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L’œil de la nuit

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Ce n’est pas que la nuit n’a qu’un œil, mais bien plutôt qu’il en faut un pour y voir ce qu’elle cache loin des lumières et de la vérité. Paradoxalement, cet œil semblant sacrifié à la nyctalopie, donnera ce relief qui manquait aux regards de ceux revenus faussement borgne et devenant dès-lors possible rois au pays des aveuglés diurnes.

Un père, un fils, habillés de noir et portant de quasi «pilgrims’ hats»,[1] discutent de cette île au-delà des eaux sombres, décrite par des mots gonflés d’affections craintives et d’oublis aux troubles éloquences. Semblant d’une spiritualité qui s’éprouve, ces deux «il» à deux âges sont comme les colons aux frontières d’un nouveau monde qu’ils doivent comprendre pour y vivre. Mais, comme ce continent américain, ce monde n’aura de nouveau que ce l’on osera y découvrir pour y apprendre et y vivre différemment. Être au monde, n’être qu’au monde, serait alors moins de naître que de renaître après avoir vu la nuit intime de la conscience consciencieusement, et pouvoir dire je sais la voir, elle m’appartient et non l’inverse.

Le père ira y voir, le fils l’accompagnera de manière plus imprévue, mais avec la même volonté de savoir. Le voyage intérieur commencera et, dans ses péripéties et détour symboliques trouvera l’aide d’un «être géant» de bois, à la fois golem et cyclope fabriqué par un père homme de la religion du Livre mais aussi de la mythologie grecque. La silhouette de ce géant évoque celle du golem du film de Paul Wegener et Carl Boese datant de 1920. Mais son unique œil-projecteur l’assimile à un cyclope, dont le plus célèbre, Polyphème, aveuglé par Personne/Ulysse, était un pasteur gardant de vrais moutons et était réputé bavard si l’on en croit l’étymologie de son nom. Son œil est ici celui du langage, de celui des lumières qui ce projetterait et de la vérité qu’il éclairerait. La vérité, comme pour le golem, mouvrait donc ce cyclope, avec cette différence que le moteur frontal de ce dernier ce révèle moins être la vérité qu’une construction fragile à questionner dans la nuit, moins un dogme qu’une hypothèse sujette à l’expérience d’êtres.
Ce faisceau lumineux est horizontal, reste dépendant de la station debout, de la marche et, si son fanal sert de repère dans la nuit, il attirera aussi les vies nocturnes aériennes (volatiles) qui voudront lui nuire. Mais c’est à cet aperçu précaire que se devinent les problèmes, les moyens de les résoudre ou de les éviter.

D’un «il» à l’autre,[2]  ce sont un père et un fils qui visitent un «il» plutôt qu’une île. Deux masculins singuliers cherchant cette troisième personne singulière, cet inconscient à la fois partagé et identitaire. Il caractérise l’humain et identifie chacun dans bien des actes, il fallait donc un fils et un père,[3] cette parallaxe, pour voir ce relief en soi de l’intimité crépusculaire.

L’œil de la nuit semble en écho à de récents livres de Vanoli.[4]  Peut-être est-ce lié à la démarche autobiographique en bande dessinée qui cerne le «je» par un «il» dessiné ? Il faut alors naturellement aller dans une île pour cerner ce «je», s’intéresser à son Ça ici, à son Moi là-bas, en Corse ou en Angleterre.  Ou bien comme dans Le passage aux escaliers, cerner ce conte fondateur, ce «il» qui fut une fois, cette enfance du «je», par un regard et une odyssée pédestre de quelques heures faisant d’un quartier une île hors du temps (mémoire) en même temps que du «il» le portrait en silhouette cachée. La question que poserait alors ce livre, ce regard unique, serait : quelle est la part d’inconscient dans tout ça, dans tout ce jeu, cet enjeu ? Tout n’avait-il été vu que par un seul œil à ce jour ?

Notes

  1. De ceux que l’on associe à Salem et ses nuits puritaines. Le père a des allures de pasteur.
  2. Le précédent livre de Vanoli chez L’Association s’appelait D’une île à l’autre.
  3. Notons que le fils se «métamorphose» en hibou, et que son père le surnomme aussi ainsi. De par son enfance, le garçon est encore proche de l’inconscient, cette transformation symboliserait cette proximité en même temps qu’une possibilité neuve de s’en détacher et d’y voir. Ce voyage n’est pas que celui de la maturité du père qui se voit enfant dans son fils. Il a aussi une valeur éducative pour le fils, voulue par le père et voulant transmettre/partager une expérience.
  4. Dont les amateurs d’anagrammes pourraient dire, dans une quasi palindrome à une lettre près, que ce nom contient le sujet de ce livre, sur le «Il», on va.
Site officiel de Vincent Vanoli
Site officiel de L'Association
Chroniqué par en novembre 2012