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Mickey’s Craziest Adventures

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Si le fait de faire appel à des auteurs de bande dessinée européens pour faire vivre la licence historique de l’empire Disney de ce côté ci de l’Atlantique n’est pas nouveau, celui que ce soit des noms de créateurs contemporains qui la fassent vendre aujourd’hui l’est beaucoup plus.
Pour la neuvième chose cela montre le chemin parcouru depuis le dernier quart du XXe siècle, où, auparavant, un auteur comme Carl Barks ne fut longtemps identifié par ses amateurs que comme « celui qui dessine bien les canards » (« The good duck artist »).
Depuis plus d’une trentaine d’années, ce sont désormais ces noms de créateurs inconnus pendant des décennies qui font vendre et qui sont bien mis en évidence sur divers rééditions vendues en librairie[1]. C’est en quelque sorte la revanche de l’auteur sur un système de « profaçon » extrême, qui a plus que d’autres nié toute singularité créative, dans sa conception et dans son organisation même.

Aujourd’hui, le partenariat Disney-Glénat constaterait plus subtilement que les classiques mis au goût du jour par de simples artifices stylistiques et/ou thématiques s’essoufflent, et que l’univers de Mickey, de part sa longue existence, est devenu moins à réifier ad libitum qu’une mythologie à explorer et questionner. Pour les créateurs contemporains, ce constat n’est pas nouveau en soi, il apparaît depuis que les auteurs de bandes dessinées ont commencé à se revendiquer comme tels et qu’ils ont su évoquer et interroger des œuvres de leur domaine qui les ont marqués ou sont considérées comme des jalons majeurs. Crumb s’inspirant du style Disney, Joost Swarte inventant la notion de « ligne claire » ou bien le travail fondateur d’Alan Moore avec les Watchmen, tous ces exemples, tous ces succès souvent plus artistiques que commerciaux, évoquent une attention, une sensibilité, qui tracent l’émergence de ce qui aujourd’hui devient pour des éditeurs grand public des marchés envisageables où le bénéfice se fait peut-être moins en termes économiques que d’image.

Dans ce cadre, les personnages Disneyens peuvent soit être « vus par », dans des visions oscillant entre interprétation ou réinterprétation personnelle avec son corollaire d’hommages plus ou moins appuyés, de clin d’œil plus ou moins cachés, etc. ; soit, dans une connaissance plus fine de la neuvième chose, de son histoire et de ses fonctionnements, être recentrés sur des interrogations liées à des lectures et des analyses, plutôt que dans un simple rapport au temps entre nostalgie et actualisation à la dernière mode.
Trondheim et Keramidas explorent cette deuxième possibilité. Partant d’un principe astucieux, qui tient dans la décision de sortir de l’oubli une série fictive composée de planches en couleurs intitulées Mickey’s Craziest Adventures, publiées à raison d’une par mois entre 1962 et 1969 dans un mensuel tout aussi fictif nommé Mickey’s Quest, sensé avoir été retrouvé par hasard par les deux auteurs à la manière d’un trésor dans un vide grenier de quartier. Ceux-ci vont jusqu’à réaliser de fausses couvertures de cette hypothétique publication, qui empruntent à la fois au Journal de Mickey dans sa formule publiée en France depuis 1952, et aux comics sous licence Disney publiés au Etats-Unis par l’éditeur Gold Key, éditeur apparaissant aujourd’hui à certains comme un pionnier du « transmédia » par ses innombrables adaptations déjà inspirées des succès cinématographiques et télévisuels.

Si l’on ajoute à la fin du titre de ce magazine imaginaire le groupe de lettres « ion », on voit qu’il est rapidement « question » de Mickey et par extension, ou plutôt par l’ajout en France de l’adjectif « petit », de bande dessinée.
Cette formulation démontre l’impact énorme de la souris de Disney sur la neuvième chose, puisque « Petit Mickey » a été pendant quelques décennies synonyme d’ « illustré » pour plusieurs générations, avant que l’expression « bande dessinée » imaginée dans les années 30 par Paul Winkler (fondateur du Journal de Mickey, justement) pour promouvoir l’énergie novatrice des comic strips qu’il publiait dans son nouveau journal, ne finisse par s’imposer au tournant des années 60.

A travers cette quête, Trondheim et Keramidas montrent qu’avant d’être un logo animé, la petite souris a été un logos, une langue plus vivante, un langage avec un souffle nouveau (anima) dans un contexte éditorial donné, lié à la presse et à l’idée de feuilleton. D’où ce travail ne se limitant pas à un savoir-faire et/ou à des références scénaristiques ou graphiques, mais s’attardant sur la question du support de publication, allant du para-textuel qu’il distille à son état de conservation et ce que cela ajoute en significations à nos regards présents[2].
Un travail qui rappelle celui d’Al Columbia, en particulier celui sur la mémoire dans sa triple dimension d’archive, de mécanisme de lecture et de particularité expérientielle différenciant chaque lecteur. Respectivement : un aspect patrimonial, un phénomène de gouttière élargie à des planches manquantes et non plus seulement à celui entre deux cases, et enfin le fait que la neuvième chose est pour la grande majorité de ses amateurs liée aux souvenirs d’enfance, aspect certainement encore plus accentué quand il s’agit de publications Disney. Un dernier point général qui, s’il ne se limite pas à une histoire personnelle nostalgique, peut être le point de départ pour comprendre le passé, développer un intérêt pour l’histoire d’un médium apprécié, voire de son insertion comme phénomène dans celle avec un H plus grand, qu’il soit celui de l’Histoire ou autre Humanité.

Du plus petit au plus grand donc, mais aussi du souterrain à la lune, des trésors cachés inutiles aux civilisations disparues toujours présentes, de naître chanceux ou pas, de porter un haut et pas de bas et inversement, de la « quest » comme diminutif de questionnement dans un univers échoïque, du mouvement comme rhétorique aux dangers permanents comme dialectique, la plus époustouflante des aventures d’un petit Mickey sera toujours celle de redonner au présent un second souffle.

Notes

  1. En kiosque, en grande partie parce que les impératifs de la presse sont différents, ce sont plutôt des thématiques qui font vendre. Exemple pour le trimestriel Les trésors de Picsou, des numéros « spécial Vikings », « spécial chevalerie », etc. En revanche à l’intérieur de ces numéros les auteurs de toutes les œuvres sont précisés et les plus connus sont bien mis en avant.
  2. Les planches sont jaunies, tachées, certaines déchirées, et nombreuses sont manquantes.
Site officiel de Lewis Trondheim
Site officiel de Glénat
Chroniqué par en mars 2016