#TourDeMarché
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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)
Après avoir évoqué la semaine dernière la situation du marché de la bande dessinée en Nord-Amérique, ce #TourDeMarché va s’attarder aujourd’hui sur la situation de la bande dessinée Nord-Américaine au sein du marché français (vous suivez ?). C’est parti.
Plus précisément, on va s’intéresser au segment des comics, hier annoncé comme le nouvel Eldorado, aujourd’hui à peine mentionné dans les analyses largement consacrées au manga. Pour commencer, il est important de rappeler que la définition de ce qui relève des « COMICS » dans les données (de référence) fournies par GfK est assez approximative, et ne recouvre pas (loin s’en faut) la totalité de la production anglo-saxonne publiée en France. En (très gros), le segment des « COMICS » correspond à ce qui est publié en « floppies » aux USA, soit la part la plus mainstream de cette production. le pan « alternatif » se retrouve généralement qualifié de « Roman Graphique » et se retrouve dans le segment « BD DE GENRES ».
Ainsi, c’est parfois plus le format que l’origine géographique qui compte : Hero Corp d’Alexandre Astier ou les productions du label 619 (Doggybags ou Mutafukaz) se retrouvent classés en COMICS, parce que, euh, pourquoi pas ? A l’inverse, Daniel Clowes ou Chris Ware sont en BD DE GENRES, sauf pour les versions originales de leurs ouvrages vendus en France, dont les ventes (minimes) sont comptabilisées en COMICS. Oui, c’est compliqué, mais c’est comme ça.
Faire une segmentation est un exercice toujours difficile, parce qu’il s’agit de réduire à quelques dimensions une réalité complexe, et ce, d’autant plus lorsqu’elle porte sur un nombre important de références, et en nécessite une connaissance pointue. donc #Peace. La segmentation de GfK a donc ses défauts, mais elle a aussi une forme de logique. Résultat, la catégorie COMICS représente un ensemble cohérent, et il est à la fois pertinent et intéressant d’en analyser l’évolution. fin de ce préambule méthodologique.
Mettons immédiatement les pieds dans le plat : la raison pour laquelle on parle peu des COMICS dans la presse ces derniers temps, c’est que son poids au regard du marché global de la bande dessinée ressemble à ça.
Sur la période 2012-2021 (soit la décennie écoulée), les COMICS représentent un peu moins de 6 % du marché de de la bande dessinée en volume, et un peu moins de 8 % en valeur. on est loin de la domination écrasante des mangas. Sauf que. Sauf que lorsque l’on considère le segment tout seul, les choses apparaissent comme plus encourageantes, avec une progression indéniable : entre 2003 et 2021, les ventes de COMICS en France ont été multipliées par 7 en volume, et par 5,5 en valeur. Respect.
Les échelles des deux courbes sont ajustées pour qu’elles se croisent pour un prix moyen de 15€, et on voit que globalement, les choses ne bougent pas trop sur 2003-2013. Ensuite, ça se complique. Une tendance à la hausse se manifeste sur 2014-2017 (+0,30€ par rapport à 2003-2013), mais qui correspond probablement à un ajustement lié à l’inflation (cf. le #TourDeMarché sur la question des prix). donc rien que de très normal.
Les dernières années ont été marquées par les opérations « petits prix » (à 2,99€ pour 2018-2020, à 5,99€ en 2021) destinées en premier lieu pour les grandes surfaces alimentaires (GSA), qui génèrent beaucoup de ventes en volume pour des revenus logiquement plus restreints. Ce n’est pas une nouveauté : en fait, sur 2010-2017, ce sont déjà 12 % des COMICS en France qui sont vendus en dessous de 6€. Mais ces opérations récentes sont remarquables par leur ampleur, surtout pour 2020-2021 où elles représentent près d’un tiers des ventes en volume.
Mais revenons à cette forte progression du segment des COMICS, dont on parle finalement bien peu. Je vais essayer de passer en revue les différents facteurs qui peuvent l’expliquer.
Dans le Panorama de la Bande Dessinée que j’ai rédigé pour le CNL, je m’interrogeais sur l’impact possible qu’aurait l’effondrement des ventes en kiosque, qui occasionnerait un simple déplacement des dépenses, et pas une véritable croissance. Cette question se heurte à l’épineux problème que les données dont nous disposons se limitent au circuit du livre. Côté kiosque, on n’a rien — pas de chiffres de vente, et même aucun recensement officiel de ce qui peut sortir.
Il existe par contre des recensements réalisés par des fans, comme par exemple ce qu’on peut trouver du côté du site MDCU. Ce n’est peut-être pas exhaustif, mais leur historique remonte au moins jusqu’à 2003, et ça, c’est intéressant. J’ai essayé de les contacter, sans réponse, donc j’y suis allé un peu par la manière forte, et j’ai récupéré l’ensemble des parutions kiosque qu’ils listent sur la période 2003-2021, que j’ai ensuite complété avec les données des sorties COMICS en librairie selon GfK… et voilà donc ce que cela donne, comme évolution de la production de COMICS en France, tant en kiosque qu’en librairie.
Deux observations s’imposent : d’une part, les sorties en kiosque continuent d’exister (voire même progressent) jusqu’en 2020. sur 2003-2020, on a en moyenne 246 sorties par an en kiosque, soit plus de 20 nouveautés par mois (hors couvertures variantes ou collectors). D’autre part, alors que le kiosque s’est « simplement » maintenu, on a assisté à une véritable explosion du côté de la librairie à partir de 2012. on passe de 160 titres annuels sur 2003-2011 à 675 sur 2017-2021, soit une production plus que quadruplée (notez que c’est un peu l’évolution que l’on a eu côté bande dessinée franco-belge durant les années 1990, avec l’arrêt en masse des magazines de prépublication, et le déplacement du marché vers l’album et la librairie).
Vous me voyez venir : 2012, c’est aussi l’année du lancement d’Urban Comics, qui a récupéré le catalogue DC que publiait jusqu’alors Panini, lequel publiait aussi (et continue toujours de publier) le catalogue Marvel. Urban investit massivement la librairie — sur 2012-2021, près de 80 % de ses sorties sont pour ce réseau. et il apparaît comme un phénomène d’entrainement pour Panini, qui va suivre le mouvement. En effet, sur 2003-2011, la librairie ne représente qu’un gros tiers des sorties de Panini ; sur 2012-2021, la proportion s’inverse exactement avec seulement un gros tiers des sorties en kiosque… et un focus croissant sur la librairie.
Cette explosion de la librairie n’est pas seulement due à ces deux éditeurs, puisque plusieurs nouveaux entrants (Ankama, Hi Comics, Bliss, Delirium, Graph Zeppelin ou Vestron) y ont aussi contribué, quoique plus modestement. Au final, Urban et ces nouveaux entrants sont responsables des quatre-cinquièmes de la progression du nombre de sorties en librairie entre 2011 (570 nouveautés) et 2021 (884 nouveautés). impact qui naturellement, s’atténue progressivement.
Par ailleurs, j’avais émis l’hypothèse que l’attribution de la licence DC à Urban avait encouragé Panini à « mieux exploiter » la licence Marvel qui lui restait. C’est effectivement ce qui semble ressortir de l’évolution des sorties (premier graphique) et des ventes en volume (deuxième graphique). Pour référence, sur 2005-2011 (période durant laquelle ils en avaient les droits), Panini avait publié chaque année en moyenne 48 titres issus du catalogue DC ; depuis 2012, Urban en a publié 150 chaque année en moyenne.
Enfin, on peut se demander dans quelle mesure les stratégies de petits prix ont pu bénéficier au segment, notamment en suscitant des ventes qui n’auraient être réalisées sans cela. La courbe ci-dessous répartit les ventes entre la contribution de Walking Dead (série absolument atypique dans son importance, et probablement seul succès mainstream à date du segment COMICS), la contribution des titres à petit prix, et le reste du segment.
Parlant de Walking Dead, c’est l’occasion de rappeler combien le segment des COMICS est concentré, puisque le trio Panini–Urban–Delcourt représente 80 % des nouveautés, pour 80 % des ventes en volume et 90 % du chiffre d’affaires réalisé sur 2012-2021.
Comme je l’ai signalé plus haut, les « petits prix » sont présents depuis 2008-2009 sur le segment des COMICS, mais les opérations mises en place depuis 2018 en ont amplifié l’importance. Pour ma part, le décrochage de la courbe rouge (reste du marché) que l’on observe à partir de 2018 est indicatif d’achats de substitution, les acheteurs remplaçant un achat à prix plein par un achat à prix réduit. d’où le retour en 2021 sur un niveau de prix plus élevé (5,99€).
Reprenons donc :
Bien que d’une importance modeste sur le marché de la bande dessinée en France (6 % des ventes en volume / 8 % en valeur), le segment des COMICS a connu une belle progression depuis une vingtaine d’années, avec un chiffre d’affaires multiplié par 5,5. Il semble que cette progression de la librairie s’accompagne d’un recul des ventes en kiosque, mais sans données chiffées pour le vérifier et juger de son ampleur. (si quelqu’un en a, je suis preneur) Cependant, cette dynamique ne correspond pas à un désinvestissement du kiosque par les éditeurs, mais plutôt à un investissement important de la librairie, le nombre de nouveautés en kiosque se maintenant jusqu’en 2020, avant de s’effondrer en 2021. L’investissement sur la librairie correspond à l’arrivée sur le marché de Urban Comics, qui en fait sa priorité. c’est aussi le cas des nouveaux éditeurs arrivant sur le segment durant cette période, renforçant cette tendance. L’attribution de la licence DC à Urban a entrainé une réaction du côté de Panini, qui a renforcé son activité en se positionnant également sur le réseau de la librairie (tout en maintenant, au moins jusqu’en 2016, son offre au niveau du kiosque). Enfin, la progression du segment, un temps soutenue par le succès de Walking Dead, marque le pas depuis 2016. Les stratégies de « petits prix » ne semblent pas avoir recruté de nouveaux lecteurs, mais plutôt occasionné des achats de substitution.
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Super contenu ! Continuez votre bon travail!