#TourDeMarché (2e saison)

de

(note : cette rubrique reproduit sous forme d’article à fin d’archivage des fils thématiques publiés au départ sur Twitter)

Alors que le manque d’inspiration menace (suggestions et idées bienvenues), c’est peut-être le moment de se tourner vers les classiques et de s’intéresser à la bande dessinée « patrimoniale ». C’est parti !
En fait, la « BD PATRIMONIALE » est l’un de deux segments transversaux qu’identifie GfK en plus des catégories dont je discute habituellement ici, le deuxième étant le fameux « ROMAN GRAPHIQUE » que j’ai déjà abordé à plusieurs reprises. GfK classe dans la « BD PATRIMONIALE » les « séries publiées depuis plus de 35 ans » (SNE/GfK, RNL 2017) ou les « BD dont le premier tome est sorti avant 1983 » (SNE/GfK, RNL 2019), ce qui revient à peu près au même. Le patrimoine débute donc avant 1983, soudain, je me sens vieux.
Avec une telle définition, il ne surprendra personne que cette « BD PATRIMONIALE » soit essentiellement (à 99,99 %) constituée de bande dessinée franco-belge. Après tout, les véritables débuts des MANGAS ne remontent qu’à la fin des années 1980. Même chose pour la question du domaine américain, qui pâtit ici du fait d’avoir, pendant longtemps, existé surtout en kiosque. Il est donc nécessaire de préciser ce qui est véritablement regroupé derrière ce terme de « BD PATRIMONIALE », qui peut être trompeur.
En effet, cette idée de « BD PATRIMONIALE » made in GfK est très éloignée d’une notion de « patrimoine » : il s’agit avant tout de considérations opérationnelles et commerciales, et non d’un regard éditorial et historique. Ce que je veux dire par là, c’est que si Snoopy et les Peanuts sont classés en « BD PATRIMONIALE », ce n’est pas parce que la série a commencée à être publiée aux USA en 1950, mais uniquement parce que le premier recueil en français est paru avant 1983. Cette distinction fait que les titres japonais relevant du patrimoine (Tezuka, Mizuki, Tsuge et autres) ne sont pas classés en « BD PATRIMONIALE » puisqu’étant paru en français récemment seulement — cette règle s’appliquant quelle que soit l’origine géographique des œuvres.
Bref, il s’agit en réalité d’un moyen d’observer la persistance du marché d’antan au sein du marché d’aujourd’hui — et de juger, peut-être, de la véritable santé de ces « classiques infatigables » dont on nous vante parfois tant les mérites. C’est aussi une manière indirecte de toucher un peu à ce « marché d’antan », puisque rappelons-le, il n’existe pas de chiffres fiables avant 2003 : la bande dessinée est un marché sans mémoire, pour paraphraser Thierry Groensteen. En fait, les seules indications que l’on peut avoir sur le sujet sont les ouvrages L’année de la bande dessinée de Stan Barets et Thierry Groensteen (de 1984-1985 à 1988-1989) qui portent plus sur le pan éditorial et la production (il y a eu d’autres publications de ce genre, dont cette Année de la BD 2002-2003 chez Soleil, mais j’ignore quel en est leur contenu précis et leur portée, et si elles sont véritablement des prolongations des ouvrages de Barets & Groensteen).

Retour au temps présent ou pas si passé que ça, pour essayer de voir ce que nous disent les chiffres. C’est votre moment préféré (ne niez pas, je le sais), celui où je dégaine les quelques graphiques que tout le monde attend. Allons-y. Sur 2003-2022, voici les ventes en volumes de cette « BD PATRIMONIALE » comparées aux ventes du marché dans son ensemble, et l’évolution de la part de marché de la « BD PATRIMONIALE » (toujours en volume).

Sur les deux décennies écoulées, la « BD PATRIMONIALE » pèse pour un peu moins de 15 % des ventes, part de marché qui s’inscrit sur une pente descendante — et ce, malgré le coup de pouce régulier de la sortie d’un nouvel Astérix les années impaires depuis 2013. C’est d’ailleurs ce qui est assez marquant, pour cette « BD PATRIMONIALE » : elle a beau être quadragénaire (au moins), elle continue d’être active et de faire vivre ses séries à coup de suites et de reprises, avec pour 2003-2023, une moyenne de 258 nouveautés chaque année.

La « BD PATRIMONIALE » se maintient donc (autour d’une moyenne d’environ 6 millions d’albums annuels), mais comme on peut le voir sur la comparaison avec le marché au global, elle n’est pas une source de croissance, loin s’en faut. Cette « BD PATRIMONIALE » se répartit entre la BD JEUNESSE (70 % des ventes en volumes pour ce vaste fourre-tout) et la BD DE GENRES représentée par trois sous-segments : THRILLER/POLICIER (15 % des ventes), AVENTURES/WESTERN (9 %) et HUMOUR (6 %). (indéniablement, la production de bande dessinée a gagné en diversité et en richesse depuis cette époque)

Niveau prix pratiqués, on a une évolution assez cohérente, en se rappelant que les collections à petits prix ont fortement pioché dans des titres d’HUMOUR ces dernières années. Et l’augmentation globale reste dans les clous de l’inflation, comme d’hab’.

Comme attendu, Astérix se taille la part du lion et représente un cinquième (20 %) des ventes de « BD PATRIMONIALE » sur les vingt ans écoulés. Derrière, surprise avec les créations de Jean Van Hamme (XIII/Largo Winch/Thorgal) qui concentrent 12,5 % des ventes devant Tintin (à 8,5 %). Derrière encore, on trouve un peloton groupé avec Lucky Luke, Boule et Bill, Blake et Mortimer, Le Chat, Spirou/Le Petit Spirou et Les Tuniques Bleues, qui oscillent entre 4 % et 5 % des ventes. Ces neuf séries concentrent les deux-tiers des ventes en volume sur 2003-2023.

Dossier de en mars 2023