#TourDeMarché

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Dernier #TourDeMarché avant la trêve estivale, et puisque l’on a quelques chiffres à mi-parcours de cette année 2022, c’est l’occasion de parler de dynamiques. Vacances imminentes oblige, ce sera un peu plus court qu’à l’accoutumée. Comme il y a la Japan Expo (du 14 au 17 juillet 2022), Livres Hebdo parle de manga : « Sur les six premiers mois de l’année 2022, les ventes du secteur ont augmenté de 14 millions d’exemplaires par rapport à la même période en 2019, soit une hausse de 168 %. » Et d’ajouter un peu plus loin : « Par rapport au premier semestre de 2021, année record pour le marché du livre en France, les ventes de mangas ont augmenté de 15 % (+3 millions d’exemplaires), alors même que toutes les autres catégories ont enregistré une baisse sur la période. »

On va s’attarder un peu sur ces deux extraits (qui constituent la quasi-totalité de l’analyse proposée dans le très bref article donné en lien), parce qu’ils précisent implicitement la manière dont est envisagé le cadre de cette analyse. En effet, l’année de référence choisie est 2019, en écartant naturellement 2020 (« année COVID ») mais aussi 2021 (« année record ») qui est de facto considérée comme une anomalie. Et sur le fond, je n’y trouve rien à redire. Sauf que. Sauf que ce besoin de prendre une année de référence provient de ce choix systématique, dans le suivi du marché, d’effectuer des comparaisons d’une année sur l’autre, sans essayer de s’intéresser au détail de son évolution sur des périodes plus longues.
C’est que l’on a à notre disposition un outil bien pratique : le pourcentage d’évolution. Un nombre sans dimension, facile à calculer et assez évident à interpréter. Ce qui fait souvent oublier qu’il s’agit d’une donnée relativement pauvre. C’est une mesure à un instant t, qui ne prend pas en compte les dynamiques qui régissent les évolutions d’un marché. C’est un outil bien utile, mais qui ne saurait suffire pour juger la santé d’un marché. C’est pour cela que je lui préfère souvent les courbes. (il est également très probable que ce choix d’une donnée « pauvre » soit délibéré de la part du panéliste GfK qui, après tout, a tout intérêt à attiser la curiosité pour pouvoir ensuite monnayer un accès à ses données. c’est de bonne guerre)

Ainsi, l’article de Livres Hebdo considère implicitement que l’on a : 2019 — année normale, 2020 — année COVID, 2021 — année exceptionnelle, et 2022 — année normale. Comme si tout avait radicalement changé entre le 31 décembre 2021 et le 1er janvier 2022. Oui, mais non. Le marché de la bande dessinée en France vient de terminer son meilleur premier semestre de tous les temps. il s’est vendu sur les six premiers mois de 2022 autant d’exemplaires que durant toute l’année 2013 (et plus qu’en 2014). « Année normale », vous disiez ?
Et donc, puisque l’on progresse de 5 % environ par rapport à la même période l’année dernière, tout va bien, non ? Vous me voyez venir : comme on dit parfois, « c’est compliqué », et c’est là qu’il devient nécessaire de considérer la dynamique du marché.
C’est d’autant plus important que nos référents « habituels » sont calés sur une année calendaire complète (soit les ventes du 1er janvier au 31 décembre de la même année), et qu’idéalement, il devrait être possible de juger de la santé du marché à n’importe quel moment. En début d’année, j’avais choisi de parler de la saisonnalité pour le tout premier #TourDeMarché (ça se passe ici pour un cours de rattrapage). parce que voilà à quoi ressemble le suivi mensuel du marché :

Je vous mets au défi d’y distinguer une tendance… notamment celle qui ressort lorsque l’on ajoute les ventes annuelles (ici divisées par 12, pour rester sur la même échelle). Et sur les trois dernières années, cela devient du grand n’importe quoi.

C’est là que l’on peut dégainer cet outil bien pratique que sont les « douze mois glissants », et je remercie l’ami Libraire Caché pour m’en avoir rappelé tout l’intérêt. Parce que d’un coup, tout s’éclaire. On y distingue une tendance orientée à la hausse depuis, en gros, 2015, avec une accélération inattendue en 2021… et assez nettement, un pic atteint durant ce premier semestre 2022, et le début d’un ralentissement. Et ce, malgré la progression affichée.

Les choses sont un peu plus lisibles sur le manga au niveau du suivi mensuel, du fait d’une saisonnalité moins marquée — le manga étant, rappelons-le, essentiellement basé sur le modèle du périodique. Les pics liés à la fin de l’année y sont donc moins présents.

Mais là aussi, l’utilisation des « douze mois glissants » permet d’identifier une période de progression soutenue (depuis 2015), une envolée inattendue (2021) et un pic atteint durant le premier semestre 2022.

Dans les deux cas, on voit bien comment la présentation « implicite » de 2022 comme marquant un retour à la normale est abusive, puisque ce premier semestre est encore marqué par les dynamiques qui ont régi le marché durant les deux dernières années (2020-2021). Il y a donc un début de fléchissement, et la question cruciale, vous vous en doutez, porte sur le niveau autour duquel le marché finira par se stabiliser, lors de son *véritable* retour à la normale. Et c’est ce que l’on scrutera avec attention durant les mois qui viennent.

Dossier de en juillet 2022