Hanté

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A la lecture du Journal d’un album, on avait découvert que la bête à deux têtes et quatre mains du duo «Dupuy-Berberian» était en fait constituée de deux individualités, de deux styles que l’on n’avait jusqu’alors appréciés que conjugués ensemble. On sentait également, au fil de ces pages exécutées en solo, se dessiner deux sensibilités différentes, d’un côté «Berberian-le-cabotin», aux enthousiasmes d’adolescent attardé, et de l’autre «Dupuy-le-sensible» et sa détresse face à la mort.
On ressent peut-être encore plus cette différence aujourd’hui, alors qu’à peu d’intervalle les deux larrons ont publié chacun de leur côté un ouvrage en solo. Si dans Playlist, Charles Berberian se contente de rester léger et anecdotique (mais tout en musique), Hanté voit Philippe Dupuy explorer ses angoisses, ses inquiétudes et ses peines. Avec un dessin plus brut, plus anguleux et heurté qu’à l’habitude, il emmène le lecteur dans une série de petites histoires étranges, souvent oniriques, parfois macabres, toujours personnelles.

C’est peut-être là que se trouvent les limites de ce livre, superbe par ailleurs. Si ce projet (supposé) d’une «thérapie dessinée» forme un tout pour son auteur, on en sera quitte pour plusieurs lectures afin de s’essayer à décrypter l’ensemble, à la recherche de clés, d’indices, pour réussir à rattacher les morceaux et donner sens au tout. Philippe Dupuy n’est d’ailleurs pas dupe, et va même écrire : «Enfant, je passais mon temps à crier à travers mes dessins. Mais mes paroles se sont perdues. Il ne restait que des beaux dessins.» Avant de corriger lui-même, «Ce ne sont pas que des beaux dessins !»
Ainsi, on relèvera çà et là des figures récurrentes dont on devine (on suppose ?) l’importance — les visages sans yeux, les mains que l’on arrache, l’engloutissement dans les entrailles (de la terre ou de l’auteur). Mais si l’on comprend qu’il s’agit là de ce qui hante Philippe Dupuy, si l’on l’accompagne dans sa quête d’un sens à la vie au cours de ses «Run Movies», certains passages restent inintelligibles, comme cette longue histoire des «Amis de la Forêt» dont on ne sait trop ce qu’elle vient faire là.

A cette course en avant dans la confession, dans le dévoilement de ses angoisses, Philippe Dupuy apporte une conclusion qui n’en est pas une — déclarant simplement qu’«(il) pourrait courir longtemps comme ça … il y a un moment où il faut savoir s’arrêter». Et de finir sur une image de paix intérieure relative, en compagnie de ses démons.
Plus aventure intime que projet autobiographique, privilégiant l’émotion aux explications, Hanté constitue une œuvre brute, une mise à nu poignante — un voyage unique au sein d’un auteur qui se livre.

Site officiel de Philippe Dupuy
Site officiel de Cornélius
Chroniqué par en octobre 2005