Japon

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En Octobre 2001, Frédéric Boilet lançait à Tokyo l’événement «Nouvelle Manga», tout autant parcours de découverte (au travers d’une série d’expositions autour du musée d’Ueno) qu’occasion de rencontre, avec l’invitation de quelques auteurs français — David B., Fabrice Neaud, Loïc Néhou.
Si l’on peut regretter la mini-polémique qui s’en suivit autour d’un Manifeste un peu maladroit,[1] on ne peut que saluer la constance avec laquelle Frédéric Boilet a continué ce travail de rencontre entre des auteurs et des cultures, que ce soit par un travail de traduction (au Japon comme en France) ou par des expériences plus originales.

Japon est ainsi une sorte d’échange comme on a pu en faire en quatrième, lorsque des collégiens d’Allemagne ou d’ailleurs venaient partager notre classe, le temps d’une semaine. Huit auteurs francophones (dont la bête bicéphale Schuitten-Peeters) partent au Japon, et sont ici confrontés à huit auteurs locaux (dont l’expatrié Boilet) pour, chacun, donner une vision du pays. Le sommaire s’organise alors comme une lente remontée le long de l’archipel nippon, débutant à Amakusa au Sud de Kyûshû, et s’achevant à Sapporo au Nord sur l’île d’Hokkaidô.
Comme pour tout ouvrage collectif, il y a dans ce recueil du touchant (Taniguchi, Takahama) et du «pas terrible» (Schuitten-Peeters), des découvertes (Igarashi, Little Fish) et des confirmations (Matsumoto). Les locaux se penchent sur leur région natale, et évoquent un Japon où les légendes ne sont pas loin, où les esprits continuent à faire partie du quotidien.
Les visiteurs s’en tirent bien, font tous l’effort de ne pas tomber dans le facile et évitent de donner dans la carte postale — mais, curieusement, cela a pour effet de faire ressortir leurs tics et leurs petites manies : de Joann-Sfar-le-donneur-de-leçons[2] à Fabrice-Neaud-le-méticuleux-amoureux-du-détail en passant par Frédéric-Boilet-qui-explique-le-Japon.[3]

Mais c’est sans doute là que se trouvent les limites de ce livre, avec les francophones plus bavards[4] qui relatent des impressions de voyage tout en faisant leur numéro, occultant un peu les voyages plus intérieurs des Japonais, intimes et personnels dans leurs confessions.
Enfin, on regrettera simplement qu’il n’y ait pas eu de véritable collaboration, mais seulement une juxtaposition de talents, de regards et de sensibilités. Peut-être pour une prochaine occasion ?

Notes

  1. Manifeste dont les propos furent peu appréciés d’un microcosme oeuvrant pour la reconnaissance du manga au sens large, et qui voyait d’un mauvais oeil ce nouveau prophète auto-proclamé s’octroyant seul le droit de séparer le bon grain de l’ivraie.
    Polémique relancée ces derniers temps par le slogan affirmé de la collection Sakka, que dirige Boilet chez Casterman : «Quand vous aurez lu un Sakka, vous ne pourrez plus lire un manga». Pirouette marketing pour tenter d’accrocher un public autre, mais dont le directeur décline toute responsabilité.
  2. Leçons qui sont par ailleurs toutes largement fondées, mais qui, accumulées et raccourcies en quelques phrases assassines, finissent par donner un portrait par trop caricatural des Japonais, déséquilibré en l’absence d’un contrepoint positif.
  3. Au-delà de la simple connaissance du pays, ce fantasme de devenir plus Japonais que les Japonais, fustigé par Oualtérou quelques pages plus loin, suinte de toutes les pages de Tokyo est mon jardin, idéalisation de tout ce qu’un occidental fasciné par le Japon souhaiterait devenir.
  4. Les Japonais n’occupant au final qu’un tiers de l’ouvrage.
Site officiel de Casterman (Ecritures)
Chroniqué par en décembre 2005