#TourDeMarché (2e saison)

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(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Quoi, déjà vendredi ? ! c’est le retour du #TourDeMarché, et comme Le Monde Sans Fin se maintient toujours en tête des meilleures ventes de bande dessinée pour le premier trimestre, on va s’intéresser à la « bande dessinée du réel ». C’est parti !
Si c’est aujourd’hui le terme consacré (« on sait de quoi on parle »), cela ne fait que quelques années qu’il est apparu pour désigner une pratique en bande dessinée qui ne date pas d’hier, loin de là. Laurent Gerbier en retrace les contours historiques ici. La question du rapport au réel a très tôt émergé comme l’objet de bien des tensions pour la bande dessinée — accusée de détourner les enfants des choses « sérieuse » quand elle s’en affranchissait, ou d’en glorifier de trop les aspects néfastes quand elle s’en emparait. D’où la forme de reconquête que vont en faire les productions alternatives dans les années 1990, décidant de s’emparer de ce sujet pour en faire « littérature », en investissant en particulier les territoires de l’autobiographie. Je parle de « littérature », parce que je me demande si ce n’est pas justement l’émergence du « roman graphique » comme sorte d’aboutissement de ce mouvement des alternatifs qui va entraîner l’apparition de cette « bande dessinée du réel », dans une forme d’opposition.
Quant à la première occurrence que j’ai pu dater (sur la base d’une rapide recherche), elle se trouve dans le dossier « Ecrire le travail » en mars 2011, sous la plume de Serge Ewenczyk de çà et là (par ailleurs, la Bibliothèque Nationale et Universitaire à Strasbourg organise, jusqu’au 25 juin prochain, une exposition sur le sujet). Bref, pour le meilleur et pour le pire, le terme de « bande dessinée du réel » s’est donc imposé pour évoquer la bande dessinée documentaire.

Dans les données fournies par GfK, la « bande dessinée du réel » se retrouve désignée comme « NON FICTION / DOCUMENTS » — sachant qu’il existe également un segment « BIOGRAPHIES », que nous allons écarter du champ de notre analyse aujourd’hui. Même si cela pose question : en effet, ne tournons pas autour du pot : la meilleure vente, et de loin, de cette catégorie « NON FICTION / DOCUMENTS » est… L’Arabe du futur de Riad Sattouf, qui est comme vous le savez son autobiographie… et donc techniquement, une biographie. Aïe.
Rassurez-vous, il semblerait que ce problème de classification se retrouve également du côté des bibliothèques, où les documentalistes hésitent à le classer en « non fiction », puisqu’il s’agit d’une vision forcément subjective des événements passés (ce qui soulève la question hautement philosophique de l’objectivité dans les ouvrages de sciences humaines. L’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques que l’on peut souvent observer dernièrement montre que voilà, c’est compliqué).

Toutes ces précisions étant prises, voici l’évolution des ventes de la catégorie « NON FICTION / DOCUMENTS » depuis 2003.

Certes, le marché dans son ensemble a connu une progression également remarquable, notamment ces dernières années — les MANGAS représentant le principal moteur de croissance :

Mais si l’on écarte les MANGAS, la catégorie « NON FICTION / DOCUMENTS » est passée de 1,7 % des ventes en volume et 3,1 % des ventes en valeur en 2003, à 8,6 % des ventes en volume et 13,0 % des ventes en valeur en 2022. Soit en l’espace de 20 ans, x6 en volume et x7 en valeur.
Il faut cependant reconnaître que la catégorie a bénéficié d’un nombre accru de sorties, passant de 140 sorties annuelles entre 2003 et 2011, à 430 en moyenne sur 2018-2022. Soit une activité éditoriale (si l’on peut dire) multipliée par trois.

L’écart entre la part de marché en volume et celle en valeur a dû vous mettre la puce à l’oreille : oui, il s’agit d’une catégorie avec un prix moyen élevé (20,5€ sur 2003-2022), bien au-dessus des standards du marché.

Au niveau des forces en présence, pas de surprise : Riad Sattouf emporte tout, puisqu’il représente à lui tout seul plus de 18 % des ventes en volume depuis le début de la publication de L’Arabe du Futur en 2014. Sur la même période, Christophe Blain se classe deuxième « meilleur performer », avec 4,5 % des ventes portées essentiellement par Le Monde Sans Fin (et quelques miettes de Quai d’Orsay, fiction requalifiée en documentaire — oui, c’est compliqué).
Globalement, les grands groupes d’édition y sont bien représentés : avec les Editions Allary (qui ne publient que Riad Sattouf), l’ensemble Média Participations, Delcourt, Madrigall et Glénat contrôle 65 % des ventes en volume depuis 2014.
On trouve aussi, au sein des données GfK, les ventes de La Revue Dessinée et de son petit frère TOPO, à un peu moins 4 % des ventes depuis 2014 — chiffre à prendre avec des pincettes, ne couvrant ni le kiosque, ni les abonnements, et minimisant l’importance de ces publications (d’autant plus que certaines co-publications sont listées au profit d’un autre éditeur, comme Les Algues Vertes, l’histoire interdite d’Inès Léraud, publiées chez Delcourt).

Dossier de en avril 2023