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Le Petit Prince

de

Ayant travaillé dans une librairie consacrée à la jeunesse, une des plus étrange et récurrente demande qu’il m’ait été donné d’entendre était celle-ci : «Bonjour, auriez-vous une édition du Petit Prince pour les enfants ?».
A chaque fois, il ne s’agissait pas d’une demande pour un éventuel produit dérivé s’adressant aux «tout-petits» (livre en tissu, etc.), mais bien de la demande d’une version «accessible» aux enfants de 8 à 12 ans, voire même 15-17 ans. Préciser avec diplomatie qu’il s’agit d’un livre pour les enfants, que l’auteur s’est mis au dessin pour mieux faire passer son message, indiffère généralement totalement ces personnes. Le livre a le défaut de n’être déjà pas limpide à leurs yeux, alors «vous comprenez pour les enfants d’aujourd’hui»…

L’idée d’adapter Le Petit Prince en bande dessinée répondrait donc véritablement à une demande, et pour le moins suit cette logique faisant florès depuis quelques années de l’adaptation des classiques de la littérature en bande dessinée.
Ma première réaction à l’annonce de cette adaptation a été franchement négative. Comme pour beaucoup, c’est un texte qui m’a marqué aussi bien dans l’enfance que par la suite, et le voir décliné une fois de plus provoque l’écoeurement. Le petit Prince a déjà été sur des billets de 50 francs, dans une pub pour Air France, etc.
A cela s’ajoutait d’autre interrogations : Pourquoi mettre des images dessus alors que c’est justement cet au-delà des images et des apparences où se trouve cette essentiel invisible pour les yeux qui est au centre du livre ? Pourquoi vouloir «adapter en bande dessinée», c’est-à-dire pour les enfants dans la bouche de ceux qui initient cette affaire, un livre qui s’adresse aux enfants ?

Il y a un enjeu dans cette adaptation que la logique d’un succès commercial quasi assuré met trop rapidement de côté. Les héritiers de Saint-Exupéry et les éditions Gallimard l’auront vu ou ressenti et ont, reconnaissons-le, visé juste en choisissant Sfar pour ce qui était un projet d’adaptation. Car j’ai beau y réfléchir, qui d’autre pouvait adapter Le Petit Prince en bande dessinée ?
Avec celui de John Porcellino, aucun autre nom ne m’est venu à l’esprit. Et les deux auteurs ont en commun d’être «amis de la sagesse» à leur manière, plus universitaire pour le français, plus empirique pour l’américain mais qui rejoint cet esprit du texte de Saint-Ex, que Sfar résume parfaitement en affirmant que «Le Petit Prince est un livre de sagesse».

A la lecture de l’album, les mots qui viennent à l’esprit sont : classique et respectueux.
Sfar laisse de côté son style musicale à la Quentin Blake qui fait merveille dans Klezmer mais a noyé le Minuscule Mousquetaire dans sa troisième aventure, pour un style Sfar première période qui peut désormais se voir qualifié de classique.
Le dessinateur est respectueux dans le sens où il ne touche pas au texte, où l’on reconnaît bien l’aviateur écrivain, où il s’inspire des dessins de Saint-Ex, etc. Sfar adapte littéralement. Son travail le plus personnel se résume à une mise en scène, comme un cinéaste mais avec les qualités et manières de la bande dessinée.
C’est souvent bien vu, bien fait, le résultat général est loin d’être inintéressant mais demeure malheureusement assez tiède, trop prudent, trop fidèle.
Reste que l’on s’accroche à certaines planches, certaines cases où l’on reconnaît «l’auteurité» de Sfar, son intelligence vis-à-vis de la bande dessinée et de l’analyse du texte.
La première planche est assez exemplaire de ces plaisants sursauts se faisant commentaire de l’oeuvre. Dans le texte, l’aviateur écrivain commence par évoquer un souvenir d’enfance où il s’échinait à dessiner un boa avalant un éléphant. Sfar, astucieusement, fait de ce mémorable boa les volutes d’une fumée de cigarette, sorte de chimère à laquelle s’adresse, puis dessine son aviateur. Un très beau travail de mise en scène qui se termine avec la planche 3 où le boa s’évapore après avoir pris la cigarette de Saint-Exupéry en affirmant : «Et on ne devrait pas fumer dans un ouvrage destiné à la jeunesse». Une scène allant vers l’hors-texte, faisant du boa un adulte, s’interrogeant qui plus est sur l’actualité d’un texte datant de 1943 où les adultes ne s’effrayaient pas des enfants de la même manière.

Le livre est donc à l’image de cette collection de Gallimard regroupant les adaptations de textes littéraires en bande dessinée, qui porte si bien le nom de «Fétiche». Le culte y règne plutôt que la glose du pinceau, l’exégèse par le dessin. Le but est affiché clairement, alors pourquoi pas après tout. Sfar et les autres auteurs ayant adaptés rejoignent finalement le métier d’illustrateurs de textes pour enfants tout en étant encore auteurs de bande dessinée. C’est de là que nous les guetteront. Quand ayant-droit et ayant nécessité d’adapter s’estomperont, il y aura peut-être plus à lire de la neuvième chose.

Site officiel de Joann Sfar
Site officiel de Gallimard
Chroniqué par en septembre 2008