Visite express

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Expressément et sans mot dire, l’album constaterait que les 24 heures de la bande dessinée apparaissent au milieu des années 2000 après l’explosion dans la décennie précédente de récits autobiographiques. L’auteur(e) de neuvième chose est désormais possiblement un héros ou une héroïne, dont l’art du dessin, à la fois don et performance pour le commun, ne pouvait, une fois contraint et/ou conditionné, que le rapprocher du sportif.
Avant il n’était que l’animal étrange faisant la preuve de son habilité unique et de son style l’identifiant, par la dédicace dessinée ou l’air du temps croqué dans un direct télévisuel[1]. Dorénavant, il ou elle est l’être à la fois doué(e) et entraîné(e) qui aurait pour but possible la performance et les médailles.

Le récit commence justement en 2009, quand le centre (CNBDI) s’apprête à devenir cité (CIBDI), et quand la récompense festivalière doit nouvellement s’incarner dans un fauve qui, rappelons-le, fut d’abord une couleur tirant sur l’or avant de désigner les plus gros des félidés et plus particulièrement le roi des animaux[2]. Indirectement le récit constaterait l’émergence d’institutions permettant cet exploit sportif et la mise au pinacle de l’auteur. Un constat qui se fait littéralement « par la bande » et en se jouant des contraires, où l’institution se retrouve non pas émergente mais submergée, où le pinacle du bâtiment aurait à la fois l’allure d’un podium et l’acmé d’un récit en 22 planches (ou 24 si l’on ajoute la couverture et le quatrième de couverture), après une folle course poursuite semée d’obstacles.

Ce que fuit le personnage à la fois auteur et héros ?
La noyade dans un fleuve qui s’affirme comme celui d’Héraclite, puisqu’il engloutit la mémoire muséale. L’auteur surnagera même sur le flux déchaîné en utilisant les travaux de ses glorieux prédécesseurs, mais au prix de la destruction de leurs originaux. Certes, l’ultime fin rappelle astucieusement que si Lewis Trondheim est encore sur la terre ferme, son œuvre connaîtra un jour le même sort. Il rejoint ainsi et d’une autre manière cet exploit sportif niant le temps par le renouvellement régulier de ses compétitions, mais l’affirmant aussi dans la chronométrie des performances et la mise en gloire de corps au faîte de leurs possibles, tout en étant les métaphores spectaculaires de la condition absolue et fragile à toute existence.

Visite express suggèrerait aussi le temps qui passe trop vite, ainsi que le musée comme salle des trophées, témoins de victoires esthétiques, objets ou reliques appartenant à des vies transformées en légende dorée pour certains, ou sentant le fauve pour d’autres, ce qui finalement, peut-être, reviendrait au même. C’est aussi une vraie « sortie par le haut », sans vainqueur ni perdant, se constatant ni héros antique, ni antihéros moderne, mais participant à des contraintes saisonnières communes à tous, dont on se perdrait à jouer face à l’impossibilité de les déjouer.

Notes

  1. Cabu à Récré A2, les émissions du type « Tac au tac », les dessinateurs ou dessinatrices invités à « croquer l’actualité » en direct, etc.
  2. L’expression « fauve d’or » pourrait être considérée comme un pléonasme. Mais comme il s’agit non pas d’un lion mais d’un chat, animal mangeur de petits Mickeys (i.e. des souris), la récompense angoumoisine apparaît pratiquer une forme d’autodérision typiquement neuvième chose, de celle qui la fait désigner « comics » ailleurs, et ici souvent être confondue avec le genre de ses meilleurs ventes (Astérix, Titeuf, etc.).
Site officiel de Lewis Trondheim
Site officiel de L'Association
Chroniqué par en juin 2015