Un peu avant la fortune

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Un peu avant, mais en le sachant pour en faire toute une histoire. Le billet gagnant est dans la poche, latent, demandant à l’accepter et le réaliser. La fragilité est encore là (devenue rassurante), la sécurité matérielle reste une promesse réalisable dans quelques heures et toutes les mésaventures en 80 pages seront au coin de ce flottement, comme tentatives de prolonger l’indécision du sort, avant qu’il ne scelle à tous la valeur d’un homme, moins en qualités humaines qu’en quantité de pécune.

Notre gagnant de la Française des jeux a peur de passer ce moment qui marquera sa vie d’un avant et d’un après. Il regarde un peu en arrière, constate ce qu’il va laisser et surtout qui l’a laissé, elle, la femme, mesure humaine de l’affection à laquelle se déterminent ses notions vraies de fortune et d’infortune.
Retrouver ce qui n’a pas de prix et lui donner un après se fait donc au moment où le hasard lui donne accès aux richesses qui combleraient aisément le commun des mortels heureux de se distinguer enfin d’un avant. Bon ou mauvais sort, telles seront les questions sous-jacentes, tant que les conséquences des actions faisant l’histoire resteront indistinctes.

Jean-Claude Denis brode sur un postulat de départ tout en finesse, d’un détective privé marqué autrement par le sort, enquêtant sans le savoir sur sa vie privée, par l’ivresse mélancolico-festive et les rêves récurrents, d’une vie modeste s’effrayant de basculer dans l’opulence.
Malheureusement, ce charme de départ, laisse rapidement place à l’ennui et à la monotonie. J.-C. Denis n’écrit pas pour lui, délaye et s’adapte trop pour rester lui-même jusqu’au bout. Dupuy et Berberian illustrent, reprenant cette ligne claire maniérée à vouloir se faire croquis ou croire chercher. Et Toulouse est comme Paris, Monsieur Etienne comme Monsieur Jean, et Henriette est là aussi, étudiante et baby-sitter maintenant. Les choses persistent donc trop et l’on comprend que le personnage ait peur d’avancer comme ses auteurs, voulant ce comme-il-faut, pour se fondre dans le décor pour des filatures inconséquentes.

Ce livre n’est pas un mauvais album, juste un bon divertissement, s’oubliant en permettant l’oubli, d’une mollesse de canapé, où le savoir-faire prétend être invention, où le convenu et l’attendu priment sur les nuances psychologiques ou la pertinence des situations. S’il n’est pas après la fortune (critique) des auteurs, tout ira bien. Les autres livres à venir le diront.

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Chroniqué par en mars 2008