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Wimbledon Green

de

Auteur rare par ses publications, Seth est néanmoins resté présent dans nos étagères ces derniers temps par l’intermédiaire de l’imposante intégrale des Peanuts éditée chez Fantagraphics, intégrale dont il réalise l’élégante maquette. Autant dire que l’arrivée inopinée de Wimbledon Green avait de quoi surprendre, alors que le dernier Palookaville remonte au début de l’année 2003.

L’une des premières pages de ce joli petit volume porte la mention suivante : «Dedicated to my good friend, Chris Ware, who continues to show me the way.» Et il est vrai qu’il est difficile de ne pas ressentir l’influence du créateur de l’Acme Novelty Library dans ce volume, que l’on pourrait voir comme un hommage appuyé, arrangé à la sauce des marottes personnelles de Seth.
Inspiration formelle dans le façonnage du livre (un bel objet relié, aux coins ronds et à la couverture gaufrée et dorée), mais également une inspiration narrative, depuis le titre complet («Wimbledon Green – The Greatest Comic Book Collector in the World») qui évoque à la fois Rusty Brown et Jimmy Corrigan («The Smartest Kid on Earth»), jusqu’à l’organisation des pages utilisant des successions de petites cases régulières, ponctuées par des transitions à coup de «5 days later» sur fond noir, et parsemées d’illustrations plus grandes figurant des bâtiments dans une perspective appliquée.
Dans son introduction, Seth lui-même ne cache pas cette filiation, mentionnant également Dan Clowes et David Heatley, comme autres représentants de cette narration éclatée en strips indépendants qu’il reprend ici à son compte — on pensera ainsi (encore) à la série des Acme Novelty Library, mais également au récent Ice Haven.

Alors que l’introduction mentionne l’envie nostalgique de retrouver son enthousiasme d’enfant, tout le livre résonne du regard de l’adulte, ironique et grinçant sur les petites mesquineries d’un milieu fasciné par les «illustrés», ce monde d’experts qui s’affrontent sur des détails sans importance — et parfois sans logique, comme le prouvent les quelques planches de cotation qui défient parfois le bon sens, les objets les plus rares étant souvent les moins chers. Comme c’était le cas dans It’s a good life if you don’t weaken avec les dessins de Kalo, le sujet de ces emportements extrêmes laisse perplexe — comme on le découvrira lorsque Wimbledon Green s’efforcera de décrire les qualités de Fine + Dandy, incontournable selon lui.
Cette veine ironique est par ailleurs renforcée par la description du personnage de Jonah, un personnage ayant fait le choix d’un nom unique, «ouvertement eccentrique» pour le seul plaisir pathétique d’attirer l’attention : «accordant sa maison, ses habits, sa musique … et même sa voiture à ses goûts surrannés». Avant de conclure que tout cela n’était que le reflet du narcissisme d’un individu radicalement égocentrique. On aura reconnu Seth lui-même,[1] dont les goûts et l’apparence physique toujours soignée semblent irrémédiablement ancrés dans les années 50.

L’introduction s’attache enfin à s’excuser longuement de la piètre qualité de ce qui est ici présenté, qui n’était au départ qu’un amusement de carnet de croquis, qui plus est réalisé (baclé ?) en six mois, ce qui expliquerait le lettrage inconsistant, les personnages tubulaires et caricaturaux, et globalement la futilité avouée de l’ensemble. Comme à regret, Seth précise que «The whole thing was just meant to be fun.»
Qu’on ne se laisse pas abuser par cet auto-dénigrement que l’on trouvait déjà dans It’s a good life if you don’t weaken (et à des lieues de l’assurance du Seth apparaissant dans les pages du Peepshow de Joe Matt), Wimbledon Green n’a pas à rougir et s’affirme comme une œuvre plus libre et vive, plus spontanée peut-être, et également plus légère que ce que l’on connaît par ailleurs de la production de Seth.

Notes

  1. Identifié à la fin du livre comme étant Seth (pseudonym — Gregory Gallant), une autre manière de se dénigrer.
Site officiel de Le Seuil
Chroniqué par en juin 2006