Les Aventures de Huckleberry Finn
Ce livre est moins intéressant pour l’histoire qu’il adapte, que pour le fait qu’il témoigne d’une adaptation initiée il y a plus de trois décennies. Etrange que le jeune Mattotti ait accepté d’illustrer l’œuvre de Mark Twain pour un «petit éditeur indépendant» d’alors ? Non, surtout depuis ce côté-ci du fleuve héraclitéen où l’on distingue encore en amont ce jeune homme ayant quitté l’architecture et cherchant un au-delà des frontières qui pourrait être un ouest ensauvagé. Depuis ici et maintenant, il est peintre, illustrateur, etc. dont la magie des images et des gestes qui les ont fait naître s’affirme aussi comme un parcours du fleuve intranquille, une flottaison lente et rapide comme chacun sait, qui se raconte et fait récit au gré des courants, qu’ils soient de traits ou de couleurs.
L’histoire est assez simple finalement. Il(s) quitte(nt) les conventions et leurs fortunes, ces lieux où l’on apprend à construire des espaces intérieurs et à les habiller. Il(s) quitte(nt) une pensée où il s’agit de se rassurer, de faire de pseudo écrins aux usages et aux gestes quotidiens, routiniers, voire contre nature et injustes. Tout cela est en apories avec un désir d’ailleurs et de nouveau, de liberté et de détours fluviaux imprévisibles. De là nait un contraste que l’auteur fait sien, un noir et (un) blanc qui fera encre et «disegno» avant d’atteindre les couleurs d’une autonomie, d’une connivence.
«Il s’agit donc d’un livre important pour moi» dit l’auteur. On le comprend aisément. Remplacez le Mississippi par le Pô, et ce radeau par cette âme Mattottienne double en quête d’indépendance, brisant une forme d’oppression, partant avec ce qui reste d’enfance pour bagage.
Huck dit «je» et raconte un voyage. Comment Mattotti aurait-il pu utiliser la première personne du singulier pour raconter un voyage qu’il n’avait pas effectué, voire qu’à peine entamé ? Le paradoxe en serait un si personne n’aimerait que l’avenir contienne ne serait-ce qu’un morceau infime du passé. Et ce roman de Twain, n’est-il pas réputé pour n’avoir ni début ni fin véritable, d’être une boucle d’un fleuve aux méandres trompeurs ? La conscience d’être dans un cycle et de l’entamer comme un rêve incroyable, d’en faire des images reproductibles et partageables, peut-être est-ce là le point nodal commun de deux hommes de deux époques, une île où ils se rencontrent.
Mises en lumière par la couleur — à moins que ce ne soient ces jours qui la ravive[1] — ces pages témoignent d’un Mattotti comme au bord du flux cherchant son dessin (chez Toppi et Pratt en particulier), son devenir pour s’y laisser glisser, embarquer, porter. Par hasard, par un livre, par Twain, avec un scénariste (Antonio Tettamanti), il l’exprima. Une adaptation à lui-même plutôt que d’un livre, qui en bande dessinée est devenu une quasi autobiographie à rebours, décrivant une époque charnière, les tous débuts d’une exploration dont on admire tant aujourd’hui, les continuelles multiples découvertes.
Notes
- Réalisée par Céline Puthier, quelques planches en noir et blanc son visibles ici.
Super contenu ! Continuez votre bon travail!