qu’elle provoque. Et puis viendra la faiblesse solitaire du doute, de ne plus y croire et de vouloir y croire à nouveau. Il suffit de quelques symptômes pour que tout s’écroule, qu’une histoire meure sans oreilles attentives. D’ailleurs, la peste ressemble ici aux âmes des morts dont personne ne sait ou n’aurait su écouter les vies passées, et qui se vengent quelque peu en avalant ces vivants (inattentifs voyageurs) de leurs corps éthérés formés d’exhalaisons noirâtres et méphitiques comme du sens perdu.

Album d’images sans relief, du moins dans celles d’un moyen-âge tardif avant que la renaissance ne fixe la perspective, Rocco et la toison cultive le recul ou les dimensions, par les anachronismes[1] et les portraits en médaillon récurrent de l’auteur, disposés suivant les circonstances en haut ou en bas de page. Images d’images de postures, leur présence accentue l’emboîtage gigogne des histoires, mais aussi leur résonance au-delà du livre, leur inscription dans le temps d’une vie ou d’une époque. L’auteur écrit le mot « fin » quand un personnage conjugue guérir au futur, comme assurant par là que les meilleures fins ne peuvent venir véritablement qu’après le montré et le lu, dans les corps de ceux qui font échange d’histoires.

Notes

  1. Par exemple, les textos par oiseaux qui font cui-cui.
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Chroniqué par en mai 2016